Quarante ans, 21 saisons, toutes sous le maillot des Dallas Mavericks, un titre de MVP (pour Most Valuable Player) de NBA en 2007, toujours le seul remporté par un Européen, un titre de champion en 2011 et plus de 30 000 points en carrière, mais surtout une influence, impossible à quantifier, sur la NBA voire le basket en général : dans la nuit de mardi à mercredi, Dirk Nowitzki a officialisé son départ à la retraite, et c'est un pionnier du basket européen qui quitte les parquets. «Comme vous pouviez vous y attendre, c'était mon dernier match devant vous», a déclaré Nowitzki à l'issue de la rencontre remportée à domicile par Dallas face à Phoenix (120-109). Un jubilé sous les yeux de ses fans plutôt qu'un vrai match de saison régulière : les deux équipes étant éliminées de la course aux play-offs, le n° 41 a pu enquiller 30 points, abreuvé de passes par ses partenaires et pas vraiment muselé par ses adversaires, avant de recevoir un hommage émouvant à la fin de la rencontre.
Dirk couldn’t hold back tears after the Mavs played a tribute video for him during the game 😢pic.twitter.com/0Dh8WxDPFY
— Complex Sports (@ComplexSports) April 10, 2019
Ironie de l'histoire : son tout dernier match se déroulera dans la nuit de mercredi à jeudi, sur le parquet des Spurs de San Antonio, non loin de la salle qui lui a permis de faire carrière en NBA. En mars 1998, Nowitzki et ses 2,13 m se font ainsi remarquer lors du Nike Hoop Summit à San Antonio, match annuel entre les meilleurs espoirs des Etats-Unis et d'Europe. L'échalas de Würzburg, en Bavière, inscrit 33 points, récolte 14 rebonds, et tape forcément dans l'œil des recruteurs, pourtant sans pitié à l'époque avec les jeunes joueurs venus d'Europe.
Drafté l'été suivant à la 9e place par les Milwaukee Bucks, il est immédiatement transféré à Dallas. Le même soir, les Mavericks récupéreront le meneur Steve Nash. Nowitzki et sa tignasse blonde et un Nash aux cheveux peroxydés seront présentés lors d'une conférence de presse qui annoncera finalement la réussite de la décennie suivante. «J'ai cru que c'étaient des membres des Beach Boys qui s'étaient perdus», s'est récemment remémoré l'entraîneur d'alors, Don Nelson, dans une passionnante histoire orale consacrée à l'Allemand. C'est grâce au Canadien que Nowitzki, désorienté pour ses débuts dans la Ligue, réussira finalement son adaptation. Complice en dehors des parquets, le duo, accompagné de l'ailier Michael Finley, transformera Dallas d'une équipe de losers dans les années 1990 à l'une des franchises les plus dominantes des années 2000. Après le retour de Nash à Phoenix en 2004, Nowitzki deviendra le seul leader d'une franchise qui lui ajoutera les talents de Jason Terry, Jason Kidd ou Shawn Marion pour aller remporter le premier titre de champion de son histoire en 2011.
Savant fou et flamand rose
Bête de travail, Dirk Nowitzki a toujours eu un atout dans sa manche : un savant fou, son mentor Holger Geschwindner. L'ancien basketteur international allemand repère Nowitzki à l'âge de 16 ans. Il l'emmènera au plus haut niveau avec sa méthode peu orthodoxe : documentée dans le film The Perfect Shot, elle consiste par exemple à dribbler en rythme au son de la musique, à effectuer des exercices tirés des lois gravitationnelles (des squats de très grande amplitude par exemple) ou dans la recherche du tir parfait, impossible à contrer – il nécessite une trajectoire à 60° selon Geschwindner, qui a aussi une formation de physicien. Dans le jeu de Nowitzki, ça se traduit par son shoot légendaire, une posture de flamand rose : le fadeaway sur un pied. Comprendre : un tir en reculant, un genou plié pour garder l'adversaire à distance, et le ballon décrivant une trajectoire plongeante. Imparable, d'autant plus avec le toucher délicat de l'Allemand.
Mais Nowitzki n'avait pas que ce geste à son arc : il a été l'un des premiers joueurs à plus de 2,10 m à shooter avec réussite à 3 points, et comptait sur une adresse épatante pour sa taille aux lancers francs. Son astuce ? Encore héritée de son mentor : Nowitzki avait confié aimer se chantonner à lui-même des mélodies sur la ligne, pour trouver son souffle. En 2006, c'était par exemple Looking for Freedom de David Hasselhoff, tube en Allemagne quand il avait 10 ans. «Vous regardez Kevin Durant, Porzingis, tous ces joueurs à plus de 2,10 m, ils ont tous observé Dirk, raconte à CBS le Français Ian Mahinmi, champion NBA avec Dallas en 2011. Ils ont tous regardé Dirk mettre des 3 points, prendre le ballon très bas et déclencher son shoot très haut. Ça c'est Dirk. Personne ne faisait ça avant lui.»
C'est ce genre d'héritage que laissera Nowitzki à la NBA, en plus de l'image d'un leader à l'extrême humilité et d'un compétiteur au trash-talking singulier (son insulte préférée sur les terrains ? «Espèce de burger»). Ambassadeur du Vieux Continent et des géants qui savent shooter, il fut la première superstar européenne de la Ligue américaine, avant Tony Parker ou Pau Gasol. De plus en plus gêné par des soucis physiques, il a commencé cette saison mi-décembre, se remettant d'une opération à la cheville, pour finalement tourner à 7 points et 3 rebonds, bien loin de ses standards en carrière. Jusqu'à la fin, il aura pourtant laissé planer le doute sur sa retraite, déclarant vouloir épauler la saison prochaine ses héritiers, le Slovène Luka Dončić et le Letton Kristaps Porzingis. Entre le meneur rookie promis à un grand avenir – encore un triple-double la nuit dernière – et le pivot shooteur, récemment recruté, c'est un peu de Dirk Nowitzki qui devrait continuer à gagner sous le maillot des Dallas Mavericks.