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Roger Federer emporté par les rafales et Nadal

Dans des conditions climatiques limites, l'Espagnol s'est imposé facilement en demi-finale de Roland-Garros. Le Suisse n'en a pas paru trop affecté.
Rafael Nadal après sa victoire face à Roger Federer en demi-finales de Roland-Garros, ce vendredi. (Philippe LOPEZ/Photo Philippe Lopez. AFP)
publié le 7 juin 2019 à 18h59

«Ah, je ne sais pas, il faut que j'enlève le sable des yeux… Avec Rafa [Nadal], sinon, on ne verra pas ce qu'on mangera ce soir. On sort d'un… comment on dit ? Le truc avec les enfants. Un bac à sable! Je ne sais pas si vous vous êtes rendu compte, c'était juste fou ce vent. Si on avait mis un toit, il s'envolait [rires]. C'est vrai ! Ce n'est pas une excuse. Il y avait du vent pour les deux joueurs encore que non, Rafa en a eu moins… Je plaisante, hein ?» La folle course de Roger Federer sur une terre battue qu'il redécouvrait cette année après un sevrage de trois saisons s'est donc achevée vendredi, au stade des demi-finales contre son meilleur ennemi Rafael Nadal et sur un score rude: 3-6, 4-6, 2-6.

Pour autant, le Suisse a quitté le tournoi d'excellente humeur. On sait bien qu'un joueur perd toutes les semaines sauf à gagner le tournoi et que la gestion de la défaite – passer à autre chose – est l'une des clés d'une carrière. Mais quand même. Souriant, aimable, un peu farceur avec ce petit côté rustique pour la touche helvète : on s'est demandé si, dès fois, il ne fallait pas revisiter le film depuis le départ à la lumière de son dénouement. Federer ne pouvait pas remporter le tournoi: il a donné vendredi l'impression de l'avoir toujours su. «Je ne sais pas si vous imaginez le niveau qu'a atteint Rafa [Nadal] sur terre, a expliqué le Suisse après-coup. C'est incroyable. Je me le suis dit durant le match, tenez : même quelque chose d'approchant, ça n'existe pas.» Pendant le match ? Ça revient à non pas renoncer, mais adopter une attitude un peu passive et ça… Federer, toujours: «Le simple fait de trouver un sparring-partner pour préparer un match contre Rafa est impossible. Comment voulez-vous trouver quelqu'un comme lui ?»

«Il n’y a pas deux Federer»

Une demi-heure plus tard, Nadal, qui ne connaîtra son adversaire en finale que samedi après l'interruption du match Djokovic-Thiem (1), n'a pas bronché quand on lui a rapporté le compliment: «Mais moi non plus, je ne trouve personne comme Federer pour préparer mes matchs contre lui. Il n'y a pas deux Federer dans ce monde. Et heureusement d'ailleurs.» La pièce s'est illuminée d'un seul coup: on a enfin eu l'impression de comprendre quelque chose à ce Roland-Garros 2019 et au retour du maître porte d'Auteuil. Federer était en opération séduction. Le fait de gagner des matchs et de jouer comme un dieu faisait bien entendu partie du plan mais n'en constituait pas la portion exhaustive: il y avait tout le reste, le lancement d'une collection de vêtements coordonné par son nouveau sponsor textile, ses interviews passionnantes, cette nostalgie non feinte qu'il laissait paraître pour le jeu et ceux qui le font vivre. Nadal, lui, est venu gagner un tournoi.

Et il se fout du reste : moins il y a de Federer ici-bas et mieux ça vaut, indépendamment de ce qu'il en pensera une fois ses raquettes rangées une bonne fois pour toutes. L'Espagnol s'est vu poser une question passionnante: le Suisse accusant 37 ans, le fait qu'il affrontait peut-être son meilleur ennemi pour la dernière fois porte d'Auteuil lui est-elle venue ? «Pas du tout. Je n'ai jamais pensé que c'était la dernière fois et croyez-moi, ça ne m'a même pas effleuré l'esprit. La logique écrasante de la vie nous pousse à penser que la fin approche, que c'est inéluctable. Il y a des signes, les blessures par exemple. Lui [Federer] comme moi, nous apprécions ces moments passés sur le court par-dessus tout. On a un certain âge. Mais en même temps, les deux joueurs qui ont un certain âge, ils viennent de disputer une demi-finale de Roland-Garros. Il y a cinq ans, je n'aurais jamais imaginé que l'on serait encore là lui et moi, et qu'on disputerait un match avec un tel niveau de tennis. On me dit que disputer 12 finales ici [pour 11 victoires, en attendant celle de dimanche, ndlr], c'est incroyable. En même temps, on en est là, donc c'est réel, ce n'est pas incroyable. Le jour où tu trouves ça incroyable, c'est le signe qu'il faut faire autre chose. Le tennis ne donne pas la possibilité d'être heureux quand tu gagnes et triste quand tu perds : le circuit continue, tu as un tournoi à jouer derrière. Quand j'arrêterai le tennis, je profiterai de mon temps libre pleinement, chaque jour.»

Et là, on a eu l'impression que Nadal parlait d'un mort. Ce n'est pas d'hier : le Majorquin a empilé ses 17 titres du Grand Chelem en étant plus intense, plus habité, plus vivant que qui que ce soit d'autre et cet extraordinaire sens du moment qui fait sa force ne souffre aucun dérivatif. Cela dit, il aurait battu Federer ce vendredi même s'il avait dû jouer monté sur un cheval. Alors Rafa, le vent ? «Je me suis dit qu'il ne fallait pas se plaindre, ou au minimum. C'était un jour à être concentré, positif; un jour à accepter tout ce qui va contre toi.» Une grande leçon de tennis.

(1) Thiem menait 6-2, 3-6, 3-1.