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Badminton : quand la France prenait le volant

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La presse française de la fin du XIXe siècle et du premier tiers du XXe raconte le lent combat d'un jeu pour devenir un sport.
Des joueurs de badminton en Inde en 1912. (Photo Getty Images)
publié le 15 février 2020 à 16h48

Chaque semaine avec Retronews, le site de presse de la BNF, retour sur une histoire de sports telle que l’a racontée la presse de l’époque. Ce samedi, à l’occasion des championnats d’Europe de badminton par équipes, les débuts de ce sport en France à l’aube du XXe siècle et son lent développement.

Le 6 janvier 1877, le correspondant spécial du Temps en Inde raconte que le badminton «qui est à l'usage des dames y fait fureur» dans la communauté anglaise : «Cela se joue avec des raquettes et des volants, et les dames y peuvent montrer beaucoup de grâce. Tout bungalow qui se respecte est flanqué d'une petite terrasse horizontale disposée pour le badminton. Et l'on va jouer les uns chez les autres, de quatre heures du soir à six heures généralement.»

Le 19 novembre 1908, la Tribune de l'Aube évoque «un sport nouveau, nouveau chez nous, du moins, car il était connu en Angleterre avant le lawn-tennis, dont il n'est, d'ailleurs, pas le rival, puisqu'il ne se joue que l'hiver et en lieu clos. Ne cherchez pas à découvrir un sens aux syllabes de ce nom : le badminton. C'est, tout simplement, celui de la propriété du duc de Beaufort, où il fut joué à l'origine». L'histoire enseigne en effet qu'un beau jour de 1873, des officiers de retour des Indes réunis chez le duc exprimèrent leur nostalgie du poona, qu'ils pratiquaient aux colonies. Faute d'une balle ils utilisèrent un bouchon de champagne dans lequel ils plantèrent quelques plumes : le premier volant était né et le badminton avec. On lui connaît de nombreux ancêtres, en Chine et au Japon, notamment. Mais le plus direct semble être le jeu de volant, féminin, pratiqué dès le XVIIIe siècle. Longtemps considéré en France comme un jeu de plage, le badminton (et pas «babinton» ou «babington») «met à contribution les qualités physiques de ses pratiquants et il nécessite également du jugement, car il comporte une tactique», écrit la Tribune de l'Aube.

Le premier club français naît le 31 octobre 1907 à Dieppe. Un an plus tard, le Dieppe badminton club est officiellement inauguré. M. Coche, maire de la ville, en est le président, annonce l'Auto du 26 octobre. «La salle contient 5 courts éclairés chacun par des lampes électriques à incandescence donnant une lumière de 480 bougies par court.»

Dédain injustifié

Les membres du club dieppois partent en mission d'évangélisation à Paris en 1909, annonce la Presse du 5 février 1909, afin de favoriser la création de clubs dans la capitale. «Tous les sportsmen, surtout ceux qui pratiquent le tennis, devraient se faire un point d'honneur d'assister à l'exhibition», conseille le journal. Si le sport est anglais, les volants «sont de fabrication exclusivement française, ce sont de véritables petits instruments de précision dont les dimensions et le poids sont réglés avec soin, les raquettes ont les mêmes dimensions que celles qui servent pour le tennis mais elles ne pèsent que 150 à 180 grammes et sont beaucoup plus flexibles».

Dans son édition du 17 juillet 1921, la revue les Annales politiques et littéraires déplore que le badminton soit l'objet en France d'un dédain tout à fait injustifié. «Il est très populaire en Angleterre, pourquoi est-il ignoré chez nous ? Il a pourtant de surprenantes ressemblances avec certains de nos amusements traditionnels où se montrait la grâce des femmes d'autrefois [le fameux jeu de volant, ndlr].» Le journal vante la simplicité d'installation d'un terrain et explique qu'on «excelle à ce jeu par la même souplesse, la même précision de jugement qu'au tennis. La force y est superflue. L'activité physique qui se déploie au badminton est une des meilleurs préservatifs des dépressions physiques».

Sur son site, la Fédération française de badminton situe sa naissance en 1930. Pourtant, l'Echo de Paris écrit le 25 janvier 1934 : «Qui aurait cru que le désuet "jeu de volant" de jadis deviendrait un sport et qui plus est un sport officiel ? Pourtant, le fait est là : une fédération française vient d'être formée.» A l'étude des membres dirigeants de cette nouvelle instance, le journal conclut : «On sent nettement que le tennis a voulu s'assurer le contrôle de ce nouveau sport.» L'auteur de l'article ne cache pas qu'il était sceptique : «Nous avouons que qualifier de sport le jeu de volant nous faisait sourire.» Mais en bon journaliste, il est allé sur le terrain (c'est le cas de le dire). Et, raquette en main, il n'a pu que constater que le badminton était bien un sport : «Il nécessite un effort athlétique soutenu. Au bout d'un quart d'heure nous étions littéralement en nage. Il faut des réflexes rapides, des élans subits. Les coups longs alternent avec les coups amortis. Sans cesse il faut prêter attention à l'envol des soyeuses plumes, calculer sa distance, prévoir la feinte, prêt à bondir ou à reculer.»

Le 22 avril 1934, Lyon républicain informe que se déroule à Paris la coupe de France par équipes et le championnat de France individuel. Cinq clubs, trois de Paris et deux de Lyon, participent à la première, une soixantaine de joueurs ou joueuses s'alignent dans le second.

«Un des sports les plus rapides et fatigants»

Le 5 avril, l'Intransigeant annonce que le badminton va avoir son «Roland-Garros» : «La fédération à peine éclose, va pourtant faire disputer à l'instar de la fédération de tennis, ses championnats internationaux.» «Nos lecteurs auront l'occasion de découvrir un sport qui exige une souplesse et une adresse extraordinaires. […] Tout cela fait supposer que le badminton s'acclimatera fort bien en France. Cependant, il n'est pas sans intérêt de noter qu'il compte plus de 200 000 pratiquants de l'autre côté du détroit (en Angleterre).» Et le journal de conclure : «En somme très intéressante manifestation sportive qui, sans doute, aura la plus heureuse influence sur le développement en France d'un sport qui convient à merveille aux qualités de notre race.»

L'Excelsior du 8 avril 1935 rend compte des résultats de ces internationaux. C'est peu dire que les sujets de George V ont dominé les débats : la finale des cinq épreuves (simples hommes et femmes, doubles hommes et femmes, double mixte) aurait pu être celles des championnats d'Angleterre.

Une petite photo de badminton dans le Jour du 2 mars 1938 :

L'Ouest-Eclair du 6 novembre 1938 annonce la création, à Dinan, d'un club de badminton, «un des sports les plus rapides et le plus fatigants qui soient». Autre avantage de ce sport : «Les frais qu'entraîne sa pratique sont moins élevés que pour n'importe lequel des sports pratiqués sur courts couverts. On peut jouer aussi bien à la lumière électrique que dans la journée.»

Suite et fin de l'histoire. En 2018, la joueuse bretonne Julie Grall a publié une thèse intitulée Histoire du badminton en France (fin XIXe siècle – 1979) : pratiques et représentations. Dans son résumé, elle écrit : «Faute de masse de joueurs importante, les pratiques ne sont pas suffisamment visibles pour faire changer les représentations. Le badminton est d'abord une activité distinctive, réservée à une élite sociale. Il s'organise ensuite en tant que sport alternatif au tennis, jusqu'à être placé sous tutelle de la FFLT [la fédération de tennis, ndlr] en 1944, sans pour autant parvenir à convaincre les adeptes de la balle jaune. Sur le plan international, l'équipe de France de badminton fait pâle figure. Les politiques fédérales, sans moyens, sont inopérantes et l'absence d'infrastructures couvertes n'offre pas les conditions matérielles opportunes à une pratique de masse. Ces obstacles sont progressivement levés et conduisent à la renaissance de la Fédération française de badminton en 1979, mais ne suffisent à faire évoluer les représentations, plus fortes que des pratiques peu visibles.»

Sa consécration olympique, en 1992, a définitivement fait sortir le badminton du rayon «jeu de plage» dans lequel il était très injustement et ignoramment rangé, alors que quiconque a un jour tenu une raquette sait que le vent est le principal ennemi du badeur ou badeuse, comme on appelle les pratiquant·e·s. La fédération française de badminton compte aujourd’hui 188 000 licenciés, dont 68 000 femmes (d’après le ministère des Sports, chiffres au 30 juillet 2019). Elle est l’une de celles qui ont connu la plus forte progression depuis une vingtaine d’années. Le badminton est par ailleurs le premier sport scolaire en France.

Quant à ceux qui, arrivés au bout de cet article, douteraient encore que le badminton est un vrai sport, ces images devraient les convaincre définitivement.