L’aventure attendra encore un peu. Bloqués à La Rochelle depuis une semaine à cause d’un coup de tabac sur le golfe de Gascogne, les marins engagés dans la Mini-Transat La Boulangère espéraient prendre enfin le départ ce week-end. Mais la fenêtre météo qui s’était entrouverte s’est refermée. Les organisateurs n’ont pas voulu prendre le risque d’envoyer les marins, dont beaucoup d’amateurs, affronter des rafales de 40 nœuds et des vagues de 4 mètres. Il faudra sans doute attendre mercredi.
Depuis plus de quarante ans, l'engouement pour cette traversée de l'Atlantique à la voile en solitaire sur une «coque de noix» de 6,50 mètres, à peine plus grande qu'un dériveur de plage, ne faiblit pas. Pour cette 22e édition, qui s'achèvera en Martinique après une escale aux Canaries, il a même été décidé de pousser le numerus clausus à 90.
Quand, en 1977, l'Anglais Bob Salmon, journaliste photographe free-lance au Sunday Times, a l'idée saugrenue d'organiser une transat «miniature» afin de dénoncer la course à l'armement et au gigantisme, les adeptes sont rares et les autorités maritimes crient au fou. Envoyer des débutants, seuls et n'ayant quasiment jamais passé plus de deux nuits en mer sur de si petits bateaux, tient de l'inconscience ! Aujourd'hui, elles et ils sont toujours plus nombreux à mettre le cap sur les Antilles. Dans cette flotte record et bigarrée issue de treize nations, certains, mais ils sont très rares, rêvent d'imiter plus tard les frères Peyron et Bourgnon, Autissier, Parlier, Van Den Heede, Desjoyeaux ou Coville, tous passés par cette transat initiatique de 4 000 milles (7 400 km). Mais 78 des engagés sont des bizuths qui vont faire le grand saut pour la première fois. La parité est loin d'être gagnée, mais l'on compte huit femmes, dont la benjamine Violette Dorange, étudiante de seulement 18 ans. Le doyen, Georges Kick, âgé de 64 ans et médecin anesthésiste, s'offre «un voyage intérieur».
Si le GPS a fait son apparition il y a quelques années, remplaçant le bon vieux sextant, à l’époque du tout-connecté, le téléphone par satellite et l’ordinateur restent proscrits. Les marins embarquent deux balises (une de positionnement et l’autre en cas de pépin) imposées par la législation internationale. Les concurrents doivent posséder à bord les seize cartes papier couvrant le parcours, sur lesquelles ils tracent leur route. A bord de ces «karts des mers», dont l’espace vital est proche d’un trou à rats et certains cordages à peine plus gros que de la ficelle d’emballage, les performances sont diaboliques et les sensations uniques. La «Mini» reste un vrai laboratoire technologique, et les formes des bateaux ont évolué au fil du temps, passant des «plats à barbe» aux «savonnettes» reconnaissables à leur nez tout rond. Raphaël Lutard et Tanguy Bouroullec, respectivement 23 et 25 ans, font le pari audacieux d’embarquer sur des prototypes munis de foils, comme leurs grands frères du Vendée Globe, quand les trois quarts arment des voiliers de série certes sophistiqués mais moins extrémistes. Entre avitaillement, voiles, matériels, etc., les pontons avaient des airs de vide-grenier. Cette communauté de passionnés a squatté l’ancien bassin des chalutiers dans un joli bazar et toujours autant de système D. Nuit et jour, on a bricolé et rigolé, l’entraide entre ces solitaires restant la marque de fabrique maison. Avant la boule au ventre et les insomnies liées au grand départ.
Ambrogio Beccaria, sur «Geomag» Pour faire rêver l'Italie
Né à Milan, Ambrogio fait partie des 23 étrangers à prendre le départ, l'un des très rares pouvant remporter cette Mini-Transat sur un bateau de série, quarante ans après l'Américain Norton Smith, alors sur un engin aussi dingue qu'avant-gardiste. Depuis, les Français ont trusté les victoires. A 28 ans, cet ingénieur naval, qui a beaucoup régaté et mené de superbes voiliers pour des propriétaires transalpins, a posé ses valises à Lorient (Morbihan) depuis un an avec sa copine, également ingénieure, décroché un bon sponsor et remporté neuf courses sur douze à la barre de son Pogo 3 flambant neuf. Il y a deux ans, il avait acquis un vieux bateau fatigué pour une première expérience. «Lors de la dernière régate de préparation, j'ai pris une sacrée raclée, ce qui m'a remis les pieds sur terre et aussi ôté un peu de pression, raconte-t-il dans un français parfait. J'ai découvert la Bretagne et aussi l'esprit «Mini». C'est quelque chose d'unique dans la voile. Il y a de la solidarité et de la bienveillance. Tu fais partie d'une famille, et quand tu arrives d'Italie et reçois un tel accueil, ça te marque à vie.» Ambrogio n'est pas seul au départ ; ils sont sept compatriotes à vouloir assouvir ce rêve de traversée. «Nous représentons un peu toute la société. Ce n'est pas que de la compétition mais aussi une aventure.» Lui rêve de construire ensuite un Class40, bateau de 12 mètres, pour un tour du monde en course.
David Kremer, sur «Bon pied, bon œil» Pour faire son cinéma
A 37 ans, ce chef opérateur dans le cinéma et spécialiste de la lumière, qui vit à Paris, a débuté enfant à l'école de voile dans le golfe du Morbihan. «Les premiers stages m'ont laissé un souvenir fort désagréable. J'avais froid et peur, et c'est mon grand-père officier de marine marchande qui m'a donné le goût du bateau. J'avais déjà une appétence pour le solitaire et aimais emprunter le 420 familial, même si parfois ça se terminait par le chavirage de trop», dit cet homme longiligne au visage d'intello. Partant vivre en Savoie, il s'éloigne de la mer durant une longue période.
La «Mini» arrive un peu par hasard. Avec un copain, David cherche un voilier pas cher mais performant, tombe sur un prototype d'occasion datant de 1999 qui dort sur un terre-plein à La Rochelle. «On a racheté ce bateau, on l'a remis en ordre de marche, commencé à naviguer en double avant que je ne saute le pas et dispute ma première course en solo. Ça a été une révélation, et je me suis découvert un esprit de compétiteur. J'ai alors senti que j'étais prêt à traverser.» Ce spécialiste des fictions, qui reconnaît que son statut d'intermittent lui permet d'adapter son emploi du temps, avoue son addiction pour cette série exigeante, mais se fiche de l'inconfort à bord. Sur ce bateau au nom prédestiné qui va disputer sa cinquième Mini, il embarque une caméra afin de ramener des images pour son fils de 2 ans.
Amélie Grassi, sur «Action Enfance» Pour faire comme maman
Thèse de doctorat en droit social ou transat en solitaire ? Après ses études à Nantes puis Paris, Amélie Grassi obtient un master 2 en recherche mais opte pour la Mini-Transat. «Je mets tout en œuvre pour que la voile devienne mon métier pour quelques années. Je reste passionnée de droit et y retournerai, c'est certain. Je n'ai que 25 ans, j'ai tout mon temps et envie de profiter de la course.» Ses parents «voileux» régatant chaque week-end ou presque, elle a commencé la voile très jeune, en Optimist, et découvert la régate à l'adolescence, avant d'intégrer un lycée sport-études voile à La Baule (Loire-Atlantique).
Un temps attirée par une préparation olympique, la jeune femme décide finalement de faire une pause d'un an pour achever son mémoire. «Quand ma mère a disputé la Mini-Transat en 2009, j'avais 15 ans, et ça m'est passé au-dessus de la tête. Je n'avais pas d'affinité pour le solitaire, préférant de loin naviguer avec mes copines. L'idée de la «Mini» a commencé à germer il y a quatre ans. J'étais partagée entre l'envie de cette aventure et la crainte de détester le solo et ses longs bords d'un ennui sans fin, mais j'ai immédiatement adoré.» Elle rencontre alors Loïck Peyron - 52 transats dans les bottes - qui lui propose de régater en double. «On s'est très bien entendus, partageant nombre de valeurs, et je mesure la veine d'avoir un tel professeur, moi qui n'ai encore jamais traversé l'Atlantique.»
Erwan Le Mené, sur «Rousseau Clôtures» Pour faire premier
Novembre 2017. Alors qu'il est à la lutte avec le futur vainqueur, son voilier heurte ce qu'il pense être une baleine au large des Canaries. Les dégâts sont sérieux et cette première Mini-Transat s'achève sur un quai à Dakar. Mais Erwan, qui a dû vendre sa maison pour s'offrir son bateau, l'a sauvé. A 38 ans, il a toujours dans un coin de la tête de devenir pro - «la "Mini" étant la porte d'entrée» - mais reste artisan dans le bâtiment près de Vannes (Morbihan) et fait deux journées en une. «J'aimerais cumuler ces deux activités pour ne pas être dos au mur. Ma vie n'est pas non plus pendue à mes résultats.» N'empêche, son nom revient systématiquement parmi les favoris, avec ceux de François Jambou et Axel Trehin. Son prototype, qui a 10 ans et vaut 100 000 euros, n'est pas le plus rapide mais son skippeur amateur le connaît sur le bout des doigts après 16 000 milles à bord, l'équivalent de quatre Mini. «Un bon budget pour une saison tout compris s'élève à 40 000 euros, mais sans me verser de salaire. Je ne me plains pas, au contraire, et j'adore me retrouver seul en mer. On ne peut pas se mentir, faire semblant ou reporter la faute sur les autres.» Lui ne s'estime pas superstitieux «car ça porte malheur» mais reste méfiant après sa mésaventure il y a deux ans. Quoi qu'il en soit, un heureux événement l'attendra quelques jours après l'arrivée, puisqu'il sera père pour la seconde fois.