Mise à jour le 19 juin à 6h55 : Michel Platini est ressorti libre de sa garde à vue dans la nuit de mardi à mercredi, sans qu'aucune charge n'ait été retenue à son encontre.
Quand il était locataire de l'Elysée, l'ancien président François Hollande s'amusait à appâter le visiteur : «C'était peut-être dans cette pièce-là ? Ou bien ici ?» Sourire entendu à l'appui. Le 23 novembre 2010, neuf jours avant le scrutin de la Fédération internationale de football (Fifa) qui allait désigner les pays organisateurs des Mondiaux 2018 et 2022, ils sont six à participer à un déjeuner secret, devenu depuis le plus médiatisé et fantasmatique de toute l'histoire du football : le président français Nicolas Sarkozy, le président de l'Union européenne de football (UEFA) Michel Platini, le secrétaire général de l'Elysée Claude Guéant, la conseillère sport de Sarkozy Sophie Dion, le Premier ministre qatari Hamad ben Jassem al-Thani et, surtout, le prince héritier du Qatar (et actuel émir depuis 2013) Tamim ben Hamad al-Thani.
Concernant l'attribution des compétitions à venir, le plan initial du président de la Fifa Joseph Blatter était simple, tiré au cordeau : la Russie pour 2018, les Etats-Unis pour 2022, la Chine pour 2026 et le Prix Nobel de la Paix dans la foulée pour le Valaisan, pour avoir établi un pont entre grandes puissances en utilisant le jeu préféré des hommes et l'organisation de sa compétition la plus œcuménique comme trait d'union. La réunion du 23 novembre va infléchir la course des planètes : Platini retourné comme une crêpe («en un simple déjeuner !» pestait Blatter), les voix des pays européens portées par l'ancien joueur changent de direction et le Qatar obtient la Coupe du monde 2022. Une réunion qui s'est rappelée mardi au bon souvenir de Platini : convoqué dans la matinée dans les locaux de la police judiciaire à Nanterre (Hauts-de-Seine) dans le cadre des investigations sur l'attribution possiblement litigieuse du Mondial qatari, l'ancien joueur a eu la surprise de se voir placé en garde à vue. Dans un communiqué, son avocat, William Bourdon, a tenu à préciser que ce régime coercitif n'avait été choisi que «pour des raisons techniques». Et assuré qu'il s'agissait «d'une audition comme témoin dans le cadre voulu par les enquêteurs, cadre qui permet d'éviter que toutes les personnes entendues, puis confrontées, ne puissent se concerter en dehors de la procédure». Guéant, lui, a été entendu sous le statut de «suspect libre».
Puzzle
Ouverte en 2016, l'enquête est conduite par le Parquet national financier, en collaboration avec les autorités judiciaires suisses et américaines ce qui, du point de vue de Platini, est loin d'être un détail. Selon Mediapart, elle porte sur des faits de «corruption privée», «association de malfaiteurs», «trafic d'influence et recel de trafic d'influence». Lors d'une longue enquête, France Football avait raconté que la mise en relation des différentes parties prenantes - les Qataris, l'Etat français et le président de l'UEFA, pour résumer - visait à construire un puzzle complexe, irrigué par l'argent de l'émirat gazier : le Qatar rachète le PSG via Qatar Sports Investments (QSI) pour redonner du lustre à un football hexagonal largué dans la course à l'armement post-arrêt Bosman (qui a supprimé les quotas de joueurs étrangers dans les clubs européens) ; il monte aussi une chaîne de télé sportive concurrençant Canal + pour faire monter les droits de retransmission et pousser les budgets des clubs à la hausse ; et en compensation, il obtient un Mondial à domicile.
Interrogé par nos soins, Nicolas Sarkozy a toujours nié ces négociations. Le jeu qu'on lui prête s'entendait pourtant : gonfler la puissance financière du foot français. Celui des Qataris aussi : après des décennies à organiser des compétitions internationales de second ordre pour plaire à la Fifa (tournoi de jeunes, etc.), il se voyait confier la plus porteuse de toutes. En revanche, les motivations de Platini sont plus floues : expliquant ne pas avoir été prévenu de la présence des Qataris au déjeuner, l'édile a ensuite justifié son revirement - il a admis avoir eu l'intention initiale de voter pour les Etats-Unis - par la volonté «que la Coupe du monde soit attribuée à un pays et une partie du monde qui ne l'avaient jamais accueillie». Puis par la nécessité de donner enfin un Mondial à un pays arabe, l'idée étant que le Qatar rétrocède des matchs à ses voisins - Emirats arabes unis, Oman, Barheïn, Koweït. Un scénario que les tensions dans le Golfe ont rendu obsolète.
Baïonnette
Elu à la tête de l’UEFA en 2007 grâce aux «petits» pays, Michel Platini n’aura eu de cesse de leur ménager un véritable accès à la Ligue des champions, accès qui s’est bouché à peine l’ex-sélectionneur torpillé par ses soucis judiciaires. Dont il est sorti ou presque : mis hors de cause par la justice suisse dans l’histoire du versement prétendument déloyal de 2 millions de francs suisses (1,8 million d’euros) par la Fifa pour un travail de conseiller entre 1999 et 2002, sa suspension de toute fonction élective ou rôle dans le foot prendra fin en octobre. Mardi, ses proches faisaient un lien entre la brusque remontée à la surface d’un dossier judiciaire en cours depuis trois ans et ce retour imminent de Platini dans le monde du foot, des proches qui ne savaient pas vers qui regarder pour autant.
La main de la justice américaine, partie prenante de l’enquête en cours mais aussi grande timonière du nettoyage radical de la Fifa depuis 2015, qui finirait ainsi Platini à la baïonnette après l’avoir écarté du jeu depuis quatre ans ? Celle de l’actuel président de la Fifa, Gianni Infantino, qui échange des amabilités avec Platini par presse interposée depuis un mois, et qui aurait promis à Emmanuel Macron un déménagement partiel de l’institution en France ? Difficile à dire. Mais l’idée de voir revenir Platini avec l’aura de celui qui a été torpillé à tort, puisqu’il n’est plus accusé de rien, doit attiser le foyer. Foutu déjeuner quand même.