Le typhon Hagibis a concentré tous les regards. Mais sur le terrain de la Coupe du monde, c'est une autre tempête qui a causé des tourments à World Rugby lors de la phase de poules. Dès les premiers jours, l'institution a lâché un communiqué cinglant à l'encontre des arbitres, considérant que «leur niveau observé durant le week-end d'ouverture ne correspondait pas toujours aux standards établis par World Rugby». On a connu plus franc comme soutien pour un contingent de douze arbitres principaux, dont les Français Mathieu Raynal, Jérôme Garcès, Romain Poite et Pascal Gaüzère, sept juges de touches (le tricolore Alexandre Ruiz en fait partie) et quatre arbitres vidéo. Pas «autorisés à communiquer», ils ont donc encaissé en silence. «C'était un très mauvais signal», considère Franck Maciello, le nouveau patron de l'arbitrage hexagonal, pour qui cette sortie précoce est «une porte ouverte à toutes les critiques. Si l'institution se le permet, pourquoi les autres composantes du rugby se gêneraient-elles ?»
Il faut dire que les polémiques ont fleuri dès les premiers matchs. Le sélectionneur de l'Argentine, Mario Ledesma, a regretté d'avoir été arbitré «comme un petit pays» contre la France (23-21). Des Bleus, dont le pilier Jefferson Poirot, ont manifesté leur agacement concernant les nouvelles règles en mêlée. Et le sélectionneur australien, Michael Cheika, a ironisé après une charge jugée illicite d'un de ses joueurs et sanctionnée d'une pénalité : «Je ne connais plus les règles. Honnêtement, je ne les connais plus…»
Avec la fin du premier tour, World Rugby a quelque peu révisé son jugement par la voix de son président, Bill Beaumont, «certain» que l'arbitrage s'était «amélioré» depuis le début du tournoi et argumentant que les joueurs avaient «parfois des bons et des mauvais jours et que c'était aussi le cas des arbitres».
«Part de subjectivité»
Ce sont surtout les décisions concernant le jeu déloyal qui ont été visées par la polémique. World Rugby avait émis une priorité avant cette Coupe du monde : la protection des joueurs. Les arbitres ont la consigne de sanctionner sévèrement en cas de plaquage haut caractérisé (effectué au-dessus de l'épaule ou sans enserrer avec les bras). Sept joueurs ont ainsi été exclus pour ce fait de jeu. Pour assister ses officiels, l'instance a adopté un «arbre décisionnel». Dès le contact, l'arbitre interrompt le match et visionne la séquence et il doit se poser trois questions : y a-t-il eu contact avec la tête ? Y avait-il danger ? Y a-t-il des facteurs susceptibles d'atténuer la sanction ? «C'est très intéressant de bénéficier d'un cadre commun, de tenter d'homogénéiser les décisions», estime Pierre Brousset, qui officie en Top 14 où la démarche a aussi été adoptée. «Le problème, c'est qu'avec la notion de danger, il y a toujours une part de subjectivité. Il y a des circonstances atténuantes. Le joueur plaqué s'est-il baissé ? Le plaquage est-il un réflexe ? Et ces facteurs seront toujours sujets à discussion…»
Entre la «simple» pénalité, le carton jaune et le carton rouge, l’éventail des sanctions est large et n’a pas la même influence sur la rencontre. Depuis le début du Mondial, la fédération internationale prend souvent le relais de ses arbitres pour alourdir certaines décisions qu’elle juge trop clémentes. C’est arrivé à l’ailier australien Reece Hodge ainsi qu’à deux joueurs samoans, Rey Lee-Lo et Motu Matu’u. Pénalisés d’abord d’un carton jaune, ils ont ensuite été suspendus chacun trois matchs.
«Débats inévitables»
L'arbitrage s'avère de plus en plus complexe et n'évite pas les erreurs, d'autant que le rythme des rencontres s'intensifie. «Ça va de plus en plus vite, confirme Pierre Brousset. On essaye de se préparer de mieux en mieux mais il y aura toujours des erreurs […]. Il faut que les joueurs sachent que l'arbitre va se tromper. Le tout est de trouver le bon équilibre. Si on voulait siffler toutes les fautes, on arrêterait le jeu toutes les trente secondes. La clé, c'est la cohérence…» «Notre sport est complexe mais c'est ce qui fait son charme», abonde Franck Maciello, pour qui les «débats restent inévitables».
Les matchs couperets enfin arrivés, les arbitres seront davantage scrutés, à l’image de Jérôme Garcès, choisi pour officier lors d’Angleterre-Australie samedi à Oita. Une belle récompense pour le Palois et les sifflets tricolores qui ont dirigé 30 % des matchs de poules. Et ce n’est peut-être pas terminé… Pourquoi ne pas voir l’un d’entre eux retenu pour la finale ? A moins que les Bleus de Jacques Brunel ne la disputent… Pour l’instant, on parierait plus sur la présence d’un arbitre français sur la pelouse le 2 novembre à Yokohama que sur celle de quinze de ses compatriotes.