Seghir Lazri travaille sur le thème de la vulnérabilité sociale des athlètes. Dans cette chronique, il passe quelques clichés du sport au crible des sciences sociales, ou comment le social explique le sport, et inversement.
Au-delà de la compétition sportive, la coupe du monde féminine en France est l'occasion de diverses manifestations autour du football, mais aussi autour de la question de la place des femmes dans le sport. C'est dans ce cadre-là, que la comédienne Hortense Belhôte a mis en scène et joué Une histoire du football féminin, une conférence–performée où elle mêle savoir historique, musique, chant et danse, afin de retracer l'histoire des femmes dans le football. Présentée aussi bien devant des lycéens de Seine-Saint-Denis que sur la scène du Nouveau théâtre de Montreuil, la comédienne revient ici sur son spectacle, son élaboration, et surtout sur sa réception.
Comment ce spectacle a pu voir le jour ?
Ce spectacle a été monté pour accompagner d'autres événements, notamment le spectacle de danse contemporaine de Mickaël Phelippeau, Footballeuse, dans lequel, je joue également. En tant que comédienne, mais aussi historienne de l'art, il m'a été accordé par la compagnie de Mickaël Phelippeau de monter une conférence autour du football féminin que j'ai voulu rendre plus ludique, donc performée avec de la musique, des effets visuels et de la danse. Aussi, le fait que je sois joueuse amatrice de football a été une des motivations premières pour créer ce show, puisque j'avais cette idée en tête depuis quelques années.
Tout en étant une démonstration artistique le spectacle est chargé d’un riche contenu scientifique, comment avez-vous abordé ce travail de recherche ?
J’ai commencé à élaborer cette pièce, il y a quatre ans. Les publications disponibles concernant le football féminin à destination d’un public non spécialisé étaient peu répandues. J’ai commencé par lire les ouvrages sur l’histoire du football de Laurence Prudhomme-Poncet, puis à continuer avec des ouvrages plus sociologiques, notamment ceux de Béatrice Barbusse. Et en parallèle de ça, j’ai aussi fait l’expérience d’un autre football, dans le club des Dégommeuses, qui au-delà du sport est aussi un club militant, luttant pour le droit des femmes, des personnes LGBT et des migrants. J’ai pu donc, grâce au football, voyager, jouer des matchs dans des compétitions internationales, me permettant de me rendre compte des nombreuses questions sociales que l’on peut déceler à travers le football, notamment auprès des populations vulnérables que sont les réfugiés ou encore les populations LGBT de certains pays du monde. De fait, tout l’enjeu a été de restituer ces deux choses : d’une part mon histoire personnelle, avec ma passion pour le foot et mon engagement militant, et d’autre part l’histoire des femmes dans ce sport, afin de gagner en vérité et en profondeur.
Concernant le public, ce spectacle a été joué dans des lycées devant une population jeune souvent issue de milieux populaires. Quel constat peut être fait de sa réception ?
J’ai joué dans des lycées généraux, mais aussi des lycées professionnels, où il peut y avoir une répartition entre les sexes moins équitables, avec parfois des classes uniquement composées de garçons. Cela a été une expérience formidable. J’ai pu d’abord constater que les adolescents d’aujourd’hui étaient déjà familiers avec la question du genre. Les termes relatifs à cette thématique sociale ne leur étaient pas étrangers, ils étaient parfaitement capables de comprendre toute la complexité de cette question des identités sexuées, et de leur émancipation. Ce qui m’a permis, après chaque représentation d’animer des débats. Pour beaucoup, ils pensaient que le football joué par les femmes avait toujours existé, qu’il n’était pas le fruit d’une lutte, que la Coupe du monde de football féminin n’était pas une histoire récente ; il y avait sur ce point, une véritable méconnaissance historique. Par contre, j’ai pu aussi voir qu’il y avait une véritable connaissance sur le football féminin d’aujourd’hui, beaucoup de lycéens connaissaient les joueuses, les clubs, etc. Et le plus souvent, il s’agissait des garçons. Pour ces derniers, même s’ils concevaient et adhéraient à un football joué par les femmes, ils s’estimaient toujours plus légitimes socialement à en parler. Ils reprochaient d’ailleurs aux filles de ne pas assez s’y intéresser, sans pour autant saisir les mécanismes inégalitaires d’appropriation d’une pratique sportive. Le football pour ces jeunes garçons se vit de manière passionnelle, dès lors à leurs yeux, si les filles rencontrent des difficultés pour jouer, c’est qu’elles ne vivent pas ce sport avec cette même dévotion.
Par conséquent, quelle différence y a-t-il avec un public plus conventionnel comme celui du Nouveau théâtre de Montreuil ?
Concernant le public du théâtre, au capital culturel diffèrent, l’enjeu était tout autre. Il était beaucoup plus question de montrer que le football pouvait être un objet artistique et porteur de sens. J’ai beaucoup lu Pasolini pour concevoir cette performance, et je me suis un peu retrouvée comme lui, à me demander comme contrecarrer cette représentation de ce spectacle sportif, qui réunit facilement des fonds et un public sans trop de complications, là où le théâtre lutte en permanence, alors que sa portée intellectuelle semble plus apparente. Et c’est là d’ailleurs où le rôle de l’art théâtral devient intéressant puisqu’il permet de rendre compte, comme le fait la recherche scientifique, de la dimension existentielle et subversive du sport. Les arts peuvent servir le sport et inversement, par exemple mon corps sportif m’a aussi permis d’améliorer mes performances de comédienne et de danseuse, et du coup d’offrir un spectacle plus riche artistiquement. Tant au niveau du contenu que de la forme, le football apporte tellement au théâtre et à la société.
Une histoire du football féminin d'Hortense Belhôte se jouera samedi 6 juillet sur la scène du Carreau du Temple, 75003, pour la Clôture du festival Foot d'Elles. D'autres représentations sont prévues pour la saison 2019-2020, partout en France.