La météo est très douce en ce jour de février à Creutzwald. Dans la zone artisanale de ce village de Moselle, à la frontière avec l’Allemagne, viennent juste de déménager les locaux de l’entreprise de fret VFLI. Quentin Bigot y a été embauché en 2015 après une formation longue et intense. Pour l’athlète lorrain, c’est alors le couronnement d’un rêve de gosse pendant une période sombre au niveau sportif : il purge deux ans de disqualification (entre 2014 et 2016) à cause d’une affaire de dopage.
Un 1/3 temps olympique
En cet après-midi de février, on retrouve Quentin Bigot parmi ses collègues du département formation. Les occasions de le croiser au boulot seront de plus en plus rares dans les prochains mois, quand la préparation olympique prendra le dessus dans son emploi du temps : «Actuellement je ne conduis plus de trains comme je l'ai fait jusqu'en décembre. Ou, plus précisément, je roule de temps en temps, tous les trois mois, pour garder ma licence de conducteur», explique le lanceur de marteau messin, qui fait figure d'exception dans l'athlétisme. «Parmi les athlètes présents aux derniers championnats du monde de Doha [en octobre, ndlr], Quentin est sûrement le seul à exercer une profession à côté de son activité de sportif de haut niveau», assure son coach, Pierre-Jean Vazel. Ce qui n'a pas empêché Bigot de décrocher une médaille d'argent au Qatar.
Pour concilier entraînements et travail, Quentin Bigot était l'année dernière sur un mi-temps annualisé : «J'ai besoin de temps libre notamment pendant le printemps pour la préparation et l'été pour les compétitions. Il y a des mois où je ne travaille presque pas et d'autres donc où le rythme est forcément plus intense», relate Bigot qui, pour cette année olympique, a demandé à son employeur de travailler à tiers-temps.
2000 tonnes à 100 km/h
«Devenir conducteur de train c'était mon autre passion, avec le marteau. C'est un métier très solitaire mais pour réussir dans la formation, il faut de l'entraide, une bonne équipe. J'y vois un beau parallélisme avec le lancer du marteau. C'est une discipline solitaire, mais pour réussir il faut une équipe derrière toi : coach, médecin, kiné, la famille», enclenche Bigot, qui le matin même s'est entraîné au stade Dezavelle de Metz. «Le niveau d'exigence aussi est très semblable à celui qu'il faut dans le sport. Quand tu conduis un train de 2 000 tonnes, long de 600 à 800 mètres et lancé à environ 100 km/h, la vitesse de croisière, il faut bien connaître sa machine. On utilise tous les sens pour le faire : l'odorat te dit des choses sur le moteur ; le toucher quand tu actionnes la manette de traction aussi. Parfois tu la sens plus dure, plus lourde que d'habitude…» Si l'un des bons côtés du métier est l'autonomie («quand tu es dans ta locomotive tu n'as pas un chef derrière toi tout le temps»), le conducteur de trains peut connaître des moments délicats : «Ça m'est arrivé de faire des trajets de nuit, des Creutzwald-Valenciennes ou des Schengen-Vitry-le-François et de devoir passer la tête en dehors de la locomotive pour prendre de l'air frais et me réveiller un peu. Ou de rouler avec un brouillard qui ne te laisse pas voir le nez de ta machine. Ça fait partie du métier», raconte Bigot.
«Depuis peu je suis au département de la formation. Je m'occupe de trouver la bonne manière de numériser les supports et de rendre ce moment clé encore plus participatif : les générations qui arrivent ont besoin d'être aidées à sortir d'elles-mêmes leurs compétences», explique Bigot dans la salle des simulateurs de conduite. «Quentin est devenu assistant formateur parce qu'il n'a pas encore complété le parcours qu'il faut pour être formateur. Cependant, en le connaissant, il a toutes les qualités pour le devenir : notamment l'empathie et l'écoute, constate Céline Horwat, la cheffe de Bigot dans ses nouvelles missions. Les passionnés de train comme Quentin n'existent plus trop. Conducteur de train n'est pas une profession qui fait rêver les jeunes, car il faut parfois découcher, rouler la nuit seul dans sa cabine, on a beaucoup de responsabilités sur ses épaules. De plus, pour réussir il faut s'impliquer dans la formation qui a un taux de réussite de 40%. C'est aussi pour cela qu'on a un grand besoin de former des nouveaux conducteurs.»
«C'est drôle parce que, au début, je ne savais pas que Quentin était un sportif de haut niveau, raconte Pierre Bouillet, directeur de la formation chez VFLI. J'ai appris qui il était via un ami. L'un de ses formateurs me l'avait signalé pour la rigueur qu'il manifestait dans sa prise de notes. Dans notre secteur, la demande de travail est en tension, il ne faut pas rater les bons éléments. Quentin est apprécié par toute l'équipe ici parce que c'est une bonne personne, qui a un jour fait une erreur [son affaire de dopage, ndlr] mais qui s'est repris en main, en payant l'addition de sa bêtise. Pour nous, c'est un excellent éducateur. Il n'est pas beaucoup avec nous pour l'instant à cause de son aménagement d'horaire, mais sa présence est de tout de même importante. Un jour, il reviendra à plein temps, même si on lui souhaite une carrière sportive longue et jalonnée de succès.»