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1938 : la France découvre le foot américain

RetroNews Sportsdossier
Le match de foot américain du 10 décembre 1938 au Parc des Princes. (Photo Gamma-Keystone. Getty Images)
publié le 1er février 2020 à 18h40

Chaque samedi avec RetroNews, le site de presse de la BNF, retour sur une histoire de sport telle que l'a racontée la presse de l'époque. Cette semaine, à l'occasion du Super Bowl, la tournée française, en 1938, d'une équipe de foot américain.

Avant la tournée en France, largement couverte par la presse, d'une bande d'étudiants venus convertir le pays au foot américain, les journaux évoquent la discipline pour en dénoncer la sauvagerie et la dangerosité. Ainsi, le 11 novembre 1897, le Vélo déroule le bilan d'une saison de foot américain dans le pays qui l'a vu naître : «Cette année, trois champions ont été tués, treize estropiés pour leur vie et plus d'une centaine grièvement blessés. Bref, le football est plus brutal et plus périlleux que les combats de boxe et les législateurs américains, tout amateurs qu'ils soient des sports athlétiques, commencent à craindre que, sous prétexte de fortifier les muscles des jeunes générations, on n'en fasse prématurément des armées d'invalides.»

Quelques jours plus tard, le Vélo du 17 novembre rend compte du plaidoyer d'une mère américaine qui ne veut pas que la mort de son fils au cours d'un match serve la cause des prohibitionnistes.

La Libre parole du 4 décembre 1909 donne des chiffres terrifiants. «Depuis le début de la saison, 36 jeunes gens sont morts de suite des coups reçus dans des parties de football. Ce sont des collégiens, des écoliers et des membres de clubs athlétiques. On compte également 228 blessés parmi lesquels 63 souffrent de violentes douleurs internes, 44 de congestions cérébrales, 35 de fractures de côte, 31 de fractures de bras ou de jambes et 26 de fracture de la clavicule ; en outre on a constaté 15 cas de dislocation et 13 de fractures d'épaules.» Le 9 mars 1919, le Gaulois annonce qu'un match va se dérouler au stade de Colombes entre des équipes composées de soldats américains.

1938, les Américains débarquent

«Vingt-quatre étudiants déchaînés ont surgi du Manhattan», titre le Petit Parisien du 8 décembre 1938. Le journal est presque rassuré : les Américains en tournée de promotion de leur football ne sont pas tous des Golgoths surdimensionnés. «Ils ne sont pas tous aussi grands que nous l'imaginions. Il y a aussi parmi eux des petits athlètes au type brun qui rappellent nos joueurs de rugby méridionaux. […] Ces magnifiques athlètes feront tout ce qui est en leur pouvoir pour conquérir le public français à leur jeu. Y parviendront-ils, c'est ce que nous saurons dès samedi puisqu'ils doivent s'exhiber au Parc des princes. Dans ce cas, la date du 10 décembre 1938 pourrait bien être une petite date historique dans les annales du sport français, si dans dix ans – qui sait ! – le football américain était pratiqué par nombre d'équipes françaises.»

Le jour de l'exhibition, le Petit Parisien, schéma à l'appui, fait œuvre de pédagogie en détaillant les règles de ce «jeu terrible, athlétique, spectaculaires» : «De l'obstruction organisée.» «Un sport à l'image de la guerre. La tactique y joue un grand rôle. Toutes les combinaisons sont bonnes pour tromper l'adversaire qui, souvent, ignore quel est le porteur du ballon. Dans ce cas, pas d'hésitation, il faut "descendre" le maximum d'adversaires.» Le journal s'intéresse également au business de ce sport. «On a calculé que le nombre total de spectateurs atteint 40 millions et que les recettes totales sont de l'ordre de 50 à 70 millions de dollars soit plus de 2 milliards de francs ! s'effare le journal. Et pourtant la saison ne dure que de neuf à dix semaines, de fin septembre à novembre.»

En 1938, la répulsion donc a cédé la place à la curiosité. Le 11 décembre, Paris-Soir rend compte de la «première des rugbymen américains en France». Leur sport requiert «force, puissance, détente et souplesse», énumère le journal. Au Parc de princes, «la foule parisienne s'est montrée à la fois curieuse, rieuse et pleine de bonne humeur». Jean Galia, qui a introduit le rugby à XIII en France, revendique d'être à l'origine de cette exhibition : «J'aime les jeux rudes, et aussi les hommes costauds qui bataillent plus qu'ils ne pensent.» La rencontre a attiré du beau monde : des cyclistes, des boxeurs, des rugbymen. Tous les sports venus en curieux fraternisent sur les banquettes. «Et c'est à celui qui montrera qu'il en sait plus que son voisin, non seulement sur les règles, mais sur les combinaisons, sur les tactiques offensives et défensives», raille le journal.

Quelque 25 000 curieux se sont pressés au Parc des princes pour la rencontre entre les All Stars et la New York Selection. Le Petit Parisien du 11 décembre revient sur l'événement : «Le public applaudit longuement les bagarres sensationnelles, qui au bout d'un moment, donnaient comme résultat un amas épouvantable de corps enchevêtrés […] et applaudit frénétiquement des percées qui, à nous autres rugbymen, paraissent tout à fait ordinaires.» Globalement, la rédaction du journal se montre mitigée sur un sport au déroulement trop haché. «Le rugby américain est certes un sport athlétique puisqu'il exige de la force et de la résistance aux coups. Mais il relève beaucoup moins de l'athlétisme que du catch.» Le journal publie deux points de vue qui pronostiquent qu'en France, le football américain est mort-né. «Il a certainement du sex-appeal. C'est "very exciting". Mais Joséphine Baker était aussi "very exciting" il y a quelques années, et elle est bien oubliée maintenant, alors que Maurice Chevalier tient toujours le coup», cingle l'un. «Le rugby à XV est un sport de haute civilisation et le rugby américain un jeu barbare», enfonce l'autre.

Même scepticisme pour l'Excelsior du 11 décembre, pour qui ce sport «répond beaucoup plus au tempérament des solides athlètes américains qu'à celui de nos joueurs [de rugby, ndlr]». Lesquels se sentiraient bridés par des tactiques trop contraignantes, car «l'improvisation leur fait moins peur que la discipline».

Suite de l'histoire. La greffe du football américain n'a jamais vraiment pris dans l'Hexagone. Une fédération française s'est pourtant créée en 1983, trois ans après la naissance du premier club, les Spartacus de Paris. Aujourd'hui on compte quelque 25 000 licenciés répartis dans près de 250 clubs. Des chiffres relativement faibles qui n'empêchent pas le foot américain de bénéficier du statut de discipline de haut niveau depuis 1993. Un label attribué par le ministère des Sports qui donne droit à des ressources financières et humaines, en échanges desquelles les équipes de France doivent obtenir des résultats probants au niveau international. Le meilleur résultat en Coupe du monde des Bleus du foot US est une quatrième place en 2015. Ils ont remporté les Jeux mondiaux (des disciplines non olympiques) en 2017 et la Coupe d'Europe 2018 après des médailles d'argent en 2010 et de bronze en 2014. L'équipe junior brille régulièrement au niveau européen. La FFFA chapeaute aussi le flag (version soft, de la discipline, sans plaquages) et le cheerleading (version sportive des pom-pom girls).

Un championnat de France se déroule depuis 1983, intitulé le Casque de diamant, largement dominé par les clubs de Paris ou de sa banlieue, notamment le Flash de la Courneuve (11 titres, le dernier en 2018). La décennie 90 a été celle des Argonautes d’Aix-en-Provence, les Black Panthers de Thonon sont les champions de France en titre. Au début des années 90, Richard Tardits a été le premier Français à jouer en National Football League, le championnat américain. Il a disputé 27 matchs avec les New England Patriots entre (1990 et 1992) avant de devenir international américain de rugby à VII et à XV.

Quant à la violence, elle demeure un problème majeur aux Etats-Unis. Nombre d'anciens joueurs souffrent d'encéphalopathie traumatique chronique. Plusieurs études scientifiques ont mis en évidence un lien entre cette dégénérescence cérébrale et les chocs répétés à la tête, commotions cérébrales et autres traumatismes crâniens qui émaillent trop souvent la carrière d'un joueur. La plus récente de ses études, en juillet 2017, a notamment analysé les tissus cérébraux de 111 joueurs passés par la NFL et souvent morts prématurément : l'ETC a été détectée chez 110 d'entre eux ! Une prévalence qui a obligé la puissante et prospère NFL, attaquée en justice au début des années 2010 par 4 500 anciens joueurs ou leurs ayants droit, à agir. En plus du milliard de dollars qu'elle avait promis de consacrer aux dédommagements des victimes et à la recherche, la NFL aménage saison après saison son règlement en proscrivant notamment, depuis 2018, les chocs casque contre casque.