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Ligue 1 : le discrédit lyonnais

Défait devant son public par Nantes samedi (0-1), l’OL n’a plus gagné en Ligue 1 depuis six matchs. Une crise de résultats qui s’explique par la désunion de l’équipe de Sylvinho, son entraîneur, qui pourrait bien prendre la foudre pour les autres.
Un supporteur de l’Olympique lyonnais avec la star Memphis Depay (à droite), après le match contre Nantes, samedi. (Photo Emmanuel Foudrot. Reuters)
publié le 29 septembre 2019 à 20h06

On s’est pointé samedi à Décines (Rhône) pour voir l’Olympique lyonnais tomber (0-1) devant le FC Nantes, basculant ainsi dans la crise et dans la deuxième moitié de tableau de Ligue 1. Et on n’a pas regretté le voyage. Une fausse touche caviardée par une star internationale comme s’il était le premier minime venu, ça n’arrive pas tous les jours.

Un défenseur valide (Joachim Andersen) acheté 25 millions d’euros (plus 5 de bonus possible) et qui voit le match depuis le banc de touche, ça n’arrive pas souvent non plus. Et un gamin (21 ans) complètement paumé sur le terrain qui décide de jouer au général d’armée au milieu du chaos, s’exilant quelque part dans le décor avec une paire de jumelles, alors que ses coéquipiers ont les mains prises dans l’eau de vaisselle, c’est rare aussi.

Le roi parmi son peuple

Plonger dans la réalité lyonnaise quand le club est en détresse, c’est appréhender une série de décalages qui, séparément, n’ont pas le même sens que pris ensemble. Un puzzle que les intéressés, à commencer par l’éternel président, Jean-Michel Aulas, voient toujours plus clairement que ceux qui les observent - vous et moi. Du moins jusqu’ici. C’est pour cela que c’est difficile. Les Nantais n’avaient même pas encore quitté le terrain après le match qu’un supporteur torse-poil est sorti des tribunes pour engrainer les joueurs. Vigoureusement raccompagné par le service d’ordre derrière les panneaux publicitaires, il a continué à râler. Superbe, Memphis Depay, la star internationale à la fausse touche, s’est approché de lui depuis le milieu du terrain comme un roi, avec une lenteur qui lui rendait la maîtrise du moment, comme s’il descendait parmi son peuple. Profondément croyant et n’aimant rien tant que rappeler combien sa foi l’a ramené sur la bonne voie après une enfance compliquée, l’attaquant néerlandais s’est alors offert une bonne tranche de fraternité, appréhendant la discussion avec une douceur apparente (aucun micro n’a enregistré l’échange) et montrant toute la bienveillance et l’empathie du monde.

Depay est un cas. Bruno Genesio, son coach dans le Rhône entre 2017 et 2019, a expliqué un jour l'avoir secoué devant tout le vestiaire : «Je l'ai pris entre quatre yeux et je lui ai rappelé qu'il n'a jamais été un grand joueur», tout juste une promesse, nommée au prix du meilleur espoir du Mondial 2014 avant de se perdre en Angleterre. La scène est facile à imaginer : le joueur a écouté poliment. Puis il a oublié ce qu'on venait de lui dire. Même à l'échelle du foot, ce type n'habite pas au même étage que les autres : il semble naviguer entre une manière de rédemption (mais laquelle ?), une confiance illimitée en ses propres moyens et l'amour - maintes fois formulés - de son prochain. Pendant trois mois, il va tirer au but dans toutes les positions au mépris du plus élémentaire sens collectif et les six mois suivants, on le verra à l'inverse donner le ballon tant et plus, sans un regard pour le gardien adverse. Tout est démesuré.

Genesio le taxe en creux de mégalomanie, il n’est pas le seul, mais celle-ci se discute. Un ex-international français nous avait sensibilisé à un point de vue différent, possiblement celui d’un joueur qui, par ailleurs, fait des matchs extraordinaires avec la sélection néerlandaise depuis un an : l’équipe est là pour servir les joueurs comme lui qui, en retour, doivent faire tilter le tableau d’affichage. Un spécialiste des «derniers mètres», si l’on ose la doctrine militaire, qui le condamne incidemment à être à température de ses coéquipiers - s’ils sont mauvais, il est mauvais - et qui le glisse dans un rôle à la fois central et sacrificiel : rien n’est plus difficile que de marquer. Et ouvrir un espace de discussion avec un supporteur hors de lui un jour où le club tremble sur ses bases n’est pas simple non plus, c’est même un peu pareil : central car tout se rapporte à lui, sacrificiel aussi parce qu’il va à la corne.

Le foot Hollywoodien

Devant les micros, Depay s'est un peu plus grandi : «Ce n'est ni la faute du coach [Sylvinho, Brésilien sur la sellette, ndlr] ni la faute du staff. Ce sont les joueurs qui doivent prendre leurs responsabilités. On a besoin de nos supporteurs pour surmonter cette période difficile. J'ai eu une bonne conversation avec eux après le match. Mais cela ne vous regarde pas.»

Quand il discutait avec le gars torse nu, le milieu Houssem Aouar est parti le rejoindre : celui qui joue au général d’armée au milieu du chaos. Il est difficile de juger durement - et même de juger tout court, le foot leur appartient - un joueur comme Aouar, promis aux plus grands clubs d’Europe à 19 ans alors qu’il n’avait même pas six mois de professionnalisme derrière lui. Enfant de l’Olympique lyonnais, Aouar était né au football avec ce que personne d’autre que lui et Kylian Mbappé n’ont eu d’instinct parmi la jeune génération des joueurs offensifs tricolores : des «statistiques», c’est-à-dire des buts et des passes décisives, la faculté de «faire» le score d’un match. Pour tous les footballeurs du monde, c’est le dernier stade, la pose du toit. Aouar avait déjà le toit en plus du reste : le mur porteur (la technique), les fenêtres (l’œil), les fondations (un caractère structuré), tout.

Samedi, le gamin a donné de la voix pour replacer untel, commandé à son gardien de relancer à gauche plutôt qu’à droite, montré la direction de passe à ses milieux. Il a tout fait sauf jouer au foot. On a commencé par essayer de se mettre à sa place. Pourquoi ? Où est le plaisir à faire le sémaphore dans une équipe en perte de confiance, qui trouverait un mur dans le désert pour pouvoir s’y précipiter la tête en avant ? A quoi ça rime ? Et c’est là, à force de se faire des nœuds dans la tête, que les cloches de la vérité ont tinté à toute force : l’Olympique lyonnais, c’est le football hollywoodien. Brillant, profondément excitant jusque dans les soirs de défaite parce qu’il se passe toujours quelque chose de spectaculaire en coulisse pour venir au secours du terrain : un football de comédie. Même si l’acteur principal a déserté les planches. Histoire de moderniser son management (officiellement) et de se consacrer à la conquête d’une Fédération française où il est déjà vice-président quand Noël Le Graët passera la main, Aulas est devenu invisible médiatiquement, manière de pousser en avant le binôme brésilien constitué de l’ancien joueur et directeur sportif Juninho et l’entraîneur choisi par celui-ci, Sylvinho.

Mais ça reste un football de comédie : d'énormes joueurs avec des ego XXL, des happenings éclairant chaque tournant d'un jour nouveau, des footballeurs endossant une seconde personnalité pour inciter le public à penser dans leur sens et une science marketing sans pareille. Quand il a brièvement interrompu son carême médiatique à l'occasion d'une remise de prix la semaine dernière, Aulas a cité Lénine, un Lénine tout en cynisme et en second degré : «La confiance n'exclut pas le contrôle.» Une preuve par l'absurde : s'il avait voulu prouver qu'il était indispensable, Aulas aurait disparu tout pareil.

Samedi, du coup, il était attendu devant les caméras comme jamais, dans la grande tradition des séances de communication de crise qui l’ont parfois vu empoigner un mégaphone devant un kop de supporteurs ou travailler en douceur l’arbitre d’un match à venir.

«Très, très pauvre»

Là, rien. Enfin si : Juninho. Pâle mais direct, un peu las aussi. «Je suis venu parler pour deux raisons, par respect pour l'institution [le club] et les supporteurs. Contre Nantes, on a eu des occasions de but [six, un nombre important]. Mais il se trouve que quand on a le ballon, c'est pauvre. Très, très pauvre. Et quand on ne l'a pas, on sent que l'adversaire peut nous faire mal à chaque fois, sur chaque ballon, quel que soit le niveau de cet adversaire d'ailleurs. Il n'y a pas d'énergie, pas de tacle, pas d'engagement. Un joueur fait les efforts. Puis l'autre. Puis un troisième: on ne presse pas l'adversaire ensemble, on ne joue pas ensemble. Je ne dirais pas que je lie mon sort à celui de Sylvinho à 100%. Mais je l'ai choisi. Les supporteurs voulaient voir autre chose [des entraîneurs issus des rangs du club, comme Rémi Garde ou Genesio], donc je suis allé chercher quelqu'un qui venait d'ailleurs [Sylvinho était adjoint dans la sélection brésilienne], un bosseur, un mec qui rentre dans les détails. Je peux lui reprocher une chose et une seule : il a mis du temps à ouvrir l'équipe alors que les résultats n'étaient pas bons, il aurait dû changer des joueurs plus tôt. Or, à Lyon, ceux-ci ont des habitudes. Ils réclament des trucs, ils disent quand ils ne sont pas contents. L'attitude est mauvaise : quand tu ne marques pas, tu ne marques pas, tu peux quand même comprendre pourquoi tu sors de l'équipe. Dans ma vie, je me suis toujours accroché. Mais je fais partie des résultats et ceux-ci sont mauvais. On avait imaginé un autre football [que celui déployé par Lyon depuis quelques saisons] avec plus de pression sur l'adversaire, une équipe plus haut sur le terrain [c'est-à-dire positionnée plus près du but adverse, en conquête] avec plus d'impact physique. Mais on ne produit pas de jeu. On ne donne pas satisfaction aux supporteurs, ni à personne d'autre. J'ai parlé aux joueurs à trois reprises. La dernière fois, c'était vendredi. Huit ou neuf joueurs se sont exprimés, pas seulement les cadres : on respecte la hiérarchie, mais quand ça ne marche pas, tout le monde doit parler. J'en étais sorti serein, optimiste. Mais la réalité, c'est que quand deux ou trois joueurs sont très bien, trois ou quatre passent bien à côté du match. Le président décidera.»

C’est tombé du ciel, tout droit : une confession magnifique, transparente, le sport de haut niveau en barre. Un peu tout le foot à marée basse, dans le Rhône ou ailleurs, et ce n’est pas bon signe dans un club autrement outillé que ceux qu’il affronte dans les compétitions hexagonales : les starlettes, les revendications, les intérêts particuliers qui laminent l’essence collective. Sylvinho portera le chapeau, comme d’autres avant lui. Et après lui. Juninho a porté un regard triste là-dessus, le regard d’un type qui voudrait empêcher la Terre de tourner. Lui ne fait pas semblant.

La 8e journée de Ligue 1

Samedi : Lyon-Nantes (0-1) ; Bordeaux-Paris (0-1) ; Angers-Amiens (1-1) ; Monaco-Brest (4-1) ; Metz-Toulouse (2-2) ; Nice-Lille (1-1) ; Reims-Dijon (1-2).

Dimanche : Strasbourg-Montpellier (1-0) ; Nîmes-Saint-Etienne (0-1) ; Marseille-Rennes (non parvenu).