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Athlétisme

Shelly-Ann Fraser-Pryce, cheveux au cent

La Jamaïcaine aux coiffures excentriques a remporté un quatrième titre mondial sur 100 m. Son palmarès la place parmi les plus grandes sprinteuses. Peut-être même la plus grande.
Shelly-Ann Fraser-Pryce remporte la finale du 100 m, samedi à Doha. (Photo Ibraheem al-Omari. Reuters)
publié le 30 septembre 2019 à 9h47

Shelly-Ann Fraser-Pryce, ce sont d’abord des cheveux. Une tignasse irréelle. Une injure au bon goût. Pour son entrée dans la compétition, samedi 28 septembre, elle avait choisi de les colorer d’un jaune poussin. «La couleur du soleil», dit-elle. Pas facile à porter, mais en accord avec le maillot jamaïcain. Le lendemain, pour la finale du 100 m, elle a osé le mélange. Bleu et rose sur le dessus, avec une touche de vert. Jaune et orange dans le dos. «Je m’en amuse, répond-elle aux incessantes questions sur le sujet. Je ne sais pas toujours à l’avance ce que je vais en faire. Il m’arrive de décider selon l’humeur du moment.»

A Doha, dimanche, il semble que son humeur l’ait incitée à ne pas choisir. Sur la piste, en revanche, elle n’a pas hésité. Un départ comme dans un rêve, une accélération supersonique, un finish sans un accroc, les yeux levés au ciel. A mi-ligne droite, c’était déjà gagné. Le temps : 10"71, meilleur chrono mondial de l’année, à un centième de son record personnel.

«Fusée de poche»

Détailler son palmarès demande plus de temps qu’elle n’en a besoin pour avaler un 100 m. Shelly-Ann Fraser-Pryce a décroché à Doha son quatrième titre mondial sur la distance. Dans sa maison de Kingston, sa collection compte également deux médailles d’or olympiques (2008 et 2012). Aux Mondiaux de Moscou, en 2013, elle s’est offert un triplé – 100, 200 et 4x100 m. La même année, Usain Bolt a réussi la même prouesse. Tout le monde s’en souvient. Shelly-Ann Fraser-Pryce, elle, n’a jamais fait la une. Elle s’en moque.

Son gabarit – elle mesure 1,52 m – lui a valu un surnom, la «fusée de poche». Mais son parcours ne justifie aucun raccourci. Shelly-Ann Fraser-Pryce a grandi dans un ghetto de Kingston, où l'un de ses cousins a été abattu d'une balle non loin de la maison familiale. Elle se souvient d'avoir souvent été abordée par des gangs, en rentrant de l'école. Aujourd'hui, elle aime raconter que sa mère, Maxine, l'a prise un jour entre quatre yeux, à l'adolescence, avec ces quelques mots : «Ma fille, Dieu t'a donné un talent, alors fonce et va t'en servir.»

«J’ai dû travailler sans relâche»

A Doha, dimanche soir, la Jamaïcaine a célébré son titre mondial par un tour d'honneur en portant dans les bras son fils de 2 ans, Zyon. Plus tard, en conférence de presse, elle a déroulé avec des gestes patients tous les fils d'une maternité dont elle a craint de ne jamais complètement se remettre. «Avoir un enfant n'a pas été facile. J'ai accouché par césarienne. Il m'a fallu 10 semaines pour m'en remettre. Physiquement, l'épreuve a été difficile, mais elle l'a été plus encore sur le plan mental. J'avais 30 ans, je n'étais sûr de pouvoir revenir à mon meilleur niveau. L'an passé, pour ma première saison après la naissance de mon fils, j'ai dû travailler sans relâche pour retrouver mon départ et ma mise en action. Mais je n'ai jamais perdu de vue l'objectif que je m'étais fixé.»

Toutes les filles ayant couru ayant été convaincues ou fortement soupçonnées de dopage, Shelly-Ann Fraser-Pryce est-elle plus grande sprinteuse de l'histoire (1) ? La question lui a été posée, dimanche soir. Elle a ouvert deux grands yeux. Puis répondu : «Je ne sais pas, mais je ne cours pas pour gagner une place dans l'histoire. Cette année, je voulais seulement venir à Doha et faire le show.» Mission accomplie.

(1) Elle même a été suspendue six mois en 2010 pour utilisation d’un antidouleur, - pour, a-t-elle assuré calmer une rage de dents-, sans en avoir averti les autorités de l’athlétisme.