A propos d'Allison Pineau, son directeur technique national, Philippe Bana, disait dans le portrait que lui consacrait Libération en 2017 : «Dans sa tête, c'est une star de la NBA, un rouleau compresseur.» A l'échelle du handball français, rien n'est plus vrai. Pineau, c'est un regard qui se plante dans le vôtre et 181 centimètres assurés, les deux disant la conscience d'être un destin autant qu'une incarnation. Débuts en première division à 16 ans, première sélection en équipe de France à 17 ans, meilleure joueuse du monde l'année de ses 20 ans, Allison Pineau, qui a passé le cap de la trentaine au printemps, dispute sa quatorzième saison de handballeuse professionnelle, sous les couleurs du club de Paris 92, celui de ses débuts.
Entre-temps, la native de Chartres a connu pas moins de sept équipes différentes, en France, mais aussi en Roumanie, Macédoine, Slovénie, des expériences plus ou moins heureuses, les contrats de la Française se rompant souvent prématurément, la faute à des finances précaires ou des fâcheries-incompréhensions avec les encadrements. L’an passé, elle a été l’héroïne malheureuse de la finale européenne gagnée par les Bleues à Bercy, sanctionnée d’un carton rouge pour un ballon passé trop près des oreilles de la gardienne adverse. A l’attaque d’un Mondial disputé au Japon (premier match des Bleues samedi contre la Corée du Sud, coup d’envoi à 10 heures) et à huit mois des JO de Tokyo, la Française dresse le bilan de ces années au plus haut niveau et de ses évolutions personnelles, autant que celles de son sport.
Le physique : «Difficile de sortir indemne»
«Depuis le début de ma carrière, le handball est devenu de plus en plus exigeant physiquement. C’est difficile de sortir indemne des saisons, on a parfois la sensation de passer dans une machine à laver. Les premiers matchs ont lieu fin août, mais en réalité la préparation débute mi-juillet. Les compétitions durent jusqu’au début du mois de juin, ce qui fait des saisons de onze mois et jusqu’à 85 matchs pour les plus sollicitées. Plus on avance dans la carrière, plus ça pèse. Les séquelles sont là.
«Je me suis blessée six mois avant les Jeux olympiques de Londres, trois semaines avant ceux de Rio. Même si je suis revenue à chaque fois, cela demande de gros efforts psychologiques et physiques, qu’on paye dans le temps. Cela a créé de la frustration et une réflexion chez moi, puisque les années pré-JO ne m’ont pas trop réussi jusqu’à présent. C’est pour cela que j’ai décidé, en fin de saison dernière, de signer à Paris. Bien sûr, j’aurais aimé jouer dans un club disputant la Ligue des champions, j’aurais pu le faire, mais j’ai décidé de ne pas donner suite à ceux qui voulaient me recruter, car mon plus grand désir est de devenir championne olympique.
«Le jeu en lui-même s’est aussi transformé. Auparavant, le jeu rapide était surtout pratiqué par les nations scandinaves. Désormais, tout le monde s’y est mis. Logiquement, les profils ont évolué. Les grands gabarits, mais un peu patauds et pas très bien coordonnés, c’est fini. On ne recherche plus forcément des filles de 1,90 m, mais plutôt entre 1,70 m et 1,80 m, très explosives, puissantes, fortes sur le changement de rythme, et capables d’évoluer en attaque comme en défense. La transition n’est pas forcément facile pour les joueuses comme moi qui ont connu les deux handballs. Mes fondamentaux sont ceux d’un handball plus lent. J’ai 30 ans, mais j’ai dû faire évoluer ma façon de m’entraîner, avec un travail individuel et mon coach perso pour rester dans la vague.»
La technique : «On a notre identité»
«La génération qui arrive aujourd’hui est beaucoup plus technique que la mienne. Les filles savent très bien manipuler le ballon et sont capables de quasiment tout faire. La France ne faisait pas partie des meilleures dans ce domaine, mais on n’a plus rien à envier aux autres désormais. Cela dit, on a aussi notre identité. On est peut-être moins propres que d’autres nations dans certains secteurs, comme la qualité de passe, le jeu offensif, mais on est aussi plus fortes dans d’autres domaines, notamment la défense.
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«Le déclic s’est produit à Rio. On a compris que notre identité ne nous empêcherait pas de gagner des titres. Cela s’est cimenté après la finale perdue contre la Russie. Au cours de la compétition, on n’avait pas beaucoup fait tourner le groupe et on est arrivées en finale en manquant de fraîcheur. Les Russes ont été meilleures que nous. On a fait le bilan : si on veut arriver en finale plus fraîches, il faut parvenir à faire jouer tout le monde avant.»
La carrière et l’après : «Je suis emplie d’ambitions»
«J’ai connu plusieurs clubs à l’étranger, en Roumanie, en Macédoine, en Slovénie, avec à chaque fois une grosse concurrence. Cela pousse à l’exigence quotidienne, à se dépasser. En dehors du handball, cela permet d’être confrontée à l’éloignement et d’évoluer en tant que femme. Aujourd’hui, je serais tout à fait capable de retourner à l’étranger. Je suis une compétitrice, emplie d’ambitions. C’est ce qui m’a permis de mener ma barque et d’être élue meilleure joueuse du monde très jeune, mais je ne le ferais pas à n’importe quel prix, notamment au niveau social.
«Je travaille déjà à ma vie post-handball. Je suis inscrite à l'Edhec, une école de commerce. Je suis en deuxième année de bachelor et je compte me spécialiser en finances. Ensuite, j'espère faire un master dans une grande fac américaine, j'ai déjà pris contact. Je veux d'abord devenir trader, au stock exchange évidemment [la Bourse, ndlr]. Mais je ne ferai pas ça toute ma vie. Ensuite, je me vois bien rejoindre une banque d'investissement, peut-être en lien avec le sport, notamment féminin.»
Le plaisir : «Vivre des émotions en équipe»
«Evidemment qu’on s’amuse encore ! C’est la base de tout, le handball était notre passion avant d’être notre métier. Bien sûr, le curseur est monté d’un cran car il y a la recherche de la performance, du résultat, la pression de porter le maillot bleu. Mais sans plaisir, on s’emmerderait… Ce que je recherche, c’est de vivre des émotions en équipe. Quand ma carrière s’arrêtera, ça sera dur de retrouver cette adrénaline. L’objectif de cette année 2020, c’est évidemment d’aller chercher le titre olympique, le seul qui manque à notre palmarès. Et puis, on vient quand même de gagner les deux dernières compétitions internationales…»