Les veillées d’armes présentent toujours les mêmes symptômes. Ennui, routine et vague à l’âme. En ce vendredi de juin, les joueurs de l’équipe nationale de football de Madagascar, qui s’apprêtent à disputer la première phase finale de la Coupe d’Afrique des nations (CAN) de leur histoire en Egypte, déambulent dans le lobby d’un hôtel d’une zone périurbaine francilienne, loin de tout. «On est unis comme une famille, on ne s’ennuie pas», témoigne Ibrahim Amada, 28 ans, qui joue en Algérie depuis huit ans et espère signer un contrat dans le Golfe cet été («Je dois penser à ma vie d’après»). A Lisses (Essonne), les Barea (une espèce de Zébu) en terminent avec leur première semaine de stage. Ce soir-là, ils affronteront le Kenya en amical avant de repartir le lendemain au pays pour une cérémonie cruciale pour tous les membres de la délégation. «C’est un moment intense, il y a une ferveur incroyable derrière nous. On partage, on communie avant de s’en aller», promet Nicolas Dupuis, 51 ans, le sélectionneur français. «On part là-bas rencontrer le peuple, voir le président de la République pour qu’ils nous donnent leur bénédiction avant d’aller à la CAN. Quand on quitte sa famille, on demande l’assentiment des siens, c’est une tradition malgache», renchérit Toavina Rambeloson, 26 ans, qui joue à Arras en National 2 (4e niveau français), après avoir fait des études de langues en Chine.
La sélection ne restera que trois jours sur la Grande Ile avant de mettre le cap sur Marrakech, histoire de «s'accoutumer à la chaleur en Egypte et peaufiner notre cohésion», détaille Faneva Andriatsima, 35 ans, le capitaine des Barea. «On est contents d'être là, on va tout donner, poursuit Andriatsima. On veut gagner au moins un match ; on n'a pas envie d'avoir fait tout ça pour rien.» Pari réussi. Après un nul prometteur contre la Guinée pour le premier match en Coupe d'Afrique des nations, jeudi, la sélection malgache a battu les Hirondelles du Burundi, autres novices de l'épreuve (grâce à un coup franc somptueux d'Ilaimaharitra) et reste en lice pour atteindre les huitièmes de finale. Accueillie par des scènes de liesse sur l'île, cette victoire a fait d'autant plus de bien aux Malgaches qu'elle est intervenue au lendemain d'un drame ayant fait 16 morts et des dizaines de blessés lors d'une bousculade devant un stade de la capitale, Antananarivo, lors d'un concert organisé à l'occasion de la fête nationale.
«Pourquoi on n’y arrive pas ?»
La renaissance du football malgache tient pour beaucoup au lien fusionnel qui semble unir Nicolas Dupuis, français en poste depuis 2017, et son capitaine, Faneva Andriatsima. À l'arrivée du technicien français, Ahmad Ahmad, le président de la fédération malgache (1), lui a commandé un audit sportif. «Il m'a dit : "Explique-moi pourquoi on n'y arrive pas", rapporte ce dernier. C'était simple, on ne faisait pas jouer les meilleurs. Un comité de présidents de club choisissait les joueurs et on n'avait droit qu'à cinq expats. L'équipe nationale n'en était vraiment pas une.» Le sélectionneur s'emploie alors à ne retenir que les meilleurs, à ferrailler avec ses dirigeants pour obtenir de meilleures conditions de rassemblement («fini les escales de huit, neuf heures entre deux avions») et à battre le rappel de tous ceux qui peuvent revendiquer des racines malgaches, Réunionnais compris. Parmi eux, le dernier en date est le défenseur lyonnais Jérémy Morel. «Les binationaux apportent de l'organisation à notre football d'instinct. On a un bon mélange», plaide Faneva Andriatsima.
107e nation au classement FIFA (24e équipe africaine), les Barea ne sont plus loin du meilleur rang de leur histoire. «La venue du coach, son projet avec le capitaine, ont su fédérer. Il a monté son équipe, appelé des expatriés et a changé notre manière de jouer. On a passé un cap avec un style plus tactique, ça nous a mis bien», raconte Rambeloson. La plupart des 23 sélectionnés ont appris le foot dans la rue ou dans les tournois inter-quartiers du mercredi après-midi. Une demi-douzaine d'entre eux sont passés par l'académie que Jean-Marc Guillou avait initiée là-bas entre 1999 et 2011. «Les joueurs malgaches ont de la technique et un bon sens tactique. Au niveau physique, ils sont plus endurants que puissants et véloces. Dans le futur, ils vont certainement combler leur retard au niveau physiologique», écrit l'international français par mail.
«On prie un seul dieu»
La liste des 23 Barea retenus pour cette CAN raconte aussi la diversité de destins qui accompagne souvent les sélections africaines. Cinq jouent dans l'océan Indien (trois à la Réunion, deux à «Mada»), dix évoluent dans l'Hexagone – entre Ligue 1 et National 2 –, et les huit autres pratiquent sur quatre continents différents (Afrique, Asie, Amérique du Nord, Europe). «Depuis les éliminatoires, un lien indestructible nous relie. On sait aussi qu'on joue pour l'histoire», glisse Amada. À la fin de chaque entraînement, les Barea se regroupent pour prier sans distinction de confession. «On est œcuméniques, on se recueille tous ensemble : chrétiens, musulmans, évangélistes, affirme Andriatsima. On prie un seul Dieu, c'est comme ça depuis 150 ans. On fait tout ensemble, on ne va pas changer la tradition.» «On n'est pas venu à la CAN pas comme des outsiders ni comme des clowns. On veut tout donner et on veut montrer au monde que "Mada", ça existe et que ça joue du beau football», s'emballe Rambeloson. «La vie est rude au pays, c'est important de bien figurer», défend pour sa part le capitaine. Le contrat de Nicolas Dupuis prend fin en juillet et tous ses joueurs espèrent qu'il sera reconduit. «J'ai tout de suite aimé le contact avec le peuple malgache, cela m'aide à être fidèle finalement, livre le coach. J'aime ce pays et j'ai le sentiment qu'il m'aime aussi.»
(1) Ahmad Ahmad est devenu entre-temps le président de la Confédération africaine de football.