Seghir Lazri travaille sur le thème de la vulnérabilité sociale des athlètes. Dans cette chronique, il passe quelques clichés du sport au crible des sciences sociales, ou comment le social explique le sport, et inversement.
La CAN 2019 se termine ce vendredi soir sur cette finale relevée, tant les deux équipes ont impressionné durant la compétition. Alors que l’on pourrait croire que tout oppose Algérie et Sénégal, il semble surtout que «la francité» présente au sein de ces deux sélections contribue tout aussi bien à l’essor football africain qu’à l’unité de la société française. Dès lors, pourquoi peut-on se dire que la France, sportivement comme socialement, est aussi la grande gagnante de la CAN ?
Une formation à la française
De premier abord, la présence de nombreux binationaux originaires de l'Hexagone, dans les deux équipes met en évidence la formation à la française, soit un apprentissage du football au sein des clubs français, selon un cahier des charges émanant de la Fédération française de football et du ministère des Sports (doubles projets, suivi médical, suivi psychologique, etc.) De ce fait, les performances des joueurs binationaux de ces équipes résultent indirectement d'une politique française de la performance (ce qui peut générer des tensions comme la scandaleuse affaire de quotas de 2012). Concernant les natifs de ces deux pays, les travaux du géographe Bertrand Piraudeau portant sur l'industrie mondiale du football, souligne, à juste titre, la diffusion considérable du modèle de formation français à l'échelle du continent africain. D'après le chercheur, les clubs de football français ont investi énormément dans les pays africains francophones, et notamment le Sénégal, en exportant leur modèle de formation via des institutions et des académies.
Ainsi, le Rennais Ismaïla Sarr ou encore la superstar Sadio Mané ont été formés par l'académie Génération Foot, crée en partenariat avec le FC Metz sur le modèle des centres de formation français, autrement dit sur les mêmes critères qu'un centre se situant en France. L'Algérie connaît un cas de figure similaire avec le club du Paradou FC, dont l'académie a été mise en place par le technicien français Jean-Marc Guillou, et qui a permis l'avènement en sélection de trois joueurs présents à CAN. De plus, concernant les deux sélectionneurs, Aliou Cissé et Djamel Belmadi, ayant grandi à Champigny-sur-Marne, il n'est pas anodin que leur formation ainsi que leur parcours professionnel dans le championnat de France ait eu une influence sur le management de leurs équipes. Du point de vue donc de la dimension sportive, le «savoir-faire» français est extrêmement présent au sein de ces deux sélections, démontrant alors que l'excellence d'une nation peut tout aussi bien être portée par d'autres.
De la CAN à la CAN
Si l’on retrouve un peu de «France» dans ce qui relève de la performance sur le terrain lors de cette coupe d’Afrique des nations, les récents tournois de football, inspirés de cette compétition qui ont lieu en France, au début de l’été, témoignent quant à eux d’un bel exemple du vivre-ensemble. Et pour cause, ces tournois de football dans les quartiers populaires, simulacres de la CAN, ont permis à des jeunes issus de l’immigration de faire valoir leur culture d’origine au sein de la société française, permettant ainsi prendre le contre-pied d’une stigmatisation liée quant à elle, à une position sociale. Même si différents éditorialistes réactionnaires se sont offusqués d’une prétendue absence de drapeaux français aux profits de drapeaux africains, l’engouement populaire, la convivialité ainsi que l’absence de violences relatées par la presse, affirment la dimension cohésive de ce type d’événement.
D’ailleurs, les recherches sur le rapport entre violence et identité dans le football, notamment dans les milieux populaires, menées par les sociologues Paul Cary et Jean-Louis Bergez, nous montrent que l’affiliation à un club par une appartenance culturelle permet de renouer avec une identité plus positive, celle de la patrie d’origine. D’après les chercheurs, ce type d’adhésion sportive permet l’apprentissage de nouvelles valeurs sociales certes idéalisées, mais qui éloigne l’individu des normes parfois difficiles du quartier. Dès lors, jouer sous l’étendard de ses origines confère une meilleure reconnaissance sociale, et contrairement à ce que certains répètent sans fondements intellectuels sérieux, permet une meilleure intégration sociale.
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A une autre échelle d'ailleurs, n'est-ce pas le cas du joueur de l'équipe d'Algérie, Riyad Mahrez, qui après son but en demi-finale, a répondu au tweet d'un élu RN, en réaffirmant sa double identité ainsi que l'importance d'une cohésion ? En d'autres termes, à travers l'identité sportive, synonyme de réussite sociale, le joueur met en valeur aussi son identité française et la notion de fraternité associée. C'est en sens que le sociologue Vincent Geisser soulignait l'idée que les binationaux, notamment lors des printemps arabes, faisaient valoir leur capital de compétences citoyennes acquises France, pour mieux accompagner à leur manière, la transition démocratique.
En somme, de l’excellence sportive à l’idée d’une cohésion sociale réussite, la CAN, de par sa structure, mais aussi sa diffusion, montre comment certains individus, souvent montrer du doigt, reflètent mieux que d’autres, une certaine idée de la France, une belle idée de la France.