Sans véritable évènement médiatique majeur, comme les Jeux olympiques ou la Coupe du monde masculine de football, l’année 2019 fut assez riche sportivement, mais aussi socialement. Dans un monde où les inégalités entre les sexes, les communautés sont toujours présentes, où les tensions politiques et démocratiques dans certains pays sont toujours d’actualité, les faits sportifs ont su par leur essence rendre compte de certaines situations et problématiques, mais aussi proposer des pistes de réflexion pour sortir de certaines crises. Voici en quelques points, des faits subjectivement choisis, mais pas moins significatifs.
La figure : la footballeuse
Evénement majeur de l'année sportive en France, la Coupe du monde féminine de foot a eu un impact fort sur la société au mois de juin. Les scores d'audience historiques, la promotion incroyable et malheureusement aussi, les propos déplacés et réactionnaires dans certains médias et sur la Toile ont marqué cette compétition. Néanmoins, la figure de la footballeuse sort vainqueure de cet évènement. Des déclarations politiques et sociales de la star Megan Rapinoe aux mouvements de grèves de joueuses, en passant par le refus de participer de la Norvégienne Ada Hegerberg (la ballon d'or 2018 estime que les conditions de travail en sélection sont moins bonnes que celles des hommes), la footballeuse est devenue ce nouvel agent social, au prisme d'une réalité sportive et d'une condition sociale, qui par le biais de l'audience du sport spectacle investi cet espace d'une dimension politique. Car comme le rappelait la chercheuse Béatrice Barbusse dans les colonnes de Libération, la Coupe du monde 2019 «restera comme féministe» au sens où elle a permis de donner plus de visibilité aux problématiques d'inégalités entre sexes. Les «equal pay» scandés par la foule lors des matchs montrent d'autant plus que le sport est un vecteur incroyable de sensibilisation sociale où les acteurs, et surtout les actrices, peuvent aussi avoir un rôle important à jouer.
L’objet : le hijab de running Decathlon
Si le sujet du voile islamique avait envahi la sphère scolaire et éducative depuis plusieurs années, la polémique concernant la commercialisation par Decathlon d'un hijab de course introduit avec force cette thématique dans le champ du sport en France. En effet, les virulentes prises de position sur cette «affaire» montrent une nouvelle fois que le sport n'est pas imperméable aux problématiques sociétales, mais surtout que la question sportive reste toujours un outil à disposition des forces politiques pour faire valoir leurs idéaux. A l'heure où une partie de la population se rend dans la rue pour protester contre l'islamophobie, tandis qu'une autre fustige un groupe en le rendant responsable de tous les maux de la société (comme certains élus peuvent le faire en cette période de grève), il est sans doute judicieux de renouer avec les travaux des chercheurs qui depuis plus de vingt ans ont travaillé sur ces questions, notamment dans des pays arabo-musulmans. Par exemple, la chercheuse Monia Lachheb nous invite à penser le port du voile dans les pratiques sportives, non pas comme une forme d'assignation à une mouvance religieuse, mais comme une négociation entre deux domaines sociaux et moraux différents. Si l'usage du voile dans le sport marque parfois un décalage avec des normes sportives (exposition du corps), il est aussi l'expression «d'une marge d'autonomie dans l'exercice de la foi». Cela nous montre encore une fois que les sciences sociales peuvent apporter une clarté intellectuelle concernant certaines questions, bien loin des sophismes ambiants.
Le collectif : les supporteurs
Pas une seule journée de championnat de football en Europe ne se déroule sans que l’on fasse état d’injures et de chants discriminants et racistes venant bien évidemment gâcher le spectacle et susciter de vives réactions des instances politiques et dirigeantes. Néanmoins, les mesures souvent prises par les autorités et s’inscrivant dans des logiques politiques (sécuritaires, comme le souligne le journaliste Nicolas Kssis-Martov) et économiques (assainissement des stades dans un but commercial, d’après le chercheur Aurélien Delpirou) font l’impasse sur toute la sociologie du supporteurisme développée depuis les années 80, qui rend compte du lien social fort et singulier qui existe chez les supporteurs. Cette somme d’études fournie et diverse, allant de la mouvance ultra analysée par le sociologue Christian Bromberger, au supporteurisme à distance mis en lumière par le chercheur Ludovic Lestrelin, illustre les perpétuelles mutations de ce fait social, qui ne sont jamais réellement indépendantes des contextes politiques et sociaux. Dès lors une politique de lutte efficace peut-elle se passer de toute cette richesse sociologique ?
La compétition : les mondiaux d’athlétisme
Organisée pour la première fois au Qatar, et au-delà des problèmes liés aux droits humains, cette compétition a été fortement marquée par des complications attachées aux conditions climatiques. Si le sport permet, d’un point de vue géopolitique, d’exprimer une forme de puissance économique et sociale, il n’en demeure pas moins qu’en période de fortes contestations face au réchauffement climatique, la mise en place d’infrastructures climatisées n’apparaît pas comme le signe d’une prise de conscience écologique. Ce genre de configuration nous invite à repenser notre modèle d’événement sportif et nous incite surtout dans les années à venir, à déconstruire cette idée qui fait du spectacle sportif la vitrine d’une certaine idée du progrès, somme toute bien éloignée du développement durable. Bonne année 2020.