Une voix manquera dimanche après-midi sur France 2 (16 heures), pour commenter France-Angleterre, troisième et dernier match de la première journée du Tournoi des six nations 2020. Mais, jusqu’à preuve du contraire, ce sera pour la bonne cause. Mine de rien, cela faisait treize ans que Fabien Galthié disséquait en direct à la télé les péripéties du XV de France, entre contre-performances itératives, voire bêtisier pur et simple (de l’art consumé de saborder des matchs imperdables…), et embellies, de plus en plus rares depuis la malédiction de cette finale de Coupe du monde 2011 cédée d’un point à la Nouvelle-Zélande.
Fidèle au poste, le consultant volubile livrait une analyse pertinente, aussi bien en direction des profanes, que des initiés. Car nul n’a jamais songé contester la légitimité de l’ex-demi de mêlée, désigné meilleur joueur du monde en 2002, qui a su, une fois les crampons raccrochés, faire fructifier une expertise sportive élargie sans état d’âme au monde des affaires. Des pubs par ci, des conférences par là, déclinant à l’envi la gestion du capital humain en entreprise, pour le compte de la société Capgemini notamment, l’emploi du temps de Fabien Galthié (dont le bilan carbone doit être proprement effarant) a toujours été très chargé. Nul ne doutait pour autant qu’un jour ou l’autre, son CV comporterait une ligne supplémentaire : sélectionneur du XV de France.
Doxa volontariste
Par deux fois, en 2011 et 2015, où son nom circulait déjà avec insistance, le job lui avait échappé. A 50 ans, la troisième sera donc la bonne. Nommé avant la dernière Coupe du monde, ce qui eut pour effet de semer le trouble, d’autant que Bernard Laporte, président de la FFR, l’avait catapulté «adjoint» de Jacques Brunel, coach officiel déjà passablement affaibli par les échecs (et un sentiment de résignation contagieux), Fabien Galthié a eu le temps de peaufiner son discours de prise de poste. Et de recruter une garde rapprochée où figurent une petite dizaine de techniciens reconnus, parmi lesquels l’ex-manager de Bordeaux, Raphaël Ibañez, Laurent Labit, débauché du Racing 92 (où après des exploits conjoints à Castres, on avait fini par l’imaginer inséparable de Laurent Travers), ou encore l’ancien responsable de la défense du Pays de Galles, l’Anglais Shaun Edwards (dont le français abscons laisse pantois).
Mutique (donc loyal) au Japon, que la France, ex-nation phare reléguée au rang d'outsider, a quitté cet automne à la place qui était la sienne (une énième défaite «frustrante», cette fois en quart de finale, contre Galles, après un parcours sans honte ni panache), Galthié a depuis rendossé ce costume souriant d'homme de communication hors pair avec lequel il fait bouillir la marmite… non sans une légère équivoque que résumait l'an dernier, à sa manière, Mourad Boudjellal, le président de Toulon : «Il aurait des robots à la place de joueurs, ça lui irait», tout en décrivant «un mec sensible, fragile et cultivé».
Côté image, des délocalisations provinciales symboliques ont été imaginées, de la présentation du staff sur ses terres, dans le Lot, à la préparation du tournoi à Nice, histoire de contrer l'aspect carcéral du Centre national du rugby, à Marcoussis, lieu habituel des rassemblements tricolores. Et le nouveau taulier, à rebours des mines renfrognées de ses prédécesseurs, a pris un plaisir manifeste à ripoliner une doxa volontariste où la «mission exaltante» (sous entendu : de ressusciter durablement une nation qui ne fait plus peur à personne) se nourrirait de «fierté», d'«émotion» et d'«identification» censées, in fine, revivifier un plaisir évanoui - «au fond, nous sommes avant tout des enfants qui aimons jouer».
L’opération séduction de l’ancien joueur de Colomiers et du Stade français - dont il ne faut pas oublier que les deux dernières expériences de coach en club ont été des échecs flagrants, avec Montpellier puis Toulon - repose également sur une volonté de transparence accrue. Longtemps, la FFR (équipe de France) et la Ligue (Top 14) ont entretenu des relations ambiguës, pour ne pas dire fratricides. Or le treizième entraîneur en chef du rugby français (chiffre peu élevé, en raison du fait que jusqu’au début des années 60, le groupe s’autogérait plus ou moins) martèle une nécessité d’échange permanent avec les clubs, auxquels, en retour, il promet une apparente loyauté en ne cherchant pas à bloquer des joueurs inutilement.
Hors-d’œuvre
De même, Galthié certifie prendre pour seul critère sélectif la forme du moment, même si, la première liste des 42 noms convoqués - et, en creux, celle des absents, de Wenceslas Lauret à Yoann Huget - révèle en surimpression un souci compréhensible de rajeunissement des troupes, dans la perspective de la Coupe du monde 2023, organisée en France, où son mandat arrivera par ailleurs à échéance.
Avec vingt novices et une moyenne d'âge globale de 24 ans, on pressent que le lifting nécessitera des retouches et qu'il serait plus raisonnable, ou juste réaliste, d'envisager le tournoi 2020 comme un laboratoire (lire ci-contre). Début 2019, une enquête Harris Interactive révélait que, malgré une sympathie affirmée pour le rugby, 71 % des sondés étaient infoutus de citer le nom d'un seul membre de l'équipe de France, et il faudra sans doute un bon moment avant que le vulgum pecus imprime les visages d'Anthony Bouthier, Mohamed Haouas ou Cameron Woki, entre autres bleus bites retenus dimanche pour essuyer les plâtres. Pourtant, le message officiel assume l'ambition de ne pas vouloir procrastiner : «Gagner très rapidement des matchs et des titres», pour, à terme, faire partie du «top 3 mondial».
Actuelle septième dudit classement planétaire, on imagine bien que la France aurait préféré un autre adversaire que l'Angleterre en hors-d'œuvre, après seulement «six entraînements pour transformer une sélection en équipe». Minoritaires dans la liste initiale dévoilée par Galthié, les joueurs ayant participé à la Coupe du monde forment toutefois l'ossature du XV de départ. Où l'idée sera de combiner technicité, mobilité et «férocité» en capitalisant sur l'expérience engrangée par les Charles Ollivon (successeur de Guilhem Guirado dans le rôle de capitaine, malgré seulement 11 sélections), Antoine Dupont, Romain Ntamack, Bernard Leroux (le seul trentenaire de la bande), Damian Penaud, Gaël Fickou ou Virimi Vakatawa, qui tâcheront de faire douter le XV de la Rose, vice-champion du monde.
Dont le sélectionneur, Eddie Jones, annonce la couleur : «Notre premier objectif est de battre la France en France», promettant de surcroît aux bizuths du camp adverse «une intensité physique» comme ils n'en ont jamais connue. Façon comme une autre de rappeler que le «crunch», nom donné depuis plus d'un siècle aux chocs entre la France et l'Angleterre, se traduit par «craquement», mais aussi «moment crucial». Déjà.