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Libération
Reportage

A Doha, une course en enfer pour les marathoniennes

Aux championnats du monde, l'épreuve s'est déroulée dans des conditions de chaleur et d'humidité inhumaines pour des athlètes. Dont beaucoup ont abandonné.
La Portugaise Carla Salomé Rocha lors du marathon des Mondiaux d'athlétisme à Doha le 27 septembre 2019 (MUSTAFA ABUMUNES/Photo MUSTAFA ABUMUNES. AFP)
publié le 28 septembre 2019 à 8h44

La première médaillée d'or des Mondiaux de Doha porte un maillot du Kenya, affiche un sourire timide et deux jambes fines comme des baguettes. Elle a raflé la victoire au marathon, dans la nuit de vendredi à samedi. Ruth Chepngetich, 25 ans, a attendu le 34e kilomètre pour porter son attaque. Elle a été décisive. Une Kenyane, accompagnée sur le podium d'une autre Kenyane, naturalisée bahreïnie, Rose Chelimo, la tenante du titre, et d'une Namibienne, Helalia Johannes. Le refrain est connu. Rien de très nouveau sur le bitume.

Le reste ? Oublions-le. Le chrono, d’abord. Deux heures 32 minutes et 43 secondes pour la gagnante. Le plus lent de l’histoire des championnats du monde, deux minutes moins bien que le précédent «record», établi par Catherine Ndereba aux Mondiaux d’Osaka en 2007. Le décor, ensuite. Irréel. La corniche de Doha, désertée par les voitures, mais éclairée comme en plein jour par des guirlandes de projecteurs. Les organisateurs y ont tracé un parcours en boucle de 7 kilomètres, à parcourir six fois.

A 23 h 59, au moment du départ, les spectateurs pourraient sans doute tenir tous dans deux autobus. Une petite centaine, guère plus. Deux heures et trente minutes plus tard, pour l’arrivée, les derniers courageux ne font pas assez de bruit pour couvrir la voix du speaker. Une ambiance de fin du monde. Dans les rangs des médias, on se surprend à murmurer, par crainte que les concurrentes puissent entendre le propos. Saisissant.

Les conditions, enfin. Brutales. A l'heure du départ, le thermomètre affiche 32°, avec un taux d'humidité à 70%. Ressenti : 40°. Doha a pourtant basculé depuis longtemps dans la nuit. Quarante-deux kilomètres plus tard, les chiffres n'ont pas bougé d'un cil. Même moiteur. Et la même impression d'avancer dans un four. Passé le premier tour, chaleur et humidité taillent dans le peloton avec la précision d'une serpe. Une à une, les filles s'écroulent comme sous la mitraille. «Elles sont entrées en surchauffe», résume le médecin de l'équipe belge. L'ambulance les ramasse pour les conduire vers la tente de l'infirmerie. Les plus mal en point y entrent en fauteuil roulant. Les autres, encore capables de tenir sur leurs jambes, le font en claudiquant, soutenues par les équipes médicales. Soixante-huit athlètes se sont présentées sur la ligne de départ. A l'arrivée, elles ne sont plus que quarante. Vingt-huit abandons. Un record aux championnats du monde.

En zone mixte, l'une des plus entourées porte les couleurs de l'équipe américaine. Roberta Groner, 41 ans, infirmière à temps plein dans le New Jersey, mère de trois enfants, a arraché sur ses jambes tremblantes la 6e place de la course. Entre deux larmes d'émotion, elle raconte sa nuit comme elle le ferait d'un séjour en enfer. «Jamais, de toute ma vie, je n'avais connu des conditions aussi difficiles. Je ne connais même pas mon temps, mais il n'a aucune importance. Tout a été mental. J'ai pensé à mes enfants. Surtout, j'ai bu, bu et encore bu. Ma première bouteille d'eau, je l'ai sifflée dès le 3e kilomètre. Dans la deuxième partie de la course, j'avais coincé un sac de glace dans le haut de mon dos. En prenant le départ, je pensais à deux choses : finir et ne pas me mettre en danger. Après une telle épreuve, tout me semblera plus facile.»