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Jean-Pierre Wimille, mort aux portes de la Formule 1

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Chaque semaine avec RetroNews.fr, le site de presse de la BNF, retour sur une histoire de sport telle que l’a racontée la presse. Ce samedi, à l’occasion du Grand Prix de Paris de Formule E, Jean-Pierre Wimille, le meilleur pilote de son époque, mort un an avant les débuts de la Formule 1.
En octobre 1946, Jean-Pierre Wimille au volant d'une Alfa Romeo 158 dans un parking parisien. (PIGISTE/Photo AFP)
publié le 27 avril 2019 à 16h20

Chaque semaine avec RetroNews.fr, le site de presse de la BNF, retour sur une histoire de sport telle que l’a racontée la presse. Ce samedi, à l’occasion du Grand Prix de Paris de Formule E, Jean-Pierre Wimille, le meilleur pilote de son époque, mort un an avant les débuts de la Formule 1.

Un écho dans l'Aube du 4 février, quelques jours après la mort de Jean-Pierre Wimille : «Le père du champion, journaliste sportif et lui-même épris de vitesse, pilotait un bolide qui émerveillait son fils. Un jour, le papa ne trouva plus sa voiture au garage. Le gamin s'était mis au volant et avait fait un petit tour de cent kilomètres… Il avait 14 ans ! Ce fut son premier exploit et l'origine de sa vocation.» Là, on semble dans le registre «si la légende est plus belle que la réalité, on imprime la légende». Peu importe. Ce qui est sûr, c'est que Jean-Pierre Wimille fut l'un des plus grands pilotes automobiles français de l'histoire. Il y a quatre-vingt ans, il remportait le premier Grand Prix de Paris, disputé en fait sur le circuit de Linas-Montlhéry. Si la F1 n'a jamais mis les pneus sur le bitume parisien, sa petite sœur, la Formule électrique s'y produit régulièrement, comme ce week-end. L'occasion d'un retour sur la carrière de celui qui ne fut pas seulement un immense pilote, que, dit-on, Fangio lui-même admirait, mais aussi résistant notoire et un visionnaire de l'automobile. Un homme qui aurait pu devenir le premier champion du monde de Formule 1 de l'histoire s'il n'avait disparu tragiquement dans un accident à Buenos Aires en 1949, l'année précédant celle de la naissance officielle de la discipline.

En 1933, Jean-Pierre Wimille n'a que 25 ans. Il a débuté la compétition trois ans plus tôt et s'est illustré aussi bien sur les circuits que sur la route du rallye Monte-Carlo, dont il a terminé deuxième. Le pilote Bugatti est jeune mais affiche déjà du métier comme en témoigne Georges Fraichard, dans l'Intransigeant du 6 juillet: «Lorsqu'il y a un an et même plus j'écrivais ici que Jean-Pierre Wimille possédait l'étoffe d'un vrai champion, m'étais-je tellement trompé? Il lui manquait peut-être encore quelque sagesse à ce moment mais les deux ou trois accidents qu'il eut successivement lui furent salutaires. Il sut dès lors se modérer - ce qui, inévitablement, fit dire à certaines mauvaises langues qu'il était "dégonflé"… - Dégonflé ! Non, mais je suis plus calme et je conduis maintenant en course avec beaucoup plus d'intelligence, ayant beaucoup plus de métier.»

En 1936, Wimille collectionne les victoires. Il s'impose notamment au Grand Prix de Deauville, à 125 km/h de moyenne, comme le précise le Matin du 20 juillet : «Jean-Pierre Wimille, qui courait cet après-midi son troisième Grand Prix automobile en un mois, a remporté sa troisième victoire avec le Grand Prix de Deauville. Si le succès de Wimille n'est pas exactement celui d'un favori, il n'en est pas moins parfaitement mérité.»

L'Excelsior du 18 août 1936 revient à sur l'enfance et la jeunesse du champion. «Le jeune Jean-Pierre qui, dès l'âge de quatre ans s'escrimait, tant bien que mal, du côté de Saint-Cloud à monter sur un minuscule petit vélo, rêvait-il de devenir l'un des meilleurs pilotes de course automobile français ? Car, c'est dès sa plus tendre enfance que Jean-Pierre Wimille, aujourd'hui au premier rang des conducteurs français, se livrait à des ébats sportifs ; au lycée Hoche, à Versailles, où Wimille faisait ses études, il se livra plus d'une fois aux joies de la natation et du tennis. […] Le jeune étudiant Jean-Pierre Wimille ambitionnait en effet de devenir marin. Mais, son rêve ne se réalisa pas, Wimille ne se para jamais du col-bleu, et cette vocation contrariée devait trouver une magnifique compensation dans la place qu'il allait se faire sur le plan du sport mécanique. […] Sa passion de la mécanique allait du coup s'amplifier, Jean-Pierre ne parlait plus que de moteurs, de courses et de records.»

En 1937, sur «l'autodrome» de Linas-Montlhéry, Wimille roule 200 km à la moyenne de 146,654 km/h. Un exploit qui lui rapporte 400 000 francs rapporte le Petit Parisien du 13 avril.

Cette même année 1937, toujours au volant d’une Bugatti, Jean-Pierre Wimille, associé à Robert Benoist, remporte les 24 Heures du Mans.

Deux ans plus tard, Wimille s'aligne à nouveau au Mans. Il ne pense qu'à la victoire, comme il l'avoue à l'Intransigeant, le 16 juin : «Ma Bugatti est parfaitement au point, elle est rapide, elle est résistante. Je pense que le record du tour ne résistera pas longtemps et si tout va bien, j'ai bon espoir de battre également le record général des 24 Heures. Est-il besoin de vous préciser que je participe à cette course avec l'espoir de la gagner à nouveau?»

Trois jours plus tard, le succès est total pour Wimille, qui remporte une deuxième fois les 24 Heures du Mans, associé à Pierre Veyron, en battant le record qu’il avait établi deux ans plus tôt: au volant de leur Bugatti, les deux pilotes ont parcouru 3 354,744 km en 24 heures, soit une moyenne de 139,781 km/h

Pendant la guerre, le sport automobile est au point mort. De pilote, Jean-Pierre Wimille se mue en ingénieur et conçoit, avec Marcel Lesurque, une voiture électrique capable d'atteindre 50 km/h. Paris-Soir du 20 septembre 1940, rencontre son associé qui raconte la genèse du projet. «Comme Wimille, j'étais mobilisé dans l'aviation et nous nous sommes retrouvés dans le Gers en nous demandant ce que nous allions faire une fois démobilisés… C'est alors que l'idée nous vint de transformer des petites 5 chevaux en voitures électriques. Dès notre retour à Paris, nous nous sommes attelés à la réalisation de ce projet.» Jean-Pierre Wimille ne passe pas la guerre à travailler sur sa voiture électrique. Il rejoint le réseau de résistance Chestnut, associé aux services secrets britanniques, en compagnie de deux autres pilotes Bugatti, Robert Benoist, avec lequel il a gagné au Mans en 1937, et le Britannique William Grover-Williams, vainqueur du premier Grand Prix de Monaco. «Le réseau organise des sabotages et récupère du matériel parachuté par la RAF mais il est démantelé par la Gestapo. Seul Wimille y survivra : Grover-Williams sera exécuté dans le camp de Sachsenhausen en 1945 et Robert Benoist subira le même sort dans le camp de Buchenwald en 1944», raconte leblogauto.com

Après la guerre, Jean-Pierre Wimille reprend son activité de pilote. Pour Alfa Romeo et Gordini. Parallèlement à sa carrière de pilote, il planche sur un projet de voiture de série dont il confie le design à Philippe Charbonneaux (père entre autres de la Chevrolet Corvette, de la Traction avant ou de la R16). Il collabore avec Ford, qui doit motoriser la Wimille, laquelle veut appliquer à la voiture de M. Tout-le-Monde les principes des bolides de compétition, avec un accent particulier mis sur l'aérodynamique: trois places de front, avec le conducteur légèrement en avant, «une carrosserie aux lignes fuselées, pare-brise panoramique, phares intégrés, roues indépendantes et boîte de vitesses  à commande électrique», rapporte le site Retromobile. Sorti en 1946, c'est un véhicule trop avant-gardiste, qui ne dépassera pas le stade du prototype (il n'en reste que 3 exemplaires sur les quatre produits, à voir ici, ou  ou encore ). Sur le plan sportif, il accumule les victoires au volant d'une Alfa Romeo. En 1948, en hommage à Achille Varzi, tué lors des essais, il laisse la victoire au GP de Berne à l'autre Italien de l'écurie, Carlo Felice Trossi. Alors que la création d'un championnat du monde se précise, dont il fait partie des grands favoris, il meurt le 28 janvier 1949 à Buenos Aires lors des essais du Grand Prix du président Perón, au volant d'une Simca-Gordini, victime d'une sortie de route fatale en voulant éviter un groupe de spectateurs qui assistaient à son entraînement. Il «a poussé la conscience professionnelle – cette conscience qui a toujours fait l'admiration de tous  jusqu'au sacrifice. Entre sa propre mort éventuelle et celle certaines des spectateurs, il a choisi», écrit l'Aube, du 29 janvier.

Quelques jours après la mort du pilote, l'Aube du 1er février ressort une anecdote sur sa carrière. «Wimille fonçait sinon vers la victoire au moins vers une place honorable, quand un chien traversa la piste. Le coureur donna un terrible coup de volant qui faillit le jeter contre un arbre. Il s'arrêta, respira un bon coup, remit sa voiture en ligne et repartit. Il avait perdu la course mais il n'avait pas écrasé le chien.»

L'Aube du 3 février rapporte que «sur proposition de M. André Morice, secrétaire d'État à l'Enseignement technique, à la Jeunesse et aux Sports, le Conseil des ministres a décidé à citer à l'ordre de la nation Jean-Pierre Wimille, dans les termes suivants : "Pilote d'automobiliste de très grande classe, aux qualités spécifiquement françaises, alliant à des dons de conducteur exceptionnel, à une virtuosité et une maîtrise sans égal, des qualités de droiture, de dignité, de courtoisie, qui forçaient la sympathie et l'admiration, Jean-Pierre Wimille a consacré toute sa vie à l'automobile. Sa valeur incomparable, son attitude pendant l'occupation, sa conduite pendant la campagne 1944-45 comme lieutenant pilote aviateur, en font une des figures les plus nobles du sport français." »