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Tour de France : cette année, ça vaut le détour

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Véritable supplice de la roue pour le public durant l’ère Armstrong puis sous les années Sky, la Grande Boucle présente enfin, pour son cru 2019, un spectacle haletant.
Au col du Tourmalet lors de la 14e étape, samedi. 
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Getty Images
(Photo Justin Setterfield. Getty Images)
publié le 24 juillet 2019 à 20h46

Un Tour de France à en perdre la boule. A l’amorce de trois périlleuses étapes dans les Alpes qui se dressent à partir de ce jeudi et à quatre jours de l’arrivée sur les Champs-Elysées, tout ce qui était écrit comme lois intangibles sur l’odyssée du maillot jaune a furieusement craquelé depuis deux semaines, et les plus folles incertitudes sportives, symboliques et éthiques demeurent. L’équipe Ineos (ex-Team Sky), qui a gagné six des sept dernières éditions, apparaît pour la première fois vulnérable, alors qu’elle tuait d’habitude le suspense à mi-course.

Soupçons à bas bruit

Les Français condamnés à échouer depuis le dernier succès de Bernard Hinault il y a trente-quatre ans ? Là aussi, jamais le sortilège n’a semblé aussi près de sauter, avec les prestations de l’inattendu Julian Alaphilippe, maillot jaune depuis treize jours et encore en tête avec 1’35" d’avance sur Geraint Thomas, ou celles du grimpeur retrouvé, Thibaut Pinot, quatrième du classement, le plus corrosif des favoris dans la traversée des Pyrénées. Déroutant spectacle qui semble se dérouler sur un moelleux nuage, sans huées ni suspicion flagrante, loin du climat pourri de 2018, année inaudible, polluée par «l’affaire Froome» (le lauréat sortant finalement blanchi peu avant le départ de la course), parasitée par les tourments extérieurs, la liesse (le Mondial des Bleus) et le scandale (le Mondial d’Alexandre Benalla).

Dans la dernière ligne droite d'une 106édition à forte valeur commémorative - les 100 ans du maillot jaune - on cherche la clé pour comprendre la course. Comment expliquer ces renversements, ces surprises qui, à force de se répéter, se changent en vérités prévisibles ? Comment comprendre ce Tour dans lequel les plus fins astrologues parient tout et son contraire : Alaphilippe en jaune, Pinot en jaune, Geraint Thomas - vainqueur l'an passé - en jaune soleil, son équipier colombien Egan Bernal - en embuscade à 2'02" d'Alaphilippe - paré de la même couleur…

Et pourquoi tout serait si soudain devenu possible ? Le cas Alaphilippe constitue la plus grosse énigme, parce que le champion de 27 ans porte le maillot suprême, le plus scruté, et parce que ce spécialiste des montées de cinq kilomètres en croque désormais le triple en compagnie des meilleurs. Evolution naturelle ou métamorphose étrange ? Les soupçons qui le rattrapent à bas bruit, privilège de toute vedette depuis l'affaire Festina en 1998, sont tempérés auprès de la presse et du public par sa nationalité française, au motif ressassé depuis vingt ans que les Français ne se dopent pas - constat en partie vrai et en partie faux. Lundi, le manager de Julian Alaphilippe, le Belge Patrick Lefévère, s'est fâché : «Ceux qui le soupçonnent de dopage n'ont pas de cerveau.»

Attaque de missile

Il est probable que la véritable clé de ce Tour ne nous tombe sous les yeux que plus tard, quand d’éventuels scandales ou révélations auront permis de confondre ou disculper les protagonistes. Comme il est plausible qu’il n’existe pas d’instrument unique pour déchiffrer cette édition. Il pourrait n’y avoir ni tendance durable ni révolution profonde, mais une série de coïncidences : la forme d’Alaphilippe, la maturité de Pinot, la difficulté d’Ineos à trouver un successeur parfait à Chris Froome. Dans le clan Pinot, on craint sur ces prochaines étapes une attaque missile des Britanniques, sur le modèle de Froome qui a pulvérisé le Tour d’Italie 2018 deux jours avant l’arrivée. Armement prévu jeudi à Valloire, après trois cols à plus de 2 000 mètres ? Vendredi à Tignes ? Samedi à Val-Thorens ? Ce serait un retour à la «normale» et aux vainqueurs annoncés d’avance, après deux tiers d’un Tour généreux en espoirs et suspense, mirages ou miracles, à l’évidence recette d’un succès populaire.