Il faut assister aux entraînements du XV de France pour vraiment s'en rendre compte. Des terrains de Marcoussis à ceux de Kumamoto, le spectacle est presque toujours la même depuis que les Bleus ont commencé leur aventure pour disputer le Mondial. Un sélectionneur Jacques Brunel silencieux et en retrait, comme s'il ne se sentait pas concerné. Et au milieu de tous, un Fabien Galthié qui s'agite, encourage, engueule aussi les joueurs qui s'échinent à respecter ses consignes. C'est le paradoxe qui nourrit actuellement le XV tricolore. L'ancien capitaine des Bleus est à la fois un adjoint «comme les autres», selon la formule consacrée par Brunel lui-même, et le futur sélectionneur après la Coupe du monde. Le fantasme de sa prise de pouvoir est forcément prégnant.
En ce qui concerne le terrain en tout cas, il n'y a plus guère de doutes. Nommé en mai par le président de la FFR, Bernard Laporte, pour renforcer un encadrement déboussolé par un énième Tournoi des six nations raté, Galthié est officiellement en charge de «l'animation collective» au sein d'un staff pléthorique de dix-huit membres, sans compter Brunel. Ce qui revient à dire qu'il détient désormais les clés du jeu de ce XV de France qui dispute mercredi contre les Etats-Unis son deuxième match de la Coupe du monde.
«Les choses sont beaucoup plus claires, plus cadrées»
Il y a trois mois, le futur sélectionneur est donc arrivé plus tôt que prévu à Marcoussis, au Centre technique national. Accompagné d'un de ses fidèles, Thibault Giroud, qui a cornaqué toute la préparation cet été, il a donc commencé à mettre en place ce jeu de vitesse et de haute intensité qu'il chérit tant. Et pour l'instant, les joueurs sont conquis. «Les choses sont beaucoup plus claires, beaucoup plus cadrées», assure l'arrière Maxime Médard. «Nous retrouvons plus d'automatismes et de plaisir. Nos lancements sont plus efficaces qu'avant», confirme le centre Gaël Fickou. «Le projet de jeu, est plus précis que lors du dernier Tournoi des six nations, apprécie le talonneur Camille Chat. Galthié est quelqu'un de très pragmatique. On comprend rapidement ce qu'il veut.» Les éloges sont unanimes parmi les Bleus même si l'on imagine facilement qu'aucun n'oserait prendre le risque de froisser son futur sélectionneur. En tout cas, sa patte est déjà visible, comme lors de la première période face à l'Argentine (victoire finale 23-21) ponctuée de deux essais tricolores haut de gamme. L'attelage avec Jacques Brunel semble donc fonctionner pour le moment.
Réputé tacticien hors pair mais au caractère compliqué, «Galette» voue un profond respect au sélectionneur. «Si ce n'avait pas été pour Jacques, il ne serait sans doute pas venu, estime Fabrice Landreau, son ancien adjoint au Stade Français (2004-2008) puis au RC Toulon (2017-2018). C'était prendre un risque de débuter sa mission six mois avant.» Brunel et Galthié ont noué une relation particulière au cours de leurs carrières. Galthié a joué pour Brunel pendant quatre ans à Colomiers, dans la banlieue toulousaine. Ils y ont vécu une formidable épopée en s'inclinant en finale de la Coupe d'Europe 1999 contre les Irlandais de l'Ulster. Avant de vivre d'autres grands moments, en bleu cette fois. L'un était capitaine du XV de France, l'autre adjoint des avants de Bernard Laporte. Et ensemble, ils remporteront le Grand Chelem en 2002 puis iront jusqu'en demi-finale de la Coupe du Monde l'année suivante.
«Il y a un profond respect entre eux, abonde Landreau. Et je suis convaincu que cela n'aurait pas fonctionné avec quelqu'un d'autre. Ça leur permet de travailler main dans la main.» Galthié, qui avait postulé en 2007, 2011 et 2015 sans succès pour diriger l'équipe de France, attend donc maintenant sagement son tour pour prendre la lumière. Hors du terrain d'entraînement, il reste donc volontairement en retrait. C'est à Brunel, sélectionneur, que revient la charge des conférences de presse et des briefings. Et l'ancien demi de mêlée semble y trouver son compte.
«C’est l’unité nationale qui prédomine»
Il y a bien eu cet article opportunément appelé «l'Alchimie tricolore» publié début août sur le site de la FFR où Galthié explique devoir «répondre aux attentes et aux demandes de Jacques» et tâcher «d'apporter des réponses en termes de méthodologie, d'organisation par rapport aux besoins signalés». Mais à part ça, rien à signaler. Un silence médiatique assourdissant qui devrait durer jusqu'au lendemain de la finale de la Coupe du monde (le 2 novembre), jour de l'officialisation du début de son mandat, comme cela a été décidé en accord avec Bernard Laporte et sa garde rapprochée. «Ça ne me surprend pas, estime Fabrice Landreau. C'est l'unité nationale qui prédomine, surtout pour une Coupe du monde. Il ne faut qu'un seul discours et c'est le sélectionneur qui doit le délivrer.» Curieux tout de même de voir Galthié aussi effacé. Lui qui a été consultant pour plusieurs médias, notamment France Télévisions et qui participe à toutes les opérations de communication au Japon. La semaine dernière, il a d'ailleurs participé à un entraînement avec une sélection des meilleurs jeunes de la région de Kumamoto.
On l’a vu sourire devant les caméras comme la majorité des Bleus d’ailleurs qui reconnaissent qu’ils n’avaient pas connu meilleure ambiance au sein du groupe depuis plusieurs années. La victoire face à l’Argentine il y a dix jours a forcément adouci le contexte qui a parfois été pesant autour de la sélection. Mais dès les premières difficultés dans ce Mondial, le climat pourrait changer autour du XV de France. S’il a convaincu jusqu’à maintenant, son futur sélectionneur sait que déjà, une partie de son crédit se joue au Japon.