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Cyclisme

Avec le Team Ineos, Jim Ratcliffe espère toucher le ciel

Le magnat de la pétrochimie reprend cette semaine le célèbre Team Sky, dernière lubie sportive de la première et peu médiatique fortune du Royaume-Uni.
Jim Ratcliffe en 2016. (Photo Russell Cheyne. REuters)
publié le 29 avril 2019 à 21h16

Pour leur première course sous la bannière de Team Ineos, ce mardi pour le Tour de Romandie en Suisse, Geraint Thomas et ses acolytes courront en maillot jersey noir simplement barré du nom Ineos. Ce n’est que jeudi à Doncaster, au départ du Tour du Yorkshire, que la nouvelle équipe (avec les mêmes figures, à l’exception du coach Rod Ellingworth en partance pour l’équipe Bahrain-Merida) dévoilera son nouveau maillot et son nouveau logo. Les coureurs alignés pour cette course pédaleront sous les nouvelles couleurs, alors que ceux du Tour de Romandie finiront les six jours de course en maillot noir.

Le choix peut paraître curieux mais le nouveau propriétaire de l’équipe, Sir Jim Ratcliffe, fondateur et PDG de la société pétrochimique Ineos, souhaitait un passage de relais sur le sol britannique, après presque dix ans de sponsoring de Sky, marqués par six victoires dans le Tour de France (Wiggins, Froome et Thomas).

L’événement pourrait prendre une allure inédite avec l’intervention de militants écologistes. Le Yorkshire, cœur de l’Angleterre, est aussi un haut lieu des tests d’exploitation de gaz de schiste autorisés au Royaume-Uni. Or, Ineos et son PDG sont de fervents promoteurs de cette méthode controversée pour extraire du gaz de la roche. Jusqu’à présent, les tests ont été régulièrement suspendus après le déclenchement de mini-tremblements de terre au moment des tentatives d’exploration. Environ 15 000 masques à l’effigie de Jim Ratcliffe, la tête ornée de cornes diaboliques, ont été imprimés et seront distribués sur les bords de route le long du parcours de la course. De quoi commencer en fanfare dans le milieu du cyclisme, dont Ratcliffe, 66 ans, est lui-même un adepte.

L'homme d'affaires a pourtant peu de goût pour la publicité. Il ne donne jamais ou presque d'interviews, ne traîne pas dans les soirées médiatiques et ne fournit jamais d'explications sur ses choix en affaires, si ce n'est lors de rares interventions devant des étudiants en commerce à la London Business School où il a obtenu un MBA. Il est l'homme le plus riche du Royaume-Uni, avec une fortune estimée en 2018 par The Sunday Times à 21 milliards de livres sterling (24,3 milliards d'euros). Il a fondé Ineos - plus grosse compagnie privée britannique dont il possède toujours 60 % et qui a fait sa fortune - il y a vingt et un  ans. La société, dont les multiples branches et activités s'étalent de la pétrochimie au plastique, en passant par le pétrole et le gaz, emploie aujourd'hui 20 000 personnes.

Super-yachts

Né près de Manchester d’un père menuisier et d’une mère comptable, il a grandi dans le Yorkshire avant de faire des études d’ingénierie pétrochimique à Birmingham. Après un premier emploi à Esso, il rejoint un groupe américain, Advent, spécialisé dans le capital-investissement. C’est sans doute là qu’est née l’idée d’Ineos, fondée en 1998 par le rachat à bas prix puis le développement de branches d’activités négligées par les grands acteurs de la pétrochimie.

Il n'aime pas la publicité, mais arbore pourtant tous les clichés des grandes fortunes. Il s'est porté acquéreur de deux super-yachts, dont le dernier en date mesure 78 mètres de long. Il possède également un certain nombre de propriétés conséquentes et se bat depuis plusieurs années pour obtenir un permis de construire pour une maison luxueuse à côté de Beaulieu (prononcez «Biouli»), sur la côte du Hampshire, un coin magnifique du sud de l'Angleterre. Il a également fondé une organisation caritative, Go Run For Fun, destinée à encourager les enfants à faire de l'exercice. Il ne déroge pas non plus à l'optimisation fiscale, puisqu'après une dispute autour d'impôts à payer avec le gouvernement travailliste de Gordon Brown, en 2010, il avait transféré son siège en Suisse. C'est là qu'il a opéré une première incursion sportive avec le rachat du club de football FC Lausanne-Sport.

En 2016, réconcilié avec le gouvernement conservateur de David Cameron, il revient au Royaume-Uni et ouvre un siège dans le très chic quartier de Knightsbridge, au cœur de Londres. Mais voilà qu'en août 2018, juste après avoir été anobli par la reine, Sir Jim Ratcliffe aurait décidé de redéménager fiscalement vers… Monaco. Ces allers-retours ne l'empêchent pas de soutenir avec ferveur le Brexit, les régulations européennes - notamment en matière d'environnement - le gênant notablement dans le développement de ses activités. Le mois dernier, Ineos a menacé de fermer une de ses usines s'il n'obtenait pas des dérogations en matière de respect de l'environnement. L'Agence gouvernementale de l'environnement a révélé que «les émissions de l'usine Seal Sands d'Ineos sont largement au-dessus des limites légales et posent un risque pour l'environnement».

Expéditions

Marié deux fois et père de trois enfants, Jim Ratcliffe est un aventurier sur les bords, avec des randonnées à moto en Afrique du Sud ou des expéditions aux deux pôles dans ses archives. Depuis deux ans, il a tourné ses regards, et sa fortune, vers des investissements sportifs. Après avoir tenté d’acheter le club de football de Nice, il a approché l’oligarque Roman Abramovich pour lui ravir le club de Chelsea. Mais le prix offert, environ 2 milliards de livres (2,3 milliards d’euros), n’a semble-t-il pas satisfait le Russo-Israélien.

En 2018, il s'est associé au multiple champion olympique de voile britannique Ben Ainslie pour financer la campagne de la 36e Coupe de l'America, en 2021. Et puis, en mars, il a annoncé qu'il reprenait l'équipe cycliste Sky. Il y a quelques années, il disait que «chacun devrait, s'il le peut, essayer de maximiser le nombre de journées inoubliables».