Emballé, c'est pesé : Mathieu Van der Poel, nouvelle étoile montante du cyclisme, 24 ans, a épinglé dimanche l'Amstel Gold Race, la classique tracée dans la partie vallonnée des Pays-Bas, au terme d'un final d'une rare intensité nerveuse. Le Néerlandais, petit-fils de Raymond Poulidor et fils d'Adrie Van der Poel, chasseur des classiques dans les années 80, a débordé dans les derniers hectomètres le Français Julian Alaphilippe et le Danois Jakob Fuglsang, qui étaient échappés depuis une trentaine de kilomètres. Cet ébouriffant «finish» confirme la percée remarquée de «VDP» cette saison, vainqueur à six reprises en quinze jours de compétitions sur route. Et contrevient aux règles établies du sport cycliste.
Il snobe les grosses équipes
Les plus grandes écuries se l'arrachent mais il les repousse toutes (pour le moment). Van der Poel ne porte ni le maillot du Team Sky, ni celui de Deceuninck-Quick Step mais celui de Corendon-Circus, modeste formation belge de deuxième division sponsorisée par un voyagiste turc, qui affiche un budget huit à dix fois inférieur. C'est dire l'humiliation des patrons d'équipes, quand ce jeune qui se refuse à eux devance leurs stars maison… «J'ai informé toutes les équipes qu'elles devaient attendre le moment. Je suis encore sous contrat jusqu'en 2023», déclare le très convoité coureur, qui négocie sans agent (une anomalie dans le top 20 mondial, partagée par le seul Thibaut Pinot). Est-ce une manière de faire discrètement grimper les négociations, pour surenchérir ses revenus actuels estimés autour de deux millions d'euros (contrat avec ses sponsors et cachets pour participer aux épreuves de cyclo-cross) ? Ou une volonté sincère de rester dans une équipe «familiale», qui accueille son frère aîné David comme coureur et son père Adrie comme conseiller ? C'est le beurre et l'argent du beurre : Corendon lui octroie toute liberté dans son programme tout en lui donnant accès à quelques épreuves de première catégorie, telles le Tour des Flandres ou l'Amstel Gold Race. Les organisateurs sont à ses pieds : s'il lui venait l'envie de découvrir Paris-Roubaix en 2020, nul doute que son équipe recevrait une invitation fissa.
Il bouscule les schémas tactiques
Sprinter ? Rouleur ? Finisseur (capable d’attaquer dans les deux ou trois derniers kilomètres) ? Puncheur (doué pour les ascensions courtes et raides) ? D’une victoire à l’autre, Van der Poel emprunte à tous les registres. Il s’appuie le plus souvent sur sa pointe de vitesse, sur le démarrage autant qu’au jump final, en force ou en souplesse, dans un groupe réduit comme mercredi sur la Flèche Brabançonne ou dans un sprint massif, comme au Circuit de la Sarthe mi-avril. Mais il ne rechigne pas à attaquer loin de l’arrivée (à 43 km du but ce dimanche à l’Amstel). Ou à mener une poursuite, au lieu de rester dans les roues de ses adversaires. Un profil type pour gagner des classiques, toutes les classiques, les pavées où il a déjà fait forte impression cette année, mais pourquoi pas aussi les «ardennaises», la Flèche Wallonne et Liège-Bastogne-Liège, dont l’Amstel Gold Race est un avant-goût. Les coureurs aussi polyvalents et imprévisibles restent très peu légion dans le peloton, surtout à un âge précoce.
Il défend une discipline «mineure»
Avant d’être la nouvelle mascotte du vélo sur route, Mathieu Van der Poel est la figure centrale du cyclo-cross, cette discipline disputée en hiver, pendant un peu plus d’une heure, sur un circuit technique où il faut pédaler dans la boue ou le sable, sauter des planches, voire porter son vélo dans des marches d’escaliers… Deux fois champion du monde et double champion d’Europe du «cross», le Néerlandais n’a pas encore l’intention de renoncer à ses premières amours, alors qu’on lui demande sans cesse (recruteurs ou journalistes) à quel moment il daignera se consacrer pleinement au cyclisme traditionnel. Implicitement : le cyclo-cross est un microcosme moins noble que la route, sauf en Belgique où il attire les spectateurs par dizaines de milliers. En République Tchèque, Zdenek Stybar a été incité à délaisser le cross pour la route, ce qui lui a ouvert les voies de l’équipe Quick-Step et permis des victoires sur des classiques ou une étape du Tour de France. De même, dans l’Hexagone, les crossmen sont réorientés. Qui sait la carrière qu’auraient pu mener dans la discipline des sous-bois Quentin Jauregui et Clément Venturini (AG2R la Mondiale) ou encore Anthony Turgis (Total-Direct Energie), si leurs employeurs n’avaient pas décrété le cyclo-cross incompatible avec la route ? Une théorie pulvérisée par Van der Poel.
Il fuit la récupération médiatique
Van der Poel se moque autant des grandes équipes que des journaux ou chaînes de télé qui lui courent après. Poli, il se prête aux interviews et à certaines mises en scène, comme lorsque la presse flamande lui fait mimer un bras de fer avec Wout Van Aert, autre crossman débarqué sur route. Il accepte les talk-shows à l'occasion et même une apparition dans une série documentaire sur le cyclo-cross. Mais se tient à distance de la «peopolisation» des cyclistes dont est friande la presse en Belgique, le pays où il a grandi et réside toujours. Cet hiver, sa famille a peu goûté les révélations autour de sa nouvelle copine : «On ne lui a pas laissé le choix», souligne sa mère, Corinne Poulidor. «MVP» fera le service minimum. «Il est encore très préservé, déclarait à Libération un ami de la famille. Il ne sera jamais comparé à Hinault comme le serait un coureur français ou à Merckx comme le serait un Belge.» Une autre connaissance de la famille : «Ce sont des gens très pros, très attachés à leur image, saine et discrète. Les parents veillent sur Mathieu et ne le laisseront pas faire n'importe quoi.»