Chaque samedi avec RetroNews, le site de presse de la BNF, retour sur une histoire de sport telle que l’a racontée la presse française de l’époque. Ce samedi, alors que l’équipe de France féminine de tennis dispute la finale de la Fed Cup : Simonne Mathieu.
Du tennis féminin français de l'entre-deux-guerres, on n'a longtemps retenu que Suzanne Lenglen et pas celle qui lui a succédé, si ce n'est dans les cœurs, au moins sur les courts. De la divine, Simonne Mathieu ne possédait ni la grâce aérienne, ni le jeu tout en variations, ni le sens du contact que ce soit avec la balle ou avec la presse. A Match du 14 octobre 1930, elle répond d'ailleurs en préambule : «Vous voulez m'interviewer ? Eh bien, j'en profiterai d'abord pour vous dire qu'en plusieurs occasions les journalistes n'ont pas été gentils pour nous, faibles femmes…»
A l'époque, Simonne (un double n qui viendrait de l'étourderie d'un agent de l'état-civil) Mathieu trône déjà sur le tennis féminin hexagonal depuis deux ans et le passage chez les professionnelles de Suzanne Lenglen. Elle n'est pas née une raquette à la main mais une cuillère en argent dans la bouche. Fille d'un banquier de Neuilly-sur-Seine, elle voit le jour en 1908. Elle a commencé le tennis à 12 ans après qu'un médecin, la jugeant trop chétive, a conseillé à ses parents de la mettre au sport. Sur les terrains huppés du Stade français où elle croise son futur mari, fils d'un dirigeant du club, qu'elle épouse à l'âge de 17 ans. Son époux et entraîneur sera à l'origine de la revue Smash, premier magazine français consacré au tennis, et présidera longtemps la commission presse et propagande de la Fédération française de tennis. Elle a déjà ses deux enfants lorsqu'elle devient championne de France juniors, en 1926. L'année précédente, elle a perdu en quart de finale à Roland-Garros contre Suzanne Lenglen.
Deux maternités, en 1927 puis en 1928, ne l'empêchent pas de poursuivre sa carrière. La joueuse que Match rencontre en 1930 a déjà fait parler d'elle : finale à Roland-Garros en 1929, demie à Wimbledon en 1930. Elle s'impose comme l'héritière logique de Lenglen. Une succession lourde à porter, comme le souligne le journal. «Suzanne Lenglen, qui tint dans sa main […], pendant plus de dix ans, comme le drapeau du tennis féminin de la France, une raquette qui semblait magique, Suzanne Lenglen blasée, excédée de victoires, résolut un jour de prendre sa retraite. Ses suivantes respectueuses, les autres joueuses françaises, se regardèrent avec angoisse. Tellement écrasées par la tâche immense qui se dressait devant elles : remplacer Suzanne Lenglen, qu'elles restèrent figées sur place, sans défense contre les coups des championnes étrangères, heureuses de pouvoir prendre, enfin, une revanche. Peu à peu, pourtant, elles osèrent relever la tête […]. Et parmi les plus braves et les plus ardentes au combat, on distingua bientôt une jeune femme blonde, dont le visage aux yeux allongés, aux traits fins, était terminé par un menton volontaire. Cette jeune femme, c'était Mme Mathieu, qui est actuellement une des toutes premières joueuses du monde.»
En 1938, Simonne Mathieu remporte Roland-Garros. Enfin. A sa treizième participation. Elle y a déjà perdu six finales depuis 1929. Pas loin d'une malédiction. Mais sa pugnacité a fini par payer. Sur le court, elle ne brille pas par son style. Infatigable relanceuse, elle n'est pas aimantée par le filet, comme Lenglen. Plutôt du genre pilonneuse, ascendant tueuse (notamment grâce à un coup droit surpuissant). Elle n'hésite pas à dire : «Sur le court, mon adversaire, c'est mon ennemie.»
La Petite Gironde du 12 juin 1938 salue l'opiniâtreté plus que le style de la Française enfin couronnée porte d'Auteuil : «Ce n'est pas le match Mathieu-Adamson Laudry (son adversaire en finale), qui se déroule sous nos yeux, qui nous fera changer d'avis sur la monotonie des matches féminins quand l'une ou l'autre des deux adversaires ne sont pas de très bonnes joueuses de volées. Simonne Mathieu a la volonté d'inscrire son nom sur le livre d'or du championnat de France, et on sait que quand elle veut quelque chose, elle le veut bien. […] Nous applaudissons au cran, à l'énergie de Mme Mathieu, et si le spectacle n'a rien d'excitant, nous sommes moralement entièrement satisfaits de voir la tenace Simonne enfin récompensée.» Cette année-là, elle réussit sur la terre battue parisienne un somptueux triplé. Outre le simple, elle s'offre également le double dames et le double mixte. Son jeu de fond de court ne l'empêche pas de briller également sur le gazon londonien, où, entre 1930 et 1937, elle atteint six fois les demi-finales.
En fait, Simonne Mathieu est une fière à gros bras et énorme caractère. En 1931 à Wimbledon, battue en demi-finale, elle salue à peine son adversaire : la presse évoque «une poignée de main purement conventionnelle, on ajoute même négligée». En 1936, elle scandalise le center court en maudissant le filet qui a dévié une de ses balles. Un journal rapporte l'anecdote : «Comme le filet venait, à différentes reprises, de faire dévier la balle hors de sa portée, Mme Mathieu ne peut réprimer un mouvement d'humeur, jetant rageusement sa raquette, elle s'écria dépitée "Même ce damné filet est Anglais !" Or, l'usage du mot "damné" passe chez les Britanniques pour une faute grave contre les convenances.» A Monte-Carlo en 1939, s'estimant victime d'une erreur d'arbitrage, elle quitte le terrain.
«Entre 1925 et 1939, elle dispute des matchs en Belgique, Italie, Hollande, en Europe de l'Est mais aussi en Egypte et en Asie centrale, racontait en mai dernier le site de la Fédération française de tennis. Elle est d'ailleurs l'unique Française à avoir joué et remporté en 1938 le Championnat de la côte du Pacifique, qui se jouait en Californie. Autant de pays visités que de tournois joués qui pour elle resteront toujours une fierté. "Je suis allée partout, sauf en Scandinavie, aux Indes et en Australie. En voyage, nous savions vivre, nous étions reçus comme des princes", disait-elle.» Pour se consacrer à sa carrière, elle a confié ses fils à ses parents qui ont déménagé avec eux dans les Cévennes. «Nous ne la voyions jamais», déplorera plus tard un de ses enfants.
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Sa victoire à Roland-Garros 1938 lui vaut quelques distinctions. «Au Sporting Club de Paris, Simonne Mathieu vient d'apprendre que le Petit Parisien l'a classée première des sportives françaises. Elle en est très heureuse et ne nous a pas caché son contentement», écrit le journal qui décerne le prix, le 1er janvier 1939. Elle figure aussi parmi les lauréats de l'Académie des sports, informe le Progrès de la Côte d'Or, le 20 mars 1939.
De la résilience sur le court à la résistance. Le deuxième conflit mondial surprend Simonne Mathieu quasiment en plein match. Après sa deuxième victoire à Roland-Garros, elle part pour les Etats-Unis pour disputer une série de tournois. Le 3 septembre quand la France et l’Allemagne déclarent la guerre à l’Allemagne, elle s’apprête à jouer à l’US Open. Ni une ni deux, elle décide de rentrer en Europe. Le patriotisme l’emporte sur l’ambition sportive d’une jeune femme de 31 ans en pleine ascension qui peut sans forfanterie envisager de devenir la meilleure joueuse mondiale. Elle débarque à la première escale du bateau qui la ramène en Europe, à Southampton, en Angleterre. En février 1940, elle s’engage dans l’Auxiliary Territorial Service (ATS), branche féminine, non combattante, de l’armée britannique. En juin elle entend l’appel de De Gaulle et n’a de cesse de le rejoindre. Elle s’engage dans les Forces françaises libres.
Aussi volontaire que sur le court, elle réussit à convaincre un De Gaulle d'abord réticent de créer la première unité militaire du «Corps féminin des Volontaires Françaises» plus souvent appelé «Corps féminin des FFL», qu'elle dirige, raconte la revue Genre & Histoire, dans un article sur les femmes combattantes pendant la Deuxième Guerre mondiale. Le 5 septembre 1943, France Amérique, journal édité à New York, détaille la vie des femmes de cette unité des Auxiliaires féminine de l'armée de terre (Afat). «Le Corps Féminin fut, le 7 novembre 1940, organisé à Londres à la demande du Général de Gaulle par Simonne Mathieu, la championne de tennis. Il devait se limiter à 100 auxiliaires (le nombre a quintuplé depuis), âgées de 18 à 43 ans, engagées pour la durée de la guerre plus trois mois à suivre les Forces françaises libres quel que soit l'endroit où elles étaient employées.» A la date de parution, la championne n'est déjà plus à la tête de l'unité qu'elle a contribué à créer. Elle aurait été victime de son sale caractère.
La vie de Simonne Mathieu est peu documentée. Slate a livré une version de la rupture avec De Gaulle de celle qui a impressionné par son sang-froid lors du bombardement de la caserne de ses troupes. Quelques mois plus tard, l'une de ses soldates a une liaison avec le général Petit, chef d'état-major de De Gaulle. Une idylle que la morale, les règlements et la capitaine réprouvent. Elle n'hésite pas à entrer en conflit avec Petit qui, sous prétexte de travail, veut garder avec lui sa secrétaire pour la nuit : «Je protestai vigoureusement, a raconté Simonne Mathieu. Le résultat fut qu'il me fit une entourloupette. Il me rappelle pour m'annoncer que le général De Gaulle va venir passer mes filles en revue le lendemain. Je pousse des hurlements : "Elles ne seront pas là ! Elles sont à leur travail ou en manœuvre, il fallait me prévenir plus tôt."» De Gaulle découvre une caserne vide. Pique une rage de tous les diables. Le lendemain Simonne Mathieu est remerciée. Petit a gagné par KO.
Le reste de la guerre de Simonne Mathieu est assez mystérieux. Membre du service du chiffre (les renseignements), on la signale à Alger avec De Gaulle en 1943. Le 26 août 1944, elle aurait descendu les Champs-Elysées derrière le grand homme. Ce qui est sûr, comme en témoigne ce cliché, c’est qu’on la retrouve le 17 septembre 1944 à Roland-Garros. Sans raquette ni jupette, en tenue de capitaine des Forces françaises libres, elle arbitre un match organisé pour fêter la Libération entre Henri Cochet et Yvon Petra, avec lequel elle s’était imposée dans cette même enceinte en double mixte six ans plus tôt.
Le 1er juin 1954, Paris-Presse l'Intransigeant consacre une page aux «9 000 femmes soldats [qui] ont donné à l'armée française sa légende dorée». Simonne Mathieu y figure en bonne place. «A Londres, Simonne Mathieu parlait à la radio, ce qui valait quelques ennuis à son mari, resté à Paris. Ses fils, cachés dans le Midi, l'écoutaient avec admiration, raconte le journal. En 1946, démobilisée, elle reprend son cher tennis mais sa santé ébranlée ne lui permet plus de match. Elle est actuellement membre de l'entraînement des jeunes et du comité technique de la Fédération, elle reste capitaine de l'équipe féminine française de tennis.»
Suite et fin de l'histoire. Le palmarès de Simonne Mathieu restera bloqué à ce qu'il était avant-guerre : 13 titres du Grand Chelem (2 en simple, 9 en double dames, 2 en double mixte). Elle a atteint son plus haut rang mondial, 3e, en 1932. Son triplé à Roland-Garros reste un exploit rare dans le tennis. Avant elle, Suzanne Lenglen (toujours elle…) l'avait réussi deux fois. Depuis 1938, seules deux femmes, Maureen Conolly (1954) et Margaret Court (1964), l'ont réalisé. De 1949 à 1960, Mathieu dirige l'équipe de France féminine. Sa forte personnalité ne s'est pas émoussée. «Elle était assez sévère comme capitaine, a raconté une de ses joueuses, Françoise Dürr (vainqueure de Roland-Garros en 1967). Il fallait être à l'heure au déjeuner, il fallait bien s'entraîner… Elle avait ses règles. Son fichu caractère n'était pas une légende, mais elle avait raison. Certaines joueuses ont tenté de se rebeller contre elle, ça n'a pas fonctionné. Elle est partie un peu vite à cause du décalage qu'il y avait : la façon de parler, les équipements… Elle s'est rendu compte que ce n'était plus le tennis qu'elle avait joué.»
On a vu une dernière fois Simonne Mathieu sur le central de Roland-Garros le 11 juin 1978 pour le cinquantième anniversaire de l’installation du tournoi dans son enceinte. Elle meurt le 7 janvier 1981, à 78 ans. Si l’International Tennis Hall of Fame l’a intronisée en 2006, le tennis français a tardé pour rendre hommage à celle qui fut sa n°1 entre 1928 et 1938 et reste l’un de ses plus beaux palmarès… Certes, la coupe récompensant la paire victorieuse du double dames portait son nom, mais on ne heurtera que les lauréates en soulignant que ce n’est pas le plus prestigieux des trophées. Comme souvent, Simonne Matthieu restera dans l’ombre de Suzanne Lenglen. Le central bis de Roland-Garros a été baptisé du nom de la Divine en 1997. Il a fallu attendre cette année pour qu’on nomme un court Simonne-Mathieu. Excentré par rapport au cœur de Roland-Garros, même si sa capacité de 5 500 places en fait le troisième du complexe, il est le plus discret. Pas vraiment raccord avec la personnalité de la joueuse éponyme. Mais au moins n’est-il pas dans l’ombre du Lenglen.