«Il a entraîné tellement d'équipes que, dès le lundi, il sait exactement le plan de jeu qui va nous permettre de gagner le week-end.» Ainsi parle l'arrière anglais Elliot Daly d'Eddie Jones, l'entraîneur australien d'un XV d'Angleterre qui tentera dimanche contre l'Afrique du Sud d'enlever son deuxième titre mondial après celui de 2003. Pour Jones, ce serait le premier. Presque une incongruité pour l'un des tout meilleurs entraîneurs mondiaux vainqueur du Tri-Nations en 2001 avec l'Australie, de quatre tournois des Cinq nations asiatiques avec le Japon et deux Tournois des six nations avec l'Angleterre (dont un Grand Chelem). Une victoire samedi sonnerait comme une revanche personnelle, seize ans après avoir perdu une finale mondiale à domicile à la tête de l'Australie, contre l'Angleterre. En 2007, il n'était que consultant dans le staff des Springboks champions du monde.
Dès son arrivée au poste de sélectionneur de l’Angleterre, il y a quatre ans, Eddie Jones a minutieusement préparé, tactiquement et physiquement son équipe pour la finale de la Coupe du monde. C’était l’objectif fixé par la Fédération anglaise, après le fiasco du Mondial 2015, où le pays hôte n’était pas sorti de la phase de poules. Elle a donc sorti son chéquier pour attirer l’un des meilleurs techniciens du monde, tout juste auréolé d’une historique victoire à la tête du Japon contre l’Afrique du Sud (34-32) en Coupe du monde. Et en faire le premier étranger à la tête de la sélection, ainsi que l’entraîneur le mieux payé au monde, avec un salaire annuel estimé à 860 000 euros par la presse anglaise. Le prix de la compétence d’un technicien de 59 ans qui roule sa bosse sur le circuit depuis le milieu des années 90, après une honnête carrière de talonneur.
«Trois ou quatre bières»
Eddie Jones est un maître tacticien. Sur les terrains d’abord. Son plan de jeu a étouffé la Nouvelle-Zélande, double tenante du titre laminée samedi en demi-finale (19-7), où il a ressorti de son chapeau la doublette d’ouvreurs Owen Farrell-George Ford qui ont supplicié les Blacks en les baladant avec leur jeu au pied. En dehors du pré, il est un expert des petites phrases qui font les gros titres, et des «mind games», ces luttes d’influence avec l’adversaire par presse interposée.
Jones contrôle jusqu'à la communication, dont il se sert pour renverser la pression, la prendre sur ses épaules et l'ôter de celles des joueurs. En retour, il leur demande 100%, et même un peu plus, tout comme à ses adjoints. «Vous avez tous entendu dire qu'Eddie était capable d'appeler l'analyste technique à 2 ou 3 heures du matin pour faire préparer des vidéos… Cela vous donne une petite idée de son exigence», raconte ainsi Bryan Habana, l'ailier des Springboks sacrés en 2007. Cette exigence se double d'une grande franchise, car «Eddie est toujours honnête, vous savez exactement ce qu'il pense de vous», selon l'arrière Elliot Daly. Malin, Jones a également su s'attirer la sympathie de ses joueurs tout en les responsabilisant en leur autorisant à boire «trois ou quatre bières» lors des longues soirées au centre d'entraînement.
Judo, MMA, football et cyclisme
Surtout Jones, ancien enseignant, fils d’un militaire australien et d’une Américano-Japonaise, est aussi exigeant envers les autres qu’envers lui-même, bourreau de travail se levant aux aurores pour concocter des entraînements intenses et variés. Pour ces séances, il se tourne vers des horizons divers : afin d’améliorer les postures au contact et la technique de placage des Anglais, il a ainsi fait appel à des spécialistes du judo puis des arts martiaux mixtes (MMA). Et, l’an passé, au Néo-Zélandais John Mitchell (défense) et à l’Australien Scott Wisemantel (attaque) pour muscler son encadrement. Jones puise aussi dans d’autres sports, comme le football -il s’est entretenu avec Arsène Wenger ou Guus Hiddink – et le cyclisme (la formation australienne Orica-GreenEdge).
La progression du XV de la Rose jusqu'à Yokohama (banlieue de Tokyo), lieu de la finale, a été balisée depuis le premier jour. Il dit même avoir prévu le coup de mou de 2018, quand l'Angleterre a aligné cinq défaites d'affilée après deux premières années fastes, marquées d'un Grand Chelem dans le Tournoi des six nations (2016) et une série record de 18 matchs victorieux. Le contrecoup prévisible de l'intense préparation physique, selon lui. Il demandait alors aussi à la presse anglaise de le «juger sur la Coupe du monde». L'heure est arrivée.