Seghir Lazri travaille sur le thème de la vulnérabilité sociale des athlètes. Dans cette chronique, il passe quelques clichés du sport au crible des sciences sociales. Comment le social explique le sport, et inversement.
Alors que l'on assiste depuis plusieurs décennies à une désindustrialisation profonde dans certaines régions françaises, s'accompagnant d'une montée de la précarité et un désengagement plus important de certaines structures essentielles à la vie collective (commerce, services postaux, etc.), la question des inégalités territoriales est au centre des débats politiques, notamment, après l'ampleur de certaines constatations sociales ces dernières années, comme celles des gilets jaunes. A ce titre, l'actualité sociologique avec la parution de l'ouvrage du chercheur Benoît Coquard, Ceux qui restent, apporte de nombreux éléments d'analyses et de réponse quant à ce thème des territoires en difficulté. Bien qu'il n'en soit que peu question dans cette récente étude, il apparaît pertinent de se pencher un peu sur la pratique sportive dans ces campagnes en déclin et de ce qu'elle révèle.
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La ruralité et ses atouts sportifs
Premièrement, il apparaît que les mutations à l'œuvre dans le monde urbain traduisent une augmentation et une diversification de la pratique sportive. Cela ayant pour conséquence, selon le géographe Jean-Pierre Augustin, de «renforcer les interactions sociales et de favoriser le vécu commun». En ce sens, le sport est un atout considérable quant à la cohésion sociale de zones en perpétuelle évolution. D'ailleurs, pour Jean-Pierre Augustin, les loisirs sportifs, «en s'imposant comme moyens d'identité́ individuelle ou collective et en se substituant aux desseins qui font défaut à nos sociétés, deviennent des éléments des constitutions et des médiations territoriales». Autrement dit, le sport a la faculté de redéfinir l'espace et ses activités.
Ainsi le monde rural, qui a connu durant les XIXe et XXe siècles un exode important, est redevenu un territoire attractif, notamment par le biais de la pratique sportive. D'après les travaux de Jean-Pierre Augustin mais aussi d'autres géographes, l'évolution des pratiques sportives avec l'essor des sports dits de nature (randonnées, sports extrêmes, sports subaquatiques, etc.) contribue pleinement à redynamiser économiquement des zones dépeuplées. Une redynamisation caractérisée par une spécialisation croissante des pratiques sportives en fonction des territoires, ce qui a aussi pour conséquence de concentrer les investissements des collectivités territoriales autour des pratiques les plus attractives, réduisant de fait une diversification des offres et surtout des aides. A ce propos, le sociologue Clément Prévitali, dont la thèse porte sur le sport à la campagne, note que si la pratique sportive est aussi importante dans le monde rural que dans le monde urbain, cette apparente massification de l'accès aux pratiques sportives masque de profondes inégalités qui persistent malgré́ les politiques de démocratisation du sport et de «sport pour tous».
Une autre campagne et une autre participation sportive
Dans le sillage de cette question concernant la définition du monde rural d’aujourd’hui, le sociologue Benoit Coquard dans son récent ouvrage évoque deux types de campagnes. Aux zones rurales bénéficiant de l’attractivité des métropoles alentours, et réinvesties par les néoruraux, comme les littoraux touristiques ou les régions viticoles, s’opposent des campagnes en déclin situées dans des lieux ayant subi une forte désindustrialisation, comme certaines zones du Grand-Est ou du Nord. Cette campagne en déclin se compose d’une forte population déclassée socialement, et du coup très vulnérable. A ce sujet, lors d’une conférence de l’Ufolep, la fédération multisport, au Salon des maires 2019, le sociologue du sport Williams Nuytens rappelait à quel point les personnes dans ces espaces ruraux en déclin étaient vulnérables et comment l’accès aux pratiques sportives leur était difficile.
Effectivement, la question de la mobilité est centrale dans ces régions. Si Benoît Coquard évoque l’importance sociale de la mobilité dans ces milieux – du fait d’un retrait de l’Etat : «Tout est loin !» –, on retrouve ce même type de constat quant aux pratiques sportives, notamment chez le journaliste spécialiste des politiques sportives, Jean-Damien Lesay, qui rapporte une étude de l’Andes (Association des élus en charge du sport) où les problèmes liés à la mobilité y sont considérés comme un des premiers facteurs d’inégalités dans l’accès au sport. Ainsi l’isolement social et spatial plus prononcé des populations dans ces campagnes en déclin génère une moins grande pratique sportive, accentuant de fait leur vulnérabilité notamment d’un point de vue psychologique et sanitaire.
De plus la condition des femmes sur ces territoires notamment reflète fortement cette idée. Apparaissant comme la catégorie la plus vulnérable, selon Benoit Coquard (notamment avec un accès plus difficile à l’emploi), elles sont aussi de fait les premières victimes des inégalités concernant l’offre sportive dans ces zones rurales comme le rapportait Clément Prévitali.
En somme, les pratiques sportives et les aménagements territoriaux sont étroitement liés. Mais si l’investissement du domaine sportif par les pouvoirs publics apparaît comme important pour faire face aux inégalités, il n’en demeure pas moins que cela ne sera jamais efficace aussi qu’une véritable politique sociale et économique plus égalitaire à destination de ces territoires.