Elle est portée par l'insouciance de ses 15 ans mais surtout par une maturité étonnante. En une semaine, Cori «Coco» Gauff a fait chavirer le public de Wimbledon et séduit la planète tennis par sa fougue et sa détermination. Depuis le début du tournoi, la jeune Américaine fait la une des quotidiens anglais, faisant presque de l'ombre au retour d'Andy Murray.
Il faut dire ça faisait vingt-huit ans que Wimbledon n’avait plus vu une joueuse de 15 ans se hisser en deuxième semaine. Il faut remonter à Jennifer Capriati en 1991 pour retrouver une telle précocité sur le gazon londonien. Dans un sport qui peine désormais à voir les jeunes prodiges se muer en champions au long cours, l’Américaine apporte une bouffée de fraîcheur.
Au bord des larmes
«Son histoire est géniale. C'est vraiment bien pour notre sport d'avoir des histoires comme ça. Ça crée de l'audience et des sentiments positifs. Elle a disputé de grands matchs. Je l'ai vue jouer avec plaisir.» Un compliment qui vient quand même de Rafael Nadal. L'Espagnol, qui vise un 19e titre du Grand Chelem à 33 ans, n'avait que 19 ans lorsqu'il goûta à l'ivresse d'un premier titre majeur. Il venait alors enrichir la longue liste de talents précoces composée notamment de Bjorn Borg, Steffi Graf, Monica Seles, Boris Becker, Michael Chang, Jennifer Capriati, Martina Hingis, les sœurs Williams ou Maria Sharapova. Le tennis s'est longtemps appuyé sur l'émergence de tout jeunes champions. Mais depuis quelques années, ce sport fait la part belle aux trentenaires, notamment chez les hommes. Pour la première fois depuis le début de l'ère open, on trouve une majorité (9 sur 16) de joueurs de plus de 30 ans en 8es de finales de Wimbledon.
Les jeunes pourtant se font de plus en plus présents. Chez les dames, Naomi Osaka est parvenue, l'an dernier, à dérocher une première couronne en Grand Chelem à 20 ans. La jeune Japonaise a confirmé à l'Open d'Australie, s'offrant au passage la place de numéro un mondiale mais, depuis, la pression semble avoir raison de son talent. Eliminée au 3e tour à Roland Garros, elle a pris la porte dès le premier à Wimbledon. Au bord des larmes, elle a dû écourter sa conférence de presse. Même scénario pour Stefanos Tsitsipas, 20 ans, demi-finaliste à Melbourne en janvier, qui peine à se remettre émotionnellement de sa défaite en 8es de finales de Roland Garros face à Stan Wawrinka. Il s'est fait sortir d'entrée à Wimbledon. Comme si les attentes étaient parfois encore trop lourdes à porter.
La pression, pour l'instant, ne semble pas, être un frein pour Cori Gauff. Au contraire. Ce qui frappe chez elle, c'est sa maturité. «C'est pour ça qu'elle est précoce, insiste Patrick Mouratoglou dont l'académie éponyme compte la jeune Américaine dans ses rangs. Elle n'a pas 15 ans cette fille, ce n'est pas possible.» Même constat pour Felix Auger Aliassime, déjà 21e mondial à 18 ans. «C'est parce qu'ils sont matures plus tôt que les autres, qu'ils sont précoces, poursuit Mouratoglou. Et la précocité est toujours un très bon signe parce que les meilleurs joueurs arrivent toujours très vite. Il est très rare qu'un numéro un mondial traîne pendant des années avant de montrer ses qualités. Certes, tu as beaucoup plus de pression quand tu es précoce. Tu l'expérimentes bien plus tôt que les autres. Mais ça peut être un atout pour la suite. Quand tu vois comment Coco gère la pression à 15 ans alors que des filles qui gagnent des Grands Chelems n'y parviennent pas… C'est parce qu'elle a passé déjà énormément d'obstacles. Et sa maturité est liée à ça.»
John Mc Enroe, émerveillé par Cori Gauff, espère juste que les rouages du sport-business ne lui brûleront pas les ailes. «Je m'inquiète un peu, a déclaré l'Américaine à la BBC. J'espère que ce n'est pas trop vite trop tôt pour elle. Il faut qu'elle soit gérée de manière intelligente. Elle va devenir une immense championne mais il faut vite de la submerger trop vite.» Le père de la jeune Américaine, Caurey Gauff, assure veiller au grain en étudiant scrupuleusement le parcours des anciennes joueuses précoces.
«Déjà développée athlétiquement»
Le tennis est devenu de plus en plus physique, ce qui explique aussi l'éclosion plus tardive des talents. Raison aussi pour laquelle, la WTA a établi une règle limitant à 10 par saison le nombre de tournois auxquels une joueuse de 15 ans est autorisée à participer. Une erreur selon Caurey Gauff : «Cette limite lui met la pression et l'empêche de jouer librement car elle a le sentiment qu'elle n'aura pas une autre chance.»
Roger Federer abonde : «Ce serait bien que les jeunes joueuses puissent jouer davantage. Le fait d'être limitées leur met une pression supplémentaire à chaque tournoi et ça peut s'avérer contre-productif. Je ne vois pas pourquoi les jeunes joueuses seraient confrontées à des problèmes physiques. Cori est déjà développée athlétiquement. Elle bouge bien. C'est une de ses grandes forces.» Interrogé en conférence de presse, le Suisse estime en revanche que la précocité masculine a davantage de contraintes : «Chez les hommes, le physique aujourd'hui peut être une limite. Remporter un Grand Chelem à 15 ans n'est pas possible, je pense. A 17 ou à 18 ans, comme l'ont fait Borg ou Becker, c'est possible physiquement. Mais la densité est devenue plus importante. Il faut battre davantage de bons joueurs pour remporter un Grand Chelem.»
En attendant, Cori Gauff affronte ce lundi après-midi Simona Halep, n°7 mondiale et vainqueure de Roland Garros en 2018, mais pas forcément la plus à l’aise sur le gazon de Londres. De quoi tester de nouveau sa précocité dans un sport où papys et mamies font de la résistance.