Chaque semaine avec RetroNews, le site de presse de la BNF, retour sur une histoire de sport telle que l’a racontée la presse de l’époque. Ce samedi : la naissance des 24 Heures du Mans, en 1923.
La naissance puis la croissance de l'industrie automobile, à la fin du XIXe et au début du XXe siècles ont trouvé dans le sport une suite logique avec la création de plusieurs courses, notamment en France. Ainsi, dès le 14 juin 1906, le Petit Parisien annonce qu'une nouvelle épreuve, le Grand Prix de l'automobile se disputera deux semaines plus tard au Mans, sur un circuit de 103 km. Pour le journal, le règne de l'automobile est arrivé, il est vain de vouloir contester cette évidence. «A pas de géant, consciente de sa force, méprisant ses détracteurs, dédaignant ses ennemis, l'automobile s'est imposée. Dès sa naissance, ayant conquis le sommet de l'échelle sociale, la voici s'attaquant, victorieuse déjà, à la grande masse populaire. […] Quel esprit sain, quel cerveau raisonnable libéré de vains préjugés oserait, à l'heure présente, nier cette royauté, combattre cette puissance, s'attaquer à cette suprématie ? […] Et, puisque la plus noble conquête de l'homme, selon Buffon, a son grand prix annuel, pourquoi la plus belle conquête de l'ingénieur sur la matière n'aurait-elle point le sien ? C'est cette question, sans doute, que se posait la Société d'encouragement à l'automobile lorsqu'elle vota le principe du Grand Prix des 26 et 27 juin prochain. De même, en effet, que les courses de l'hippodrome donnent d'excellents résultats à l'élevage, les épreuves d'automobiles laissent derrière elles de précieux renseignements à la construction. Nous avons eu, jusqu'ici, en France, de grandes courses. Paris-Vienne. Paris-Madrid, la Coupe de l'alcool, les Coupes Gordon-Bennet, mais toutes ces épreuves, dit-on, doivent voir leur éclat passé se ternir devant ce que doit être le Grand Prix de l'automobile futur. Le Grand Prix annuel, ouvert à toutes les marques de fabrique du monde entier, suivant un règlement égal pour tous, doit rester l'épreuve type, la course classique.»
Le 1er juin 1922, l'Excelsior annonce la naissance d'une nouvelle course. «L'Automobile club de l'Ouest, toujours à l'affût de la nouveauté, vient de créer une épreuve d'un genre nouveau, qui ne peut manquer d'attirer l'attention de tous ceux qui s'intéressent au développement du sport automobile. L'Automobile club de l'Ouest entreprend de faire la preuve que dès maintenant l'automobile peut, dans bien des cas, être supérieur à tout autre moyen de transport. Il veut prouver qu'aucun moyen de communication, en dehors de l'automobile, n'est capable de toucher par le dépôt d'un pli spécial, en moins d'une journée toutes les communes de France. Cette épreuve, à la fois sportive et utilitaire, est destinée à montrer qu'en cas de mobilisation, de catastrophe, ou pour tout autre cas, qu'il ne nous est pas interdit de supposer par exemple une grève générale des chemins de fer, l'Etat pourrait compter sur l'automobile pour établir une liaison pratique et rapide avec ses 37 965 maires. Le dimanche 18 juin, partiront de Paris des automobiles sur les quatre itinéraires suivants Paris Cherbourg, Paris-Rennes, Paris-Nantes, Paris-Poitiers. Les conducteurs remettront dans chaque chef-lieu des départements traversés un sac de dépêches contenant un pli imprimé pendant la nuit à Paris.»
Une première course de 24 heures, est créée en 1922, le Bol d'Or, réservé aux cyclecars, des voitures très légères à deux places qui disparaîtront à la fin des années 1920. Le Petit Parisien en rend compte le 5 juin. «Sur vingt-sept engagés dans la catégorie des cyclecars, à une épreuve du Bol d'Or, qui, rappelons-le, consistait, sur le circuit de Vaujours, à tourner pendant vingt-quatre heures, onze seulement ont terminé l'épreuve.» Parallèlement à cette course et sur le même principe, se déroulait également une course de motos. Seule l'épreuve sur deux roues perdurera et existe encore aujourd'hui. La version automobile s'est disputée pour la dernière fois en 1955.
La première édition des 24 Heures du Mans se dispute en 1923. La course s'appelle officiellement Le Grand Prix d'Endurance de 24 heures : «L'Automobile Club de l'Ouest vient d'arrêter la liste définitive des engagements, écrit le Petit Journal du 4 mars. Les constructeurs ont certainement trouvé la formule très intéressante, car seize d'entre eux se sont engagés à y participer. Il y a longtemps que la liste d'engagements de nos grandes épreuves automobiles avait réuni une telle diversité de marques.»
Le Petit Marseillais du 17 mai, annonce que ce sont finalement 18 constructeurs qui s'aligneront aux 24 heures. Et informe que les organisateurs ont prévu de divertir le public, qui pourrait trouver le temps un peu long. «Pour la première fois, dix-huit grandes firmes automobiles vont participer, les 26 et 27 mai, à une épreuve d'endurance de vingt-quatre heures, qui sera officiellement contrôlée et qui comptera pour la première Coupe de triennale Rudge-Whitworth. Le grand prix d'endurance sera organisé par l'ACO (Automobile club de l'Ouest, ndlr), d'une façon parfaite ; mais cette épreuve, qui se déroulera sans interruption pendant deux tours de cadran, risquerait de devenir monotone pour les nombreux automobilistes qui se rendront sur le Circuit permanent de la Sarthe, à cette occasion. L'ACO a résolu la difficulté et il prépare à ses tribunes des Raineries une série d'attractions qui ne manqueront pas d'originalité. Nous y verrons tout d'abord un feu d'artifice sportif, qui n'aura certainement pas de lendemain. Toutes nos grandes firmes s'y sont intéressées, et cet événement constituera une surprise très agréable… Sur un écran en plein air passeront les films représentant les événements sportifs et mondiaux les plus récents, ainsi que toutes les grandes manifestations automobiles qui se sont déroulées depuis 1906.»
La première édition de la course est marquée par des conditions climatiques difficiles, comme le raconte le Petit Parisien: «Le Mans connaît à nouveau l'agitation des grandes épreuves automobiles à l'occasion du Grand prix d'endurance de vingt-quatre heures. Cependant, le temps ne se prête guère à une manifestation sportive. Ce matin même, un orage terrible s'est abattu sur la région, transformant la plupart des routes en boueux marécages. Les trente-trois véhicules sont rangés sur la piste en file, deux par deux, de chaque côté de la route. Il n'est, pas d'autres forfaits que ceux des Voisin. Les dernières secondes s'écoulent, durant que la pluie se calme un peu, et au signal du chronométreur Carpe, dans l'habituel grondement des moteurs, tous les concurrents démarrent. Les premières heures s'écoulent sans aucun incident. Lagache de Tornac et Dauvergue mènent très vite malgré la pluie qui ne cesse pas et la boue qui gicle en jets lourds et jaunâtres. L'épreuve n'est pas une course de vitesse et pourtant la plupart des concurrents roulent à grande allure ; ils semblent tous avoir hâte de terminer le parcours qui leur est imposé. À la fin de la première heure, six concurrents avaient couvert cinq tours et une partie du sixième… Étaient donc en tête Lagache de Tornac, Dauvergne, Dillo, Duff, Dauvergue. Vers la fin de la soirée, le mauvais temps cesse enfin, et les voitures continuent à tourner à toute allure sur le circuit largement éclairé, surtout dans les virages.»
Est-il juste de désigner un vainqueur à cette course, ou faut-il récompenser tous les pilotes ayant tenu pendant les deux tours de cadran, après tout on parle du Grand Prix d'Endurance? Le Journal du 28 mai soulève la question: «Théoriquement, les résultats du grand prix de vingt-quatre heures se doivent annoncer ainsi : 30 voitures sont qualifiées pour la seconde coupe triennale Rudge Whitworth, puisqu'elles ont couvert les distances imposées réglementairement. Il ne peut y avoir de classement et toutes ces voitures sont ex aequo. Ceci, c'est la théorie : mais le public, lui, a tôt fait de traduire l'épreuve tout autrement. Les gagnants sont ceux qui ont couvert la plus grande distance dans ces vingt-quatre heures. Il y a pourtant une double injustice à raisonner de cette manière : d'abord parce qu'il n'y a de preuve aucune démarcation de catégorie et qu'ainsi se trouvent sur le pied d'égalité des véhicules de puissance très différente ; d'autre part, se basant sur le règlement, certains concurrents se sont présentés avec de braves voitures de tourisme non spécialement mises au point et les ont fait, au surplus, tourner à l'allure qui semblait être celle désirée par la formule de l'épreuve.»
Le Journal n'est pas suivi dans son combat et pour le reste de la presse, un équipage a bel et bien remporté cette première: André Lagache et René Léonard sur une Chenard & Walcker. Ils ont couvert couvrirent 128 tours à la moyenne de 92,064 km/h. Le Figaro du 28 mai est enthousiaste: «L'épreuve d'endurance de vingt-quatre heures pour la Coupe Rudge-Whitworth s'est terminée en apothéose ! Pas un instant durant les vingt-quatre heures, l'intérêt ne s'est ralenti, car quoique les conditions du règlement prévoyaient un minimum seulement imposé, les leaders poussèrent longtemps et cherchèrent à établir des performances sensationnelles. Aussi nous avons pu assister à la chute successive de tous les records.»
Dès cette première édition, les 24 Heures du Mans deviennent une institution, un laboratoire technologique et fournissent des arguments publicitaires pour les constructeurs qui y ont tenu la distance comme en témoignent ces articles. «Il convient de revenir sur le concours d'endurance de 24 heures du Mans, pour souligner la performance remarquable accomplie par les deux voitures Georges Irat, tant au point de vue kilométrique qu'à celui, le plus important peut-être, de la consommation, peut-on lire dans le Temps du 30 mai. Les deux Georges Irat étaient soumises au contrôle officiel de la consommation, qui a été de 8 litres 600 aux 100 kilomètres. Ce remarquable résultat a été obtenu avec des voitures non truquées, des modèles de série, dont le moteur ni la carrosserie, ni aucun organe n'avait été modifié. C'est dans ces conditions qu'a été réalisée une vitesse moyenne de plus de 75 kilomètres à l'heure. Aujourd'hui que la clientèle recherche le véhicule susceptible de lui rendre les meilleurs services avec le minimum de dépenses, la performance réalisée par cette marque est bien significative et sa portée doit être considérable. Elle mérite la meilleure attention et fait honneur à M. Georges Irat, le créateur de la voiture de grande classe, de grand luxe, qualités alliées à celle, si importante, de la moindre consommation.»
Dans le même journal, le lendemain: «Le Fram-Vermot est un nouveau ressort de suspension dont le principe est applicable à tous les ressorts sans modification aux châssis. Les 24 heures du Mans ont servi des essais de début, qui ont été concluants…»
Quant à l'Intransigeant du 31 mai, il porte mal son nom, son article sur le constructeur Rolland-Pilain tenant plus du panégyrique. Qu'on en juge: «La Maison Rolland-Pilain, en prenant part au concours d'endurance de 24 heures du Mans, a tenu à respecter scrupuleusement le règlement. Et pour une épreuve de régularité comme celle-là, elle a mis en ligne quatre voitures de série, dont l'une, appartenant à un client avait déjà roulé depuis un an. Rolland-Pilain est la seule maison ayant aligné quatre voitures et ayant ses quatre voitures à l'arrivée. Comme il est indiscutable que l'intérêt principal de l'épreuve du Mans surtout dans la démonstration de régularité il n'est pas exagéré de dire que la Maison Rolland-Pilain est la grande triomphatrice des 24 heures.»
Suite de l'histoire. Les 24 heures du Mans, disputées sur le circuit de la Sarthe, se sont imposées comme une institution et sa longue ligne droite des Hunaudières est un monument du sport auto, comme le sont quelques cols mythiques du cyclise. Sur cette portion de la D338, longue de 5,5 kilomètres, on a atteint des vitesses folles (405 km/h) en 1988. A tel point qu'on y a implanté deux chicanes depuis 1990 pour freiner les pilotes. On considère que c'est l'une des trois courses les plus prestigieuses au monde avec les 500 miles d'Indianapolis et le GP de Monaco de Formule 1. Plus de 255 000 spectateurs y ont assisté l'an dernier. Son format a été «copié»; des courses de 24 heures se disputent notamment Daytona (Etats-Unis), au Nürburgring (Allemagne) ou à Spa-Francorchamps (Belgique). Depuis 1985, les équipages sont constitués de 3 pilotes. Depuis 2012, elle fait partie du championnat du monde d'endurance de la Fédération internationale de l'automobile.
Le Mans a toujours été un laboratoire de l’automobile. On y a testé des moteurs permettant de rouler plus vite tout en consommant moins. En 1963 on y a vu une voiture équipée d’une turbine à gaz et, en 1970, une avec un moteur rotatif. Les phares antibrouillard ont été inventés pour cette course qui a vu nombre d’innovations testées comme le frein à disque ou la jante, entre autres.
De Ferrari à Jaguar, de Ford à Alfa Romeo en passant par Peugeot, Matra, Bugatti, Mercedes ou Aston Martin ont inscrit leur nom au palmarès. Mais l’épreuve, au départ de laquelle s’alignent plusieurs catégories de voitures (prototypes, Grand tourisme, professionnels et amateurs) souffre aujourd’hui de la désaffection des pilotes connus internationalement et de celle des grands constructeurs. Ainsi l’édition de cette année est-elle promise à Toyota, faute d’opposition au constructeur japonais, Porsche et Audi qui ont le plus gagné au Mans (respectivement 19 et 13 fois), ayant notamment déserté le circuit sarthois.