Chaque semaine avec RetroNews, le site de presse de la BNF, retour sur une histoire de sports telle que l'a racontée la presse de l'époque. En cette journée internationale des droits des femmes : leur conquête des Jeux olympiques, en 1928.
«Comme les hommes… Les femmes veulent leurs Jeux Olympiques», annonce le Matin du 19 août 1922. On le sait, Pierre de Coubertin, à l'origine de la résurrection des JO, en 1896, n'était pas, mais alors pas du tout féministe. Pour lui, la place des femmes était à la maison, et certainement pas au stade : «Elle est avant tout la compagne de l'homme, la future mère de famille, et doit être élevée en vue de cet avenir immuable», écrit-il en 1901. Il remet le couvert en 1912 : pour lui, les Jeux Olympiques constituent «l'exaltation solennelle et périodique de l'athlétisme mâle avec […] l'applaudissement féminin pour récompense» (1912).
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Il avait bien dû accepter quelques femmes dès les Jeux de Paris, en 1900, mais elles servaient d'alibi. Histoire de dire que les Jeux n'étaient pas réservés aux hommes. Elles n'étaient que 65 à Anvers en 1920 contre 2 500 hommes. Scandalisée par cet ostracisme, Alice Milliat, grande militante du sport au féminin, crée la Fédération sportive féminine internationale en 1921, qui se voit refuser par la Fédération internationale d'athlétisme l'ajout d'épreuves féminines aux Jeux de 1924. La FSFI, «comprenant des délégués des Etats-Unis, de la France, de l'Angleterre, de la Suisse, de l'ltalie, de la Tchécoslovaquie et même de la Grèce, a agité la grave question de l'Olympiade féminine que les Grecs de l'antiquité n'avaient pas cependant inventée, puisque, à cette époque reculée, la femme n'était pas admise au stadium, écrit le Matin. Elle a cependant décidé la création des Jeux olympiques féminins et leur organisation de quatre en quatre années.» Devant les protestations du Comité international olympique, ils seront finalement rebaptisés Jeux mondiaux féminins.
Les premiers Jeux mondiaux féminins ne durent qu'une journée, le 20 août 1922 au stade Pershing à Paris. Ils rassemblent 77 athlètes de cinq nations. Par ordre d'apparition lors du défilé inaugural : la Suisse, l'Angleterre, la Tchécoslovaquie, comme on l'écrit à l'époque, les Etats-Unis et la France. Ce sont en réalité des Jeux d'athlétisme, puisque seul ce sport est présent avec les 100 yards haies et plat, le saut en hauteur avec élan, le 60 mètres, le lancement du poids et du javelot, le saut en longueur avec et sans élan, le 300 mètres, le 1 000 mètres. Le succès est évident, tant sur la piste que dans les tribunes. «Onze records du monde battus», titre le Journal du 21 août. «Les gradins étaient combles, et la grande tribune où on avait dû refuser du monde se drapait de toutes les claires couleurs des robes que le beau temps enfin revenu avait fait arborer aux spectatrices. […] Ce fut d'ailleurs une fête merveilleuse que cette manifestation athlétique où jeunes filles et jeunes femmes rivalisèrent en une série d'épreuves qui les montrèrent admirablement préparées aux efforts physiques les plus violents exécutés avec une grâce harmonieuse […] Ce sont les sportswomen anglaises qui sont les grandes triomphatrices. Supérieurement entraînées et préparées, cela est indiscutable, avec le plus grand soin à l'effort physique qu'elles devaient fournir dans cette journée, elles ont fait preuve d'une forme éblouissante.» Les Américaines terminent deuxièmes et les Françaises troisièmes.
Après cette première édition, les Jeux féminins mondiaux en connaîtront trois autres (1926 en Suède, 1930 en Tchécoslovaquie, 1934 en Angleterre), rassemblant de plus en plus de compétitrices et de pays, jusqu’à 270 athlètes de 19 nations à Londres.
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Le sport féminin fait une timide incursion olympique aux Jeux d'Amsterdam en 1928. Alice Milliat a négocié avec le CIO : cinq épreuves féminines d'athlétisme font leur apparition. «Les sports athlétiques féminins ont maintenant droit de cité au cours des jeux olympiques, annonce l'Excelsior du 19 juillet 1928, au même titre que la natation, la gymnastique et l'escrime.» Le baron de Coubertin en est tout retourné, qui déclare que cette présence féminine «constitue un affront majeur à la grandeur et à la pureté originelle de cette compétition». Rien que ça. Aux Pays-Bas, les femmes ne pèsent cependant pas bien lourd et ne menacent pas l'hégémonie masculine. Elles représentent à peine 10 % des engagé.e.s : 277 contre 2 606 hommes.
«Petite jupe courte»
Les Jeux d'Amsterdam s'ouvrent le 29 juillet 1928. Paris-Soir souligne que pour la première fois, les athlètes féminines sont admises à participer et soupèse les chances des Françaises : «Il n'est pas douteux que l'athlétisme féminin français a fait de très notables progrès et, s'il ne faut pas espérer obtenir, aux Jeux d'Amsterdam, la première place, du moins faut-il faire confiance à notre représentation qui doit faire figure honorable.»
«Aux Jeux olympiques d'Amsterdam, premières impressions», titre l'Echo de Paris, le 31 juillet 1928. Il est bien sûr question des femmes. «L'élément féminin est nombreux cette année dans les compétitions, et les sportswomen sont reconnaissables à leur petite jupe courte généralement bleue, et au sweater ou la blouse aux couleurs de leurs pays respectifs. Le béret est la coiffure adaptée», écrit le journaliste. Il rencontre «un des dirigeants hollandais des Olympiades […] : "Les épreuves féminines nouvelles aux olympiades modernes éveilleront une grande curiosité.". Melvin Shepperd, qui fut le grand champion pédestre des Jeux de Londres en 1908, et qui dirige le team féminin des États-Unis ne tarit pas d'éloges sur ses élèves et sur les athlètes des autres pays. "A la prochaine olympiade, déclare ce compétent manager, les jeunes femmes ne seront pas loin de friser les temps des bons athlètes moyens masculins." […] Et tout cela avec quelle élégance ! Quel style ! Et sans que rien ne soit perdu de la grâce féminine.»
«Intermède plaisant»
Le Journal des débats politiques et littéraires n'est pas, mais vraiment pas, d'accord avec l'Echo de Paris. Le 2 août 1928, il s'attarde non sans une certaine condescendance sur la présence des femmes aux JO. «Au stade, cet après-midi, la grande nouveauté, bien sûr, ç'a été… l'intrusion des femmes. Des femmes à Olympie ! La tradition hellénique se hérisse à la seule mention d'une si monstrueuse hérésie. Les femmes, à qui la loi de Solon interdisait – sous peine de mort – l'accès des lieux où les mâles nus se livraient à leurs fiers ébats», écrit le journal. Qui note que «le baron Pierre vient de protester contre l'introduction de la femme – la vivante tentation, l'ennemie ! – sur la cendrée réservée jusqu'ici aux plus purs des hommes…. Respectons sa protestation. Puis répétons-nous que tout change, que la femme n'est peut-être qu'au début de la singulière évolution qui peut reconquérir pour l'art, pour la science, pour la vie totale – sans laisser de côté pourtant certain domaine où, jusqu'ici, l'espèce n'est pas remplaçable – une moitié de l'humanité…» Pour le Journal, cette affaire de femmes athlètes n'apparaît pas bien sérieuse. Leurs épreuves sont tout au plus un agréable apéritif aux joutes masculines. «Nos petites sœurs, nos petites filles ont fait, cet après-midi, de nouveaux records du monde, des débits qui, au demeurant, n'ont choqué personne, ont réjoui leurs fidèles "supporters". Elles ne sont pas ridicules. Elles forment un intermède plaisant, reposant, entre les grandes scènes qui nous tiennent haletants.»
Même référence aux Jeux de l'Antiquité dans le Journal du 8 août. «Voilez-vous la face, ombres des Grecs du siècle de Périclès ! qui défendiez à vos jeunes filles l'accès du stade. En l'an 1928, femmes et jeunes filles, violant votre tradition, ont pénétré sur le stade, non plus seulement pour assister aux Jeux modernes, mais pour y prendre part… […] Le féminisme en marche a conquis le sport et la plus traditionnellement rigoriste de ses manifestations : les Jeux Olympiques.» Le Journal s'interroge : «Sont-ce bien des femmes, ces êtres humains que nous avons vus sur la pelouse, avant les épreuves, les cheveux en broussaille, revêtus de la tenue des athlètes : pyjamas flottants, larges pantalons de flanelle rude tombant sur les souliers à pointe ? On en peut douter, à distance. […] Ces corps accroupis, ramassés sur eux-mêmes à la ligne blanche, prêts à bondir, appartiennent-ils à des hommes ou à des femmes ? On ne sait… Pendant les courses seulement s'avèrent les différences. Quelques-unes des concurrentes ont de l'allure, ce sont celles qui ressemblent le plus à des hommes. Celles qui sont des femmes n'ont rien à gagner vraiment, dans cet effort formidable que comporte une course en compétition.» Le journal est définitif : des Jeux exclusivement féminins, à la limite. Mais des jeux mixtes, certainement pas : «Les sports athlétiques de compétition ne conviennent pas aux femmes. Elles n'ont rien gagné à l'introduction des sports féminins dans les Jeux Olympiques.»
Suite de l'histoire. «La lente évolution des relations entre l'olympisme et les femmes connaît une réelle inflexion avec l'élection de Juan Antonio Samaranch à la tête du CIO en 1980, écrit l'historien du sport Pierre Lagrue. En effet, le Catalan fait de l'ouverture du mouvement olympique aux femmes un des axes forts de son programme.» Au fur et à mesure des Jeux, les femmes disputent de plus en plus de sports alors qu'un bon nombre leur était jusqu'alors fermés comme le cyclisme, le judo, la boxe, l'haltérophilie, etc. Selon le CIO, les femmes devraient représenter 48,8 % des engagé.e.s aux Jeux de Tokyo, cet été.
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