Menu
Libération
Rugby

Demi-finales du Mondial : Masterclass, mystère et «mordant»

Après une victoire étonnante contre les All Blacks ce week-end (7-19), l’Angleterre affrontera l’Afrique du Sud vendredi en finale de la Coupe du monde de rugby au Japon.
Le centre sud-africain Damian de Allende pris par le Gallois Dan Biggar, dimanche à Yokohama. (Photo Behrouz MEHRI. AFP)
publié le 27 octobre 2019 à 20h31

Le rugby international a frôlé le chaos. Soixante-quatorzième minute de la demi-finale entre les Gallois et les Sud-Africains, 16-16 et les vainqueurs du dernier Tournoi ont le vent dans les voiles quand un avant, malencontreusement, traîne sur le côté d'un maul adverse : pénalité, l'ouvreur des Springboks Handré Pollard - qui se méfiait avant la rencontre de «l'étouffant pays de Galles» alors que la presse de son pays lui promettait une promenade de santé - tape entre les perches. Et voilà les vainqueurs du dernier Rugby Championship devant la Nouvelle-Zélande et l'Australie qui sauvent (19-16) l'honneur de l'hémisphère Sud, toujours présent en finale de Coupe du monde depuis la création de l'épreuve en 1987, mais ébranlé du sol au plafond depuis samedi et la dégelée (7-19) des All Blacks devant l'Angleterre.

Instantanément, le Landerneau (anciens joueurs, médias) a pris les Gallois en pitié : «heartbreak», «crève-cœur». De quoi alimenter leur légende de losers magnifiques ; toujours plus près, toujours plus épuisés, toujours plus méritants. Les ex-finalistes australiens du Mondial 2003 George Gregan et Lote Tuqiri ont tweeté à propos de la demie de dimanche : «Un match pour les puristes», le second ajoutant : «Nous avons été gâtés.» Un cortège d'égards passé bien au large des All Blacks, donc, détruits à Yokohama par Tom Curry, Sam Underhill et consorts.

Une expression a fleuri après le match pour qualifier l'approche de la rencontre du coach australien de l'Angleterre, Eddie Jones, qui dévore le terrain médiatique depuis sept semaines que la Coupe du monde a commencé : «Masterclass.» Reprise en boucle, elle alimente une idée, voire une théorie : c'est la méticulosité du travail effectué en amont qui a décidé du sort du match et expédié les doubles champions du monde en titre par-dessus bord.

Agressivité

Masterclass ? «On a subi», a constaté le centre néo-zélandais Anton Lienert-Brown. «On a été dépassés dans la bataille des rucks», cette lutte furieuse pour le ballon au sol après qu'un joueur a été plaqué, a ajouté le demi de mêlée Aaron Smith. Ce qui renvoie tout simplement au premier commandement du rugby, un truc qu'un honnête entraîneur de Fédérale 3 (dernier échelon du rugby amateur hexagonal) doit savoir activer sans pour autant être sorti du Saint-Cyr du rugby : l'agressivité, une attitude mentale supérieure. «L'idée était de les secouer physiquement, a éclairé le 3e ligne centre du XV de la Rose Billy Vunipola. On en a parlé toute la semaine.» Le sélectionneur All Black, Steve Hansen, a très mal pris l'évocation d'un manque de pugnacité : «C'est un manque de respect que de dire que les All Blacks n'avaient pas assez faim de victoire. Compte tenu du niveau de jeu et de l'histoire des joueurs qui ont disputé cette demi-finale, je trouve la question plutôt insultante. Je leur ai demandé d'être plus mordants à la mi-temps et ils l'ont été.» Manière de dire qu'ils n'étaient pas suffisamment concernés en première période, ce que confirme l'essai concédé au centre anglais Manu Tuilagi au bout de cent secondes : la thèse de l'embourgeoisement tient debout.

Pour le reste, les All Blacks ont été discrets après la rencontre. Ils sont rendus à une forme de mystère. En 2011, ils avaient survécu à une finale irrespirable dominée par des Bleus battus (7-8) sur le fil et l’arbitrage du Sud-Africain Craig Joubert fait encore parler. En 2015, l’histoire d’une marche triomphale jusqu’au titre est un mythe qui eut le mérite de renforcer l’image idéalisée de leur sport : l’ex-futur sélectionneur de l’équipe de France Fabien Galthié a expliqué une fois avoir vu la pénalité non sifflée qui aurait permis aux Springboks de retourner la demi-finale arrachée (20-18) par les Blacks.

Précis, organisés au centimètre près, les Anglais ont levé le voile sur la cuvée néo-zélandaise de 2019 : pas une occasion d’essai qui n’ait été offerte par les Anglais eux-mêmes, pas plus d’intensité ou de vitesse pour pousser la défense adverse à la faute (aucune pénalité concédée par les Britanniques dans leur camp avant que le match ne soit joué), des avants dévorés sur pied. Rien qui n’eut justifié un troisième titre mondial de rang.

Trop beaux

Vendredi, ce qui reste de l'aura All Black disputera à Tokyo une finale pour la troisième place contre des Gallois au bout du rouleau et la rencontre vaudra le coup d'œil : ceux que tout le monde voyait trop beaux se retrouveront face à ceux que tout le monde voyait trop moches. Tout en s'offrant le genre de pensées rétrospectives qui présument la fin de l'aventure, le coach anglais Eddie Jones a laissé entendre qu'il ne tomberait pas dans le panneau d'une finale remportée contre les Kiwis avant la lettre : «Je me souviens de la toute première réunion que j'ai eue avec ce groupe, quand j'ai été nommé il y a quatre ans. On s'est dit qu'on voulait être la meilleure équipe du monde. Ce n'est pas encore le cas. Il reste un match.»

Contre l’Afrique du Sud et sa deuxième ligne composée d’Eben Etzebeth et de Lood de Jager, deux parangons de férocité tenant plus de l’accomplissement des forces brutes - ils s’étaient offert une bagarre mémorable l’un contre l’autre lors d’un match en 2016 - que du marketing du rugby. Pas plus mal pour l’idée que l’on peut se faire d’une finale mondiale.