Chaque semaine avec RetroNews, le site de presse de la BNF, retour sur une histoire de sport telle que l’a racontée la presse française de l’époque. Ce samedi : Virginie Hériot, qui, bien avant Florence Arthaud ou Isabelle Autissier, porta haut le pavillon français.
1925, la France a une championne d'exception mais elle ne le sait pas. Il faut dire que Virginie Hériot ne cherche pas la lumière. Elle n'est pas une bonne cliente pour la presse, l'Intransigeant du 28 octobre le déplore. «Parce que telle est sa volonté, Mme Virginie Hériot n'a pas dans le monde sportif la renommée que possèdent certaines sportives. Cependant, ses exploits mériteraient d'être cités en détail, commentés et louangés. […] Il est malheureux qu'une vie sportive aussi brillante […] soit ignorée du grand public. […] On doit à la vérité de préciser que Mme Hériot est jalouse de son existence paisible […] Elle se refuse obstinément à n'importe quelle confidence.» Il faut dire qu'elle «pratique un sport qui chez nous est effacé et n'est permis qu'à une élite sociale».
Née en 1890 en région parisienne dans une riche famille héritière de Grands magasins du Louvre, Virginie Hériot est une «yachtwoman», la meilleure du monde. Dès les origines, la voile est l'un des rares sports mixtes. Virginie Herriot vit une partie de l'année sur son bateau, l'Ailée. «Elle s'aligne dans des compétitions avec des bateaux de huit mètres qui tous portèrent ou portent le nom d'Ailée avec un numéro d'ordre de construction. Tous les ans, elle est la concurrente la plus acharnée et la plus tenace des meetings européens. Elle commande et pilote ses équipages avec une identique maîtrise. […] Depuis le début de sa carrière sportive, qui remonte à sept ans, Mme Hériot a remporté plus de cinquante premiers prix, tous de très grande valeur. Mais elle ne se contente pas des résultats obtenus et veut toujours se surpasser. […] Son ambition prédominante est de s'adjuger la Coupe de France qui est la sœur de la fameuse Coupe America.»
«L'intrépide navigatrice qui ne cesse d'encourager en France la navigation à voile par son exemple et ses dons vient d'être décorée de la légion d'honneur, rapporte Comœdia du 5 février. Mme Hériot, qui navigue depuis 1903, et depuis 1910 sur des bateaux lui appartenant, est très connue à Saint-Malo où on la vit encore, au mois d'août dernier, à bord de son yacht l'Ailée, ancien Météore ayant appartenu jadis à l'empereur d'Allemagne.»
En 1928, Virginie Hériot conquiert le titre olympique à Amsterdam, dans la catégorie des 8 mètres, sur l'Aile-VI, à bord duquel elle dirige un équipage de cinq hommes. La nouvelle n'émeut pas outre mesure la presse française qui se contente d'annoncer sans cocoricos la médaille d'or de la «Queen of yachting» comme l'appellent les Anglais. Le Journal du 10 août publie tout de même une photo de la médaillée d'or. Dans l'édition du 31 juillet, un journaliste de l'Echo de Paris raconte toutefois qu'il a effectué le voyage Paris-Amsterdam avec la future championne olympique. Qui lui a adressé une demande : «Surtout, si vous parlez de moi, soyez assez gentil pour insister sur ce fait que mes bateaux sont de construction française, ce qui est un fait malheureusement trop rare dans le monde du yachting. Je tiens à prouver que nos architectes navals sont parfaitement aptes à établir de fins racers.»
Le titre olympique de Virginie Hériot n'a pas échappé à l'Union des sociétés nautiques française qui a décidé de lui décerner un trophée, écrit le Journal le 17 octobre 1928. Qui à cette occasion rapporte une anecdote. «Un jour que Jean Charcot [explorateur polaire, lui-même médaillé olympique en voile en 1900, ndlr], sur son Pourquoi-Pas ?, manœuvrait par gros temps pour se mettre à l'abri dans un port de la Manche, son timonier s'écria : "Un voilier sur l'avant va couper notre route !" Et il ajouta en grognant, et pour lui tout seul, à n'en pas douter : "Nom… d'une chique, il y a une femme à bord ! Elle n'a pas peur de l'eau, celle-là !" Celle-là, c'était Mme Virginie Hériot. […] Dans sa longue capote cirée, elle avait grande allure, beaucoup de chic. Quand les bateaux se croisèrent, Jean Charcot salua la "commandante" qui lui rendit son salut de la main, gentiment.» On apprend dans le même article le lancement prochain de l'Ailée, le nouveau yacht de Virginie Hériot. Entorse à son patriotisme, elle le fait construire en Angleterre. Le voilier promet d'être d'une élégance rare, car «Mme Virginie Hériot est femme de goût» : si «certaines femmes s'enorgueillissent de leurs notes de couturiers, elle est fière de ses notes de chantier». «Sa nouvelle Ailée, goélette de cinquante mètres de longueur, a besoin de 919 mètres de fins tissus pour s'élancer sur l'océan. Il lui faut aussi une "mannequin" de 37 mètres de hauteur.» (On croit comprendre qu'il s'agit du mât.) Encore aujourd'hui, l'Ailée est considéré comme l'un des plus beaux voiliers de l'histoire de la marine.
L'Echo de Paris du 19 décembre 1928 publie une photo de l'Ailée mouillant dans le Vieux-Port de Marseille. Contrairement à ce que racontait le Journal deux mois plus tôt, l'Echo écrit : «Il n'est pas inutile de dire qu'il a été entièrement construit en France (au Havre), car Mme Hériot tient à prouver que nos chantiers navals sont très capables d'établir de grandes unités de plaisance […]» L'Echo en profite pour tresser des couronnes de laurier à la navigatrice en particulier, et à toutes les championnes françaises en général. «Si le sport masculin n'apporte pas toujours aux Français des satisfactions d'amour-propre, il faut convenir que, pour être assez récent chez nous, le sport féminin nous vaut de belles compensations. Mlle Suzanne Lenglen n'a-t-elle pas été la reine du tennis ? Melle et Mme Thion de la Chaume ne figurent-elles pas en tête des joueuses de golf international ? Enfin, Mme Virginie Hériot n'est-elle pas désignée par les Anglais sous le nom de "The Queen of Yachting" ? Il n'est pas inutile de rappeler, à cette occasion, que nos aviatrices, telles Mlles Bolland et Maryse, sont au premier rang des aviatrices dans le monde.»
Le journal raconte le premier voyage de l'Ailée «dans des circonstances atmosphériques qui, par leur rudesse, ont démontré les qualités de navigabilité de ce bateau». Et l'Echo de conclure : «C'est par de telles équipées, par ses nombreuses participations aux Régates nationales et internationales, dans toutes les eaux de la planète, que Mme Virginie Hériot espère donner aux femmes (et même aux hommes !) de notre pays le goût de la navigation – goût si utile, si nécessaire même, pour une nation qui, comme la nôtre, a un vaste empire maritime et colonial.»
En août 1929, Virginie Hériot réussit l'exploit de rapporter la Coupe de France à la maison. L'Excelsior revient en photo sur cette victoire. «Grâce à Mme Virginie Hériot, la Coupe de France de yachting a retraversé la Manche. Mise en compétition à Ryde, l'épreuve a donné lieu à cinq courses successives, les deux adversaires, le yacht britannique Unity, appartenant à lord Foster, et l'Ailée-VII, de notre championne olympique, en ayant chacun remporté deux. Mme Hériot remporta la belle.»
Quelques jours plus tard, la navigatrice participe aux «traditionnelles régates à la voile de Cowes, dans l'île de Wight, qui peut être considérée comme La Mecque du yachting», selon Match du 13 août.
Forte de sa notoriété, Virginie Hériot est invitée à donner des conférences. Sur une pleine page, Match du 24 décembre 1929 rapporte les propos qu'a tenus, en présence du ministre de la Marine, celle qui «s'est donné pour tâche de prouver la qualité de la construction navale française et de réhausser en eaux étrangères le prestige de notre pavillon». Extraits : «Au lendemain de la guerre, je partis seule sur la mer ! J'y trouvais ce que je cherchais : le rêve, puis l'inspiration que donne la méditation et enfin l'action. […] Je naviguais avec ma mère à l'âge où les petites filles jouent dans les parcs.» La légende veut qu'à l'issue d'une croisière à bord du luxueux vapeur de la famille, Virginie, qui a eu la douleur, enfant, de perdre son père et son frère, ait annoncé à sa mère : «Je veux devenir marine.» Dans cette conférence, elle raconte également : «Je fis construire mon premier bateau de course, un 10 mètres, l'Ailée, en 1912. (….) Depuis 1922, je me consacre uniquement à la navigation à voile. Je fais en moyenne cent régates par an. […] Je ne regrette pas les fatigues, les émotions et la timidité que j'ai dû surmonter si j'ai pu faire un peu de bien à notre jeunesse en l'orientant vers la mer. C'est ainsi que je suis devenue la marraine de l'Ecole navale [à laquelle elle a offert des bateaux] […] En France, je reproche à ceux qui, comme moi, pratiquent ce sport, d'aller toujours chercher à l'étranger le dessinateur, le chantier pour leur bateau de course. Quelle erreur, la preuve, ma victoire olympique et tant d'autres.»
En août 1930, Virginie Hériot se fait chiper la Coupe de France par les Anglais. A cette occasion, elle a expliqué à Paris-Soir les qualités qui font une bonne régatière : «Pour conduire en régate, il faut avoir des nerfs solides et calmes, des réflexes sûrs et adroits, beaucoup d'adresse, beaucoup de hardiesse, et aussi quelque peu le mépris du danger.»
Le 17 mai 1931, le magazine Femme de France consacre une pleine page de portrait à «L'"amirale" Hériot».
Le 30 novembre 1931, l'Intransigeant rencontre la navigatrice : «Une femme mince et gracieuse. Son visage est calme et presque mélancolique mais ce qui frappe le plus est certainement sa voix, calme, étonnamment lente.» Dans cette interview, elle annonce qu'elle n'ira pas, l'année suivante, défendre son titre olympique à Los Angeles faute d'avoir «pu rassembler les dix équipiers nécessaires pour armer [ses] deux bateaux : un 8 mètres et un 6 mètres».
Propagandiste de la marine à voile, comme elle-même se définit, Virginie Hériot publie en 1932 un livre baptisé Service à la mer. «Tel est le titre symbolique que Mme Virginie Hériot a donné à l'ouvrage qu'elle vient de publier. Elle entend ainsi démontrer qu'elle ne s'est pas simplement consacrée au yachting par goût, mais aussi par devoir. Son livre est une profession de foi, écrit le Journal des débats politiques et littéraires du 26 avril. […] Elle est populaire dans la marine militaire et dans la marine marchande. On la considère comme étant "du métier", car cette femme audacieuse en connaît tous les secrets. […] Universellement connue dans les ports étrangers, Virginie Hériot sert avec enthousiasme la cause de notre pays.» Elle en a publié une demi-douzaine auparavant, avec bien sûr, la mer comme thème de prédilection. Elle est également l'auteure de recueils de poèmes, dont l'un, Une âme à la mer, a été distingué par l'Académie française.
Choc macabre à la une du Petit Journal le 29 août 1932, qui annonce le retour des athlètes français des Jeux olympiques de Los Angeles et la mort de celle qui a dû renoncer à y participer. «Madame Virginie Hériot est morte à bord de son yacht» en baie d'Arcachon où se disputent des régates. Au début de l'année, elle a été gravement blessée au foie et aux côtes lors d'une tempête alors qu'elle naviguait entre Venise et la Grèce. Malgré son état et les recommandations de ses proches et du ministre de la Marine, elle tient quand même à courir. Le site de la Fédération française de voile raconte les derniers instants de «Madame de la Mer», comme on l'a surnommée : «Elle s'évanouit à bord de son petit voilier Aile VII. On tente de la dissuader de prendre le départ de la régate, mais en vain. Le 27 août, tandis qu'elle rejoint la ligne de départ, elle est victime d'une syncope. Elle meurt le 28 août 1932 à bord d'Ailée II à 15 heures précises. Elle a 42 ans.»
Une foule nombreuse assiste aux obsèques de Virginie Hériot, le 3 septembre à l'église Sainte-Clotilde à Paris. «Virginie Hériot avait manifesté le désir que son corps soit immergé au large des côtes bretonnes, lit-on sur le site de la Fédération française de voile. Sa mère ne peut s'y résoudre. Aussi est-elle inhumée dans le mausolée familial de La Boissière. A la mort de sa grand-mère, Hubert de Saint-Senoch, son fils, fera enfin respecter les dernières volontés de sa mère. Le 28 juin 1948, le Basque, torpilleur de l'Ecole navale, rend un dernier hommage à sa bienfaitrice en procédant à l'immersion du cercueil de Virginie au large de Brest.»
Stèle à la mémoire Virginie Hériot à Cannes (DR)