Chaque semaine avec RetroNews.fr, le site de presse de la BNF, retour sur une histoire de sport telle que l’a racontée la presse de l’époque. Ce samedi, deuxième épisode de la vie de Maryse Bastié.
Suffragette et résistante
Parallèlement à sa carrière d'aviatrice, Maryse Bastié s'engage pour la cause des femmes. En 1933, elle signe, au nom des aviatrices, un appel de l'Union française pour le suffrage des femmes, dont la philosophie tient en une phrase d'une de ses animatrices, rapportée par l'Excelsior du 10 février : «Nous voulons bien payer des impôts, mais nous voulons pouvoir élire les députés qui les votent.»
Maryse Bastié s'engage dans la Femme nouvelle, fondée par la journaliste Louise Weiss, grande féministe de l'époque, dont le mouvement organise ce qu'on appellerait aujourd'hui des happenings (présentation symbolique à des élections, lâcher de ballon pendant la finale de la Coupe de France de foot, envahissement du champ de courses de Longchamp avec des pancartes «la femme doit voter».) «Lundi dernier, informe l'Echo d'Alger du 27 octobre 1934, Mlle Louise Weiss, accompagnée de plusieurs aviatrices féministes : Hélène Boucher, Maryse Bastié et Adrienne Rolland se sont rendues par avion à Bordeaux où elles ont fait connaître au public leur ferme résolution d'agir pour obtenir le droit de vote.»
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En mai 1939, l'aviatrice rencontre un plumitif du quotidien le Journal. L'entretien est léger, voire badin. Elle raconte son dernier périple aérien qui l'a conduite en Algérie, Tunisie ou Maroc où les «chapeaux de paille et robe de toile» qu'elle avait emportés ne lui ont pas servi car «le beau temps était en vacances». Elle refuse un chocolat («Non, mon pauvre foie») et décrit sa relation de tendresse avec son avion, baptisé son petit Simoun, du nom du constructeur. «Voler, quelle chose magnifique, mais que ne suis-je un homme ?» Surprise du journaliste. Elle reprend. «Supposez que par malheur, un conflit éclate : que ferais-je ? Croyez-vous que je serai incapable de rendre des services ? Pour être mobilisée, n'aurai-je pas au moins des titres égaux à ceux des pilotes de réserve ?» «L'idée de la création d'une phalange féminine n'a pas été étudiée par le ministère de l'Air, écrit le journal. Elle secoue les épaules d'un air résigné : "Nous ferions pourtant du bon travail mes camarades et moi…"»
Réagissant à ces propos, le journaliste et romancier Clément Vautel écrit un pamphlet, baptisé les Amazones de l'air, dans le Journal. Pour lui la place des femmes n'est pas au combat, fût-il aérien. «Elles ne doivent pas ajouter aux horreurs de la guerre : elles doivent au contraire remplir leur mission naturelle, admirable, sublime qui est toute de bonté et de pitié.» Il s'attire une réponse cinglante de Maryse Bastié : «Qu'il se rassure. Mes compatriotes qui, dans tous les domaines, ont montré des qualités très féminines de sensibilité, de pitié, de tendresse et de dévouement n'ont pas besoin qu'on les mette en garde contre une prétendue tendance à jouer les Walkyries et les Amazones guerrières. […] Cela n'implique point que si la redoutable éventualité se produisait, elles ne fassent, en temps de guerre, leurs offres de service au pays dans la mesure où elles le peuvent et sur le terrain où elles le peuvent. Il ne s'ensuit pas davantage que le courage et l'endurance restent des vertus essentiellement masculines.»
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Survient la guerre. Forte de son passé et de ses convictions, Maryse Bastié se porte naturellement volontaire pour l'armée de l'air. En mai 1940, elle devient pilote avec le grade de sous-lieutenant. Après l'armistice, «elle abandonne le manche à balai pour le volant des conductrices de la Croix-Rouge», comme l'écrira l'Intransigeant à sa mort. Elle s'occupe du transfert des blessés et réfugiés. Notamment au camp de prisonniers Drancy, le Frontstalag 111 en version de l'occupant. Ses missions humanitaires lui permettent de s'engager dans la Résistance. Des documents du service historique de la Défense, attestent de son dévouement pour les prisonniers et des risques qu'elle prenait pour transmettre des informations dès 1941. «Ces renseignements de la plus haute importance se rapportaient aux aérodromes de chasse et de bombardement, aux dépôts de munitions, aux cantonnements de troupes d'où partait l'offensive allemande contre l'Angleterre et les alliés. C'est ainsi qu'avec une rare audace, bravant tous risques et périls, elle s'ingénia encore à faire passer nos documents secrets à travers les filets de l'ennemi.»
L'attitude des Allemands envers elle se révèle ambiguë. Ils admirent l'aviatrice qui a battu ses records aux commandes d'un avion construit chez eux. Mais il se méfie de l'activisme et de l'impétuosité de la femme. «Son dévouement patriotique la fit soupçonner par les autorités allemandes qui ne manquèrent pas de la brimer dans l'exécution de ses fonctions, lui compliquant sa tâche à souhaits et allant même, certains jours, jusqu'à l'expulser des barbelés, ce qui ne l'empêchait pas de revenir», relate le document cité plus haut. Maryse Bastié sera même arrêtée et brièvement retenue en mars 1944 «dans la prison de guerre de l'armée allemande à Paris-Fresnes». Et c'est un soldat allemand qui met fin à sa carrière d'aviatrice : lors d'une altercation sur un quai de la gare de Drancy, il la pousse, elle tombe et se brise le coude. Elle ne pourra plus jamais piloter.
A la fin de la guerre, Maryse Bastié s'engage dans les auxiliaires féminines de l'Armée de l'air avec le grade de lieutenant. Démobilisée l'année suivante, elle est promue au grade de commandeur de la légion d'honneur pour «titres de guerre exceptionnels et faits de résistance» ; elle est la première femme à recevoir cet honneur à titre militaire. En 1951, elle entre au Centre d'essais en vol. Une VRP de luxe. «C'était une véritable star, explique sa biographe, Agnès Clancier, auteur d'Une trace dans le ciel (1). On la réclamait jusqu'en Amérique du Sud.»
Maryse Bastié meurt dans un accident d'avion, dont elle n'était pas aux commandes, lors d'un meeting aérien à Bron, dans la banlieue lyonnaise, le 6 juillet 1952. «On lui avait demandé de participer pour la présentation d'un Noratlas 2051, raconte Agnès Clancier. Mais elle n'avait pas envie d'y aller, comme si elle avait eu un pressentiment.» L'Intransigeant du 8 juillet rend compte de l'accident. «100 000 spectateurs terrifiés assistèrent au drame… Il n'y eut pas un cri.» «Le cargo Nord 2501 construit par les ateliers de la Société nationale des constructions aéronautiques du Nord se présentait au public. Après être passé à basse altitude devant la tribune officielle, son moteur droit calé volontairement, il s'éleva en chandelle rapide, écrit le journal. Parvenu au sommet de sa course ascensionnelle, l'appareil resta un instant immobile puis bascula brusquement, visiblement déséquilibré, piqua en vrille vers le sol. On eut dit une bombe gigantesque : une explosion, un immense nuage de flammes orangées qui jaillit du sol, un long panache de fumée noire. Maryse Bastié et ses compagnons de bord avaient péri. […] Deux faits importants ressortent de ce pénible accident, poursuit le journal. 1. L'exhibition du Nord 2501 n'était pas prévue et inscrite au programme officiel. Cette présentation fut une improvisation de dernière heure. 2. Le pilote a voulu trop "demander" à son appareil en ce sens qu'il manœuvre le Nord 2501 comme un appareil d'acrobatie. La catastrophe n'est donc pas imputable à une défaillance de l'avion : c'est une erreur de pilotage.»
Quelques jours plus tard, l'Intransigeant publie une série d'articles retraçant la vie et la carrière de l'aviatrice. Elle débute ainsi : «Mourir des conséquences d'une erreur de pilotage devant 100 000 personnes, telle n'était certainement pas la fin qu'aurait choisie Maryse Bastié dont la vie fut un constant exemple de courage, de sang-froid et de modestie.»
Le nom de Maryse Bastié tombe ensuite dans l'oubli. C'est pour réparer cette immense injustice qu'Agnès Clancier a écrit son livre. «On n'avait sur elle que des vieux écrits militaires, misogynes et paternalistes. Après sa mort, Maryse n'a pas eu la chance d'avoir un Kessel pour raconter sa vie, comme Mermoz.»
(1) Editions Arléa, 286 pages, 9 euros.