Seghir Lazri travaille sur le thème de la vulnérabilité sociale des athlètes. Dans cette chronique, il passe quelques clichés du sport au crible des sciences sociales. Comment le social explique le sport, et inversement.
C'est depuis son salon, casquette vissée sur la tête et maillot de foot vintage sur les épaules, que William, 25 ans, alias Wiloo se filme et réalise des vidéos qu'il diffuse sur sa chaîne YouTube. Avec plus de 317 000 abonnés et 46 millions de vues, il symbolise cette nouvelle manière de commenter et d'analyser le récit sportif, bien loin des standards télévisuels. En sociologie du sport, et notamment à travers les travaux de la chercheuse Valérie Bonnet, la question de la transmission de la culture sportive par les médias est significative. Dès lors, s'intéresser à ces nouveaux contenus sur ces plateformes de diffusion que sont les chaînes vidéo, les podcasts ou encore les médias sociaux revient à essayer de saisir les enjeux de ces nouveaux modes de consommation du spectacle sportif. Dans cet entretien, Wiloo revient sur son statut, les caractéristiques de son travail et les nouvelles attentes du public.
Quel est votre parcours et comment cette chaîne a-t-elle vu le jour ?
Je suis originaire de Lyon, et c’est là-bas que je me suis intéressé très jeune à la culture foot, notamment lors de la grande époque de l’OL (2001-2008). Je suis venu par là suite à Paris pour intégrer Sciences Po, j’en suis ressorti diplômé en ressources humaines. Après ma dernière année en alternance, j’ai éprouvé une grande lassitude et j’ai décidé de créer cette chaîne, au départ dédiée au partage de mes streams (vidéos live) du jeu vidéo Fifa. Une communauté s’est très vite construite autour de ma chaîne, où je proposais des conseils pour améliorer ses performances dans le jeu. Ensuite, et notamment en m’interrogeant et en publiant une vidéo sur les joueurs de l’histoire souhaités dans le jeu, autrement dit en questionnant un objet virtuel au prisme d’une réalité footballistique, j’ai orienté ma chaîne vers des analyses en rapport avec le football réel, qui était ma véritable passion. La Coupe du monde 2018 a été un véritable tremplin, puisque c’est à ce moment-là, avec des vidéos qui analysaient les capacités des équipes à remporter le tournoi, que la chaîne a véritablement décollé. Aujourd’hui, je propose un contenu plus diversifié, avec des analyses de matchs ou de jeu, mais aussi des vidéos portant sur l’histoire du football et ses grandes figures.
Quelles sont tes méthodes de recherche, et en quoi, ta trajectoire te permet-elle, aujourd’hui de proposer un contenu différent de ce que l’on peut voir dans les médias dominants ?
Produire des vidéos de ce genre sous-entend un travail de recherche permanent. Je n'ai pas toujours les connaissances sur les sujets que je propose, mais je maîtrise les outils qui me permettent de très rapidement aller chercher les informations, et souvent les plus essentielles. Ma maîtrise de l'anglais m'a permis d'orienter mes recherches vers des ressources statistiques plus présentes dans le monde anglo-saxon, ce qui est un atout considérable pour décrypter. J'écoute et je lis énormément de contenus moins «mainstream» que ce qui est proposé par les grands médias, des savoirs produits par des chercheurs et des passionnés, qui veulent partager une vision du football plus singulière et plus riche. Je pense, ici aux podcasts, comme Vu du banc ou encore aux revues comme les Cahiers du football.
Quels sont les avantages et les risques de travailler à partir de YouTube ?
L’avantage, c’est d’avoir une grande indépendance dans ma façon de travailler. Même s’il est clair que je dois produire du contenu régulièrement pour être référencé, et qu’il y a de fait une véritable astreinte de la structure, j’ai acquis une assise notamment financière qui me permet aussi de proposer des sujets moins originaux et plus intéressants notamment sur les aspects historiques ou sociaux du football. Néanmoins il est vrai que YouTube est une grande plateforme avec un grand pouvoir souvent inflexible. Mener un recours contre une décision prise par la plateforme est difficile, voire impossible. Il y a là une forme d’impuissance statutaire.
Aujourd’hui, on assiste à un bouleversement dans le football, notamment avec la figure de René Maric (blogueur devenu entraîneur adjoint) passé du savoir profane à l’expertise professionnelle dans le monde du haut niveau. N’assistons-nous pas à ce même renversement dans le monde de l’analyse sportive, où comme le note le sociologue Karim Souanef, les journalistes de par leur socialisation professionnelle, tendent à reproduire les normes journalistiques établies.
C’est vrai que ces nouvelles plateformes permettent de produire de l’information autrement, mais surtout d’accélérer la diffusion de son travail. Bien que je considère la formation journalistique comme essentielle, on assiste à une forme de renouveau, où il est possible avec d’autres bagages culturels et sociaux de faire valoir son approche. Par exemple sans avoir de formation propre à ce milieu, qui m’aurait éventuellement permis de commettre moins d’erreurs ou encore d’avoir une meilleure élocution, je pense, avec le travail fourni dans cette voie détournée, Je pense avoir acquis un statut d’analysde, au même titre que qu’une personne issue du monde de la presse. Mais surtout à travers cette nouvelle forme de commentaire sportif, on participe à une déconstruction des figures d’autorités que sont les consultants, et qui occupent un temps d’antenne considérable. On offre un regard plus distancié sur l’événement, moins sensationnel et moins polémique, en proposant des analyses plus longues, plus argumentées, plus rigoureuses. En quelque sorte, avec les nouvelles plateformes de partage, on peut proposer une nouvelle critique du football.
Pour le sociologue Sébastien Darbon, la culture sportive véhiculée par les médias ne peut réellement s’approprier que par une socialisation à la pratique. Autrement dit, il faut être familier avec le football pour le comprendre et adhérer à son spectacle. A quel type de public, vous vous adressez ? Pensez-vous que vos vidéos tendent à encore plus démocratiser le football ?
Sur YouTube, je touche essentiellement un public amateur de football, et particulièrement jeune. Une grande partie d’entre eux, 40% environ, a entre 18-24 ans, ce sont des gens qui ont grandi avec YouTube et ont su s’approprier la plateforme. Au-delà d’une socialisation au football, ce sont surtout des individus qui se sont socialisés à ces nouveaux outils, qui en maîtrisent les codes et qui ont un autre rapport à la connaissance. Mais aussi, à la lecture des messages ou des commentaires que je reçois, je constate que beaucoup d’internautes ont commencé à mieux apprécier le football, à le regarder différemment et à y porter un nouvel intérêt. Beaucoup me disent qu’ils ont compris que le football pouvait être une chose sérieuse.