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Bilan

Rugby : la coupe d’un nouveau monde

Promise aux All Blacks ou aux Anglais, la Coupe du monde aura finalement consacré une équipe sud-africaine moins séduisante mais beaucoup plus efficace. Une nouvelle hiérarchie semble se dessiner où le Japon pourrait avoir un rôle à jouer.
Le numéro 9 des Boks Faf de Klerk, après la victoire de l'Afrique du Sud contre les Anglais en finale de la Coupe du monde, samedi. (Photo Behrouz Mehri. AFP)
par Cédric De Oliveira, au Japon
publié le 3 novembre 2019 à 17h21

Ils sont champions du monde et leur capitaine a le charisme d'une star hollywoodienne. Mais les Sud-Africains ont du mal à faire lever les foules, si ce n'est les 57 millions d'habitants qui peuplent leur pays. C'est comme ça, Siya Kolisi et ses partenaires ne sont pas les All Blacks et ils ne le seront d'ailleurs sans doute jamais. Mais s'il y a quatre ans, la Coupe du monde avait consacré le jeu offensif à outrance et les orfèvres néo-zélandais, l'édition japonaise a cette fois fait la part belle aux fondamentaux du rugby que les Springboks ont appliqué à merveille.

«Aujourd'hui, c'était notre jour», a sobrement commenté le troisième ligne François Louw après la finale. «On voulait jouer un rugby qui permettrait de remporter la finale, s'est empressé d'ajouter Faf de Klerk, le numéro 9 hyperactif des Boks. On a eu cette opportunité et on l'a réussi. On n'a jamais dévié du plan de jeu établi.» Une mêlée indestructible, une défense harassante pour les Anglais et un banc de touche surpuissant de six avants ont donc permis à l'Afrique du Sud de Rassie Erasmus de devenir championne du monde pour la troisième fois. Sans contestation possible.

Le pragmatisme sud-africain n'a connu qu'un faux pas au Japon, la défaite initiale face à la Nouvelle-Zélande (23-13) en phase de poules. Mais à entendre le sélectionneur, il a été bénéfique dans la conquête du titre suprême : «Notre premier match face aux All Blacks nous a beaucoup servis pour gérer la pression ensuite. On était très tendus la semaine qui précédait le match et c'est ce qui nous a servis pour gérer la suite de la compétition, notamment en quarts et en demies.»

La désillusion anglaise

L'Afrique du Sud est donc la première équipe à être championne du monde après s'être inclinée pendant la compétition. Elle n'est pas parfaite mais elle a eu raison des Anglais qui restaient pourtant sur une prestation étourdissante en demi-finales (19-7) face aux Néo-Zélandais, grandissimes favoris. Face aux Boks, le XV de la Rose a complètement raté un rendez-vous qui l'obsédait depuis le traumatisme de l'élimination au premier tour en 2015 à domicile. Eddie Jones et ses joueurs étaient fatalistes au moment d'expliquer la défaite : «Je ne sais pas pourquoi on n'a pas aussi bien joué que prévu, a concédé le sélectionneur. Je sais juste que ce genre de choses arrive dans le rugby de haut niveau.»

Après quatre ans à peaufiner le plan de jeu anglais jusque dans le moindre crampon, le stratège a donc vu son rêve brisé à cause d’une bande de morts de faim qui était pourtant moribonde il y a encore deux ans. Des Anglais qui n’ont pas grand-chose à se reprocher si ce n’est peut-être un léger excès de confiance après leur récital face aux Blacks.

Redistribution des cartes

Ce sacre sud-africain vient en tout cas bousculer le rapport de force entre les nations dominantes du rugby mondial. Implacables durant près d'une décennie, avec à la clé deux titres mondiaux (2011, 2015), les Néo-Zélandais ont incontestablement perdu de leur aura au Japon. Et leur désormais ex-sélectionneur Steve Hansen, a bien conscience que la concurrence s'intensifie : «Toutes les équipes progressent. Nous pouvons être fiers de ce qu'on a accompli pendant longtemps car les équipes ont dû beaucoup mieux jouer pour espérer nous battre. Maintenant, ce sont elles qui sont en haut de l'affiche et c'est à nous de les détrôner.» Fin de cycle pour la maison noire qui voit donc Hansen quitter son poste mais aussi les historiques Kieran Read, Ben Smith ou encore Sonny Bill Williams.

De manière générale, et malgré ce titre des Boks, les pays de l’hémisphère sud semble avoir perdu du terrain face à leurs homologues du nord. En 2015, ils affichaient leur incontestable supériorité avec quatre représentants en demi-finales (Australie, Argentine, Nouvelle-Zélande, Afrique du Sud). Cette année, ils n’étaient que deux puisque Wallabies et Pumas ont raté leur tournoi et confirment leur déclin au niveau mondial au profit d’autres nations, notamment du Japon.

Le Japon, enivrante surprise

C'est la belle surprise de cette Coupe du monde : l'enthousiasme des Brave Blossoms par rapport au jeu parfois proposé par les nations historiques. Le pays s'est d'ailleurs passionné pour les exploits de Kotaro Matsushima, Michael Leitch et Kenki Fukuoka. En témoignent, les audiences record, plus de la moitié du pays était devant son téléviseur lors des matchs face à l'Ecosse et l'Afrique du Sud (3-26). Ce qui a d'ailleurs fait dire à Eddie Jones, ancien boss du Japon, que le rugby «sort grandi du tournoi. On a maintenant un très sérieux rival pour la suite».

World Rugby, qui s'est félicité du succès public et commercial de l'évènement – 1 740 000 spectateurs, record battu – a d'ailleurs bien compris que les joueurs japonais avaient ouvert une brèche dans laquelle il serait dommage de ne pas s'engouffrer. Après un bel exercice d'autosatisfaction ce dimanche à Tokyo, où il ne s'est pas étalé sur les conséquences du passage du typhon Hagibis (trois matchs annulés), le président de l'instance, Bill Beaumont, a expliqué : «On veut aider le Japon et les nations émergentes à avoir un accès régulier à des compétitions de haut niveau.»

L’intégration des Brave Blossoms au Tournoi des six nations ou au Rugby Championship n’est pas encore d’actualité mais deux test-matchs sont d’ores et déjà prévus en 2020 face à l’Angleterre et l’Irlande, pour une revanche de l’exploit en phase de poules (19-12). Une manière de s’offrir une tête de gondole en Asie et continuer à se tourner vers d’autres pays pour que le rugby s’universalise. Malgré une prochaine édition qui aura lieu en France dans quatre ans, la tendance devrait s’intensifier à l’avenir.