Le 20 septembre, débute la neuvième Coupe du monde de rugby, première de l’histoire au Japon. Inutile de se mentir : en France, l’événement peine à déchaîner les passions, pour au moins quatre raisons, assez aisément identifiables.
Primo, à 10 000 kilomètres de distance, il est difficile d’entendre la rumeur des stades et, compte tenu du coût de la vie dans le pays hôte (dont, par ailleurs le caractère exotique, rugbystiquement parlant, ne saurait compenser, par exemple, un pèlerinage en Nouvelle-Zélande), seule une infime minorité de nos concitoyens a pu casser sa tirelire pour aller vivre l’événement in situ. Deuzio, l’action étant étalée sur six semaines, en raison de temps de récupération beaucoup plus longs que pour le foot, l’attention risque de se diluer.
A fortiori si la qualité du spectacle n'est pas au rendez-vous, notamment durant la phase de poules où les écarts de niveau entre certaines nations demeurent vertigineux - qu'attendre d'un Nouvelle-Zélande-Namibie ou d'un Australie-Uruguay voués à n'être que des mises à mort ? Tertio, vu depuis Paris (ou Eze-sur-Mer ou Montigny-sur-Loing), les horaires des diffusions télé, globalement situés entre 7 heures et 12 heures, constituent un affront au concept même de troisième mi-temps. Comment imaginer la moindre fraternité autour de pintes dans un pub, ou d'un gueuleton entre potes, quand les coups d'envoi seront donnés à l'heure d'aller taffer ou de faire le marché ? Subséquemment, on sait déjà que les audiences ne seront pas folichonnes. Enfin, et on aurait dû commencer par là, aucun engouement n'entoure plus le XV de France depuis maintenant de trop nombreuses années. A force de collectionner les revers, les Bleus ont quitté le cénacle et personne ne miserait un yen sur les chances de succès d'une équipe qui ne figure même plus parmi les cinq ou six prétendants au sacre.
Ombre d’un doute
Ces prolégomènes évacués, rien n’interdit pour autant d’envisager l’épreuve comme potentiellement indécise, voire palpitante, une fois atteint le cap des quarts de finale (les deux premiers des quatre groupes de cinq accédant aux matchs à élimination directe). Comme tous les quatre ans, la Nouvelle-Zélande - qui, soit dit en passant, n’a décroché «que» trois fois la timbale - fait figure d’épouvantail. Du moins en théorie. Car, cet été, le dernier Rugby Championship, ultime baromètre fiable puisque compétition majeure de l’hémisphère Sud, a semé le doute. Malmenées jusqu’au coup de sifflet final par l’Argentine, rattrapées à la sirène par l’Afrique du Sud, balayées par l’Australie, les troupes de Steve Hansen - qui a choisi un groupe plutôt jeune, aux deux tiers novice dans cette épreuve - ont paru à la fois émoussées et en manque flagrant d’inspiration.
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Ce qui n’a pas manqué de revigorer les outsiders. A commencer par l’Afrique du Sud : passée par toutes les couleurs depuis la dernière Coupe du monde (elle était au fond du trou en 2016-2017), la nation arc-en-ciel monte clairement en puissance, à l’image de son ouvreur star, Handré Pollard (en partance pour Montpellier après le Japon), ou du vif-argent Cheslin Kolbe, la pépite toulousaine qui, transfuge du rugby à 7, incarne avec son extrême mobilité une valeur ajoutée chez les Boks susceptible de donner le tournis à plus d’un.
Or, si l’ombre d’un doute a commencé à planer sur la hiérarchie des antipodes, que dire de l’Europe où, jusqu’aux derniers matchs de préparation, les cartes paraissent sans cesse rebattues ? Ainsi, l’année 2018 semble déjà loin pour l’Irlande qui, auréolée d’un grand chelem dans le Tournoi des six nations et d’une victoire historique à Dublin contre les Blacks voici seulement dix mois, a entamé son capital confiance en bafouillant récemment son rugby : défaites contre le pays de Galles et l’Angleterre dans le dernier tournoi, branlée (57-15) contre ces mêmes Anglais fin août. Pourtant, par le biais de victoires glanées ailleurs, Sexton & co se retrouvent… numéro 1 au dernier pointage de l’International Rugby Board, ce qui, en creux, confirme la fiabilité toute relative du classement mondial.
A l’inverse, le pays de Galles, auteur d’un sans-faute dans le tournoi 2019, n’a pas pour autant les faveurs des pronostics, quelques absences préjudiciables (Taulupe Faletau, Gareth Anscombe, Rhys Webb) n’arrangeant pas les affaires d’un groupe qui a pourtant démontré sa capacité à faire jeu égal avec n’importe qui.
Esprit de vengeance
Quant à l'Angleterre, équipe favorite du groupe où figurent également la France, l'Argentine, les Etats-Unis et Tonga, elle affiche sa confiance - «Nous sommes en bonne position pour gagner la Coupe du monde», dixit en début de semaine le talonneur Jamie George. Elle mise sur une armada telle qu'Eddie Jones, son entraîneur australien, s'est permis de laisser à la maison une dizaine de pointures (Chris Robshaw, Chris Ashton, Ben Te'o, Danny Cipriani, Dylan Hartley…) qui feraient le bonheur d'à peu près n'importe quelle autre équipe. Animé d'un esprit de vengeance depuis 2015 (un pays hôte éjecté à la stupeur générale dès les poules, humiliation suprême !), le XV de la Rose aura en outre à cœur de rappeler qu'il est, à ce jour, la seule nation de l'hémisphère Nord à être grimpé sur le toit du monde, en 2003.
Reste enfin à souhaiter aux Canada, Namibie, Russie et autre Uruguay, chair à canon des grandes joutes mondiales - et variable d’ajustement pour les cadors, via le goal-average et les points de bonus offensif -, qu’elles ne se fassent pas trop saquer. Ou, à défaut, qu’elles implorent les dieux du ciel, «grâce» auxquels un match de poule, annulé ou même arrêté avant son terme en cas de typhon, cyclone ou ouragan, envisageables à cette époque de l’année (la France a été accueillie à Tokyo par des rafales de vent à plus de 200 km/h), serait déclaré nul, renvoyant les deux équipes dos à dos. La bonne blague.