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A Roland-Garros, le temps retrouvé du maître Federer

Le Suisse, pour son retour à Paris dimanche après trois ans d’absence, s’est offert une victoire facile (6-2, 6-4, 6-4) face à l’Italien Lorenzo Sonego. L’occasion de montrer une créativité intacte.
Roger Federer, dimanche porte d'Auteuil. (Photo Christian Hartmann. Reurters)
publié le 26 mai 2019 à 20h36

Assister au grand retour Porte d'Auteuil du Suisse Roger Federer après un carême de trois ans, c'est s'offrir un merveilleux moment de civilisation. Dans les travées de Roland-Garros, l'actuel 3e mondial est une rock-star, dont on chante le nom à chaque entraînement et qui change parfois ceux qu'il croise en statues de sel. Mais il en va tout différemment lors de ses matchs. Là, les bonnes manières effacent l'expression brute des passions des hommes : respect pour tout le monde, distance et considération polie même si la ferveur sourd - la tenue de la note plutôt que le volume - pour qui sait l'entendre.

Promis au sacrifice dimanche en milieu d’après-midi sur un court Philippe-Chatrier rempli jusqu’aux cintres, Lorenzo Sonego, un grand (1,91 mètre) Turinois ayant découvert le tennis à 11 ans avant d’arracher ses premiers points sur le circuit ATP à 19, a ainsi eu la surprise de se voir chaleureusement soutenu par le public à chaque fois qu’il a dû faire face à des balles de break, c’est-à-dire souvent : du coup, il a quitté le court (et le tournoi, victoire du Suisse 6-2, 6-4, 6-4) avec un sourire jusqu’aux oreilles.

Au même moment, Federer s'exprimait au micro de l'ancien joueur Cédric Pioline, recueillant les impressions du vainqueur sur le court après les matchs. Alors Roger, heureux ? «Oh oui, plutôt. Dites, ce n'était pas facile. J'ai fini par réussir à me relâcher, mais j'étais crispé au début.» Pioline : «Euh… ça ne s'est pas vu.» Federer : «Heureusement non ! Merci beaucoup à vous tous. L'accueil est sympa. Les courts sont très jolis. Ça aurait été dommage de devoir disputer ce tournoi ailleurs [il en avait été question un temps, ndlr]. J'ai mes repères, moi. J'adore venir à Paris.»

«A la papa». Aucune chance que Federer ait été «crispé», même pas en rêve : en revanche, Sonego s'est liquéfié tout de suite, tombant dans le panneau d'un adversaire qui gagne le tirage au sort et le laisse servir le premier (break d'entrée pour le Suisse, double break au bout de huit minutes) et implorant son camp du regard comme un enfant cherche ses parents dans la foule. Federer l'a fait «à la papa», du début à la fin : regards noirs, petit temps de suspension au moment de crucifier un Sonego perdu à mi-court comme pour dire «tu veux que je te la mette où ?» et une amortie insensée sur un retour de service (!) lui assurant le break d'entrée dans la deuxième manche, amortie qui a court-circuité le cerveau de l'Italien les trois jeux suivants, le temps qu'il l'oublie.

C’était le but : tout ce que fait Federer doit être replacé dans une perspective temporelle, manière de dire qu’il y en a pour après quand il y en a pour tout de suite. Le Federer qui a repris pied à Roland-Garros dimanche est un drôle de joueur. Entre l’invitation au voyage et le pied à coulisse. Il mesure tout : la qualité incomparable de ses réflexions devant la presse vendredi et dimanche dit la séduction et la reprise en mains d’un auditoire, les hommages aux spectateurs français visent à s’assurer le soutien d’un public qu’il n’a pas vu depuis 2015 et son extraordinaire créativité tennistique ne s’est jamais exprimée avec autant d’éclat, du moins en ces lieux, d’où l’invitation au voyage visant à noyer ses opposants dans un monde inhabituel et vaste.

«Modèle». Accessoirement, cette créativité (coups joués court pour attirer l'adversaire au filet, services-volées, chips de revers, feux d'artifice d'effets différents au service…) raccourcit les points : pas un luxe pour un athlète de 37 ans redécouvrant une terre battue traumatisante «pour les hanches et le bas du dos», et qui confessait dimanche avoir redécouvert ces blocs d'entraînement basés sur l'endurance qu'il n'aime guère. Pressentir les desseins du joueur est une chose. Faire sortir ces mots-là de la bouche de Federer en est une autre.

On a essayé. «Vous savez, je regarde ceux contre qui je joue, a répondu le Maestro. Et les joueurs de terre battue sont souvent construits sur le même modèle : tu frappes fort côté coup droit, tu frappes fort côté revers et tu distribues en rythme depuis la ligne de fond de court, tu fais des rallyes, sans chercher à venir au filet. Je pourrais rester dans cette gamme-là. Et je gagnerais peut-être. Mais je sais faire autre chose, et ces choses-là ont pour effet de rendre mal à l'aise les joueurs de terre battue. Quand vous les attirez au filet avec une balle courte, c'est intéressant. Quand vous disputez les points en changeant le rythme, c'est intéressant aussi. Et j'aime faire ces choses différentes. Mais ça ne signifie pas que je manque d'endurance, si c'est le sens de votre question.» Du très haut niveau : dire le contraire aurait ouvert une brèche, et un joueur comme lui ne desserre jamais l'étreinte.

Fut un temps où Federer s’ingéniait à battre ses adversaires dans leur propre filière : les dominer ainsi, c’était les casser psychologiquement et les dominer les dix fois suivantes. Aujourd’hui, il fait plus simple et déroule son truc. Il se ressemble, en fait.