Maxime Combes est économiste et porte-parole de l'association altermondialiste Attac. Ce passionné de vélo revient pour Libération sur l'évolution des sponsors impliqués dans le cyclisme professionnel.
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Comment expliquer la forte présence d’entreprises liées à l’économie pétrolière dans le Tour ?
Deux logiques sont à l'œuvre. D'un côté, il y a les Etats pétroliers - le Kazakhstan avec le Team Astana, les Emirats arabes unis avec le Team UAE, Bahreïn avec le Team Bahrain-Merida - qui cherchent à s'offrir une exposition internationale. Ils jouent à ce que fait le Qatar dans le football, à une échelle plus réduite et moins coûteuse. Cette diplomatie par le sport vise à s'insérer dans une élite internationale, à rencontrer du monde, car le cyclisme pro permet d'être exposé sur les cinq continents. De l'autre, des multinationales polluantes comme Total et Ineos. C'est un mouvement plus récent, même si on avait déjà vu l'italien Liquigas investir par le passé. Pour Ineos, il s'agit de la décision d'un grand patron, Jim Ratcliffe, un self-made-man qui décide d'investir tous azimuts dans le sport [Ratcliffe, homme le plus riche du Royaume-Uni, veut devenir le propriétaire de l'OGC Nice, ndlr]. L'arrivée de Total, elle, intervient à la suite du rachat d'un actif, Direct Energie, l'ancien sponsor de l'équipe de Jean-René Bernaudeau.
Que recherchent ces deux entreprises ?
Elles investissent dans le sport pour redorer leur image et se verdir. Le vélo est un sport populaire, pratiqué en plein air, qui évoque le bien-être. Mais ce n'est pas parce qu'une boîte comme Total investit dans le cyclisme qu'elle change son business : elle prévoit toujours des opérations de forage mises à l'index par les ONG environnementales en Ouganda, elle continue son lobbying contre les régulations environnementales.
Pourquoi le cyclisme ?
Car c’est un sport à très forte exposition. Le Tour de France est une des plus grandes épreuves sportives mondiales. Il se déroule tous les ans et présente l’avantage de mettre directement en avant le nom de votre marque. Les équipes qui obtiennent des bons résultats ont des retours sur exposition incroyables. Même quand elles quittent le vélo - sauf énorme affaire de dopage -, elles sont très satisfaites de leur investissement. En 2014, l’équipe AG2R la Mondiale avait calculé que son budget de 12 millions d’euros avait permis une exposition médiatique équivalant à 96 millions d’euros d’espaces publicitaires.
C’est un rapport qualité-prix imbattable ?
A l'échelle de ces entreprises, le budget d'une équipe cycliste professionnelle reste de la menue monnaie. Le chiffre d'affaires d'Ineos s'élève à 53 milliards d'euros par an. L'investissement nécessaire dans le cyclisme est assez limité [17 millions d'euros annuels en moyenne],surtout en comparaison avec un sport comme le foot. Pour racheter un club du top 30 mondial, il faut au moins 100 millions d'euros, auxquels s'ajoutent des dizaines de millions d'euros par an.
Cette arrivée de sponsors de plus grande envergure tranche avec l’économie habituelle du secteur, plus modeste…
Il y a une hausse continue du budget des équipes pro depuis plus d'une décennie. Cela pose un sacré souci pour le WorldTour [première division mondiale] : il est très difficile de trouver vingt équipes de budget et donc de niveau sportif équivalents. Deux ou trois formations voient leurs ressources exploser. L'économie du cyclisme a connu plusieurs phases. Dans les années 80, les sponsors étaient des entreprises de second ordre, même s'il y a quelques contre-exemples comme Renault-Elf ou Peugeot. Les années 90 sont marquées par l'arrivée des loteries nationales, et les années 2000 par celle des banques et assurances. Récemment, on a vu de très grosses boîtes mettre de l'argent, ainsi que, plus traditionnellement, des fabricants de matériel de cyclisme comme Cannondale, BMC ou Trek.
Est-ce que Total ou Ineos préfigurent l’arrivée du CAC 40 ?
Je n’en suis pas sûr, ces sponsors sont pour l’heure des exceptions. Il reste pas mal de petites structures, en deuxième division notamment. Et en WorldTour, le Team CCC, entreprise polonaise spécialisée dans les chaussures, ou l’équipe Deceuninck, fenêtres et portes en PVC, ne font pas partie des géants de l’économie mondiale. Peut-être que le cyclisme professionnel va rester majoritairement sponsorisé par des entreprises d’envergure nationale, d’autant qu’il y a une masse d’argent en circulation beaucoup plus faible que dans le foot.