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Avec RetroNews, le site de presse de la BNF, retour sur les Jeux de Paris 1924 tels que la presse de l’époque les a racontés.
On ne nage plus sur la distance aujourd’hui. Mais dans les années 1920, le 500 mètres nage libre pose son champion. Et l’Excelsior du 12 janvier, dans une page consacrée aux informations internationales, informe que «le célèbre nageur américain Johnny Weissmuller, du Club Athlétique Illinois, vient de battre un nouveau record» en nageant le demi-kilomètre en 6 min, 42 sec 3/5, rabotant 8 sec 4/5 au précédent meilleur temps mondial.
Le record du monde du 500 mètres se balade de bras en bras en cette année 1922. Le «jeune champion» en est dépossédé puis le reconquiert, comme l’annonce The Chicago Tribune and the Daily News du 14 novembre : «Un nouveau record à sa collection déjà fantastique», commente «le journal américain d’Europe». Quelques mois plus tôt, en juillet, celui qui a commencé la natation à 9 ans pour corriger les effets d’une polio est devenu le premier homme à abattre la muraille de la minute sur 100 mètres : 58 sec 6/10. Il n’a alors que 18 ans. Depuis deux ans, il s’entraîne à l’Illinois Athletic Club, sous la férule sévère de «Big» Bill Bachrach. A leur première rencontre, ce dernier le prévient : «Tout d’abord, tu dois oublier tout ce que tu as appris. Jure que tu travailleras avec moi sans te poser de questions et sans chercher d’excuses. Tu seras un esclave et tu me haïras. Mais tu battras tous les records que tu voudras.»
En décembre 1922, Weissmuller, décidément éclectique en matière de distances, braconne deux nouveaux records, sur 40 et 110 yards (respectivement 36,576 et 100,584 mètres). Mais catastrophe quelques mois plus tard : le champion ne nagera plus. C’est la Presse du 19 juillet 1923 qui l’annonce : «La merveille américaine de la natation se trouve actuellement en traitement dans un hôpital de Chicago où on le soigne pour une très grave affection cardiaque : les docteurs spécialistes lui ont ordonné le repos absolu. C’est-à-dire que le super-recordman est à jamais perdu pour son sport favori.» Pour le journal, le nageur a trop tiré sur la machine : «Il a probablement forcé son corps, provoquant une hypertrophie du cœur, qui ne pardonne pas.»
L’acteur perce sous le nageur
Fausse alerte. Weissmuller est bien présent aux Jeux olympiques de Paris un an plus tard. Un journaliste de l’Œuvre le cueille à la sortie de l’entraînement à la piscine des Tourelles (située dans le XXe arrondissement, elle reste un haut lieu de la natation parisienne). «Surprise des deux côtés, il nous trouve si petit et nous le trouvons si grand, il ne mesure pas loin de 1,90 m.» «Quel est votre âge ?» interroge le journaliste. «J’aurai vingt ans à la fin du mois.» «Nagez-vous depuis longtemps ?» «Je prends part aux compétitions depuis trois ans, mais je ne tiens la grande forme que depuis deux années.»
La décontraction et la manière des champions américains, et celles de Weissmuller en particulier, interloquent l’auteur de l’article. «Il a enlevé sa casquette et l’a sans façon, flanquée sous son bras. D’une poche intérieure de son veston, il a tiré un superbe peigne américain, et avec une ardeur que traduit d’ailleurs une mimique expressive, il rudoie sa blonde chevelure pour y mettre un peu d’ordre, il semblerait, à le voir, que ce travail est plus pénible que de couvrir le 100 mètres en moins d’une minute.» Plus tard, après un relais facilement remporté par les Américains, «Johnny va donner une leçon de plongeon à l’un de ses camarades». Déjà, l’acteur perce sous le nageur. «Et c’est une exhibition désopilante, chaque geste de ces deux grands gosses est une trouvaille comique», rapporte le journal.
Chez Weissmuller, le charisme le dispute au talent. Le showman américain fait chavirer le cœur du public parisien. «Sa victoire dans le 100 mètres fut très applaudie, applaudie à un tel point que les populaires [les gradins, ndlr], demandèrent au nonchalant nageur de bien vouloir faire un tour [d’honneur] à la manière des vélodromes, raconte l’Intransigeant du 28 juillet 1924. La sollicitation du public ne cessa que lorsqu’on annonça : «Johnny jouera son sketch nautique en fin de réunion.» Ce sketch est fort amusant, de bon goût et à la fois sportif.» La terreur des bassins est un homme «modeste et aimable» avant d’entrer et après être sorti de l’eau. «Il ne cesse de plaisanter dans les moments ordinaires de la vie. Il est impatient, nerveux dans les dernières minutes qui précèdent le départ. Il regarde autour de lui sans cesse, en haut, en bas, gesticule, va et vient. Son large et sympathique sourire ne renaît qu’à la fin de l’épreuve.»
Maître-nageur de luxe
Aux Jeux de Paris, Weissmuller compile trois médailles (100 mètres, 400 mètres, relais 4x200 mètres) et une de bronze au water-polo. Il tient d’ailleurs son style de nage si particulier, la tête hors de l’eau, de cette dernière discipline. Et dire qu’il n’aurait pas dû participer à ces JO. Né János Péter Weissmüller en Hongrie en 1904, dans une famille allemande qui émigre aux Etats-Unis alors qu’il n’a que 7 mois, il devient apatride à la chute de l’empire austro-hongrois. Or, il faut une nationalité pour s’aligner aux JO. Johnny se fera passer pour son frère cadet, Peter, né lui aux Etats-Unis et donc de nationalité américaine, pour participer. Quatre ans plus tard, aux Jeux d’Amsterdam, il conserve ses titres sur 100 mètres et 4x200 mètres. Ces Jeux néerlandais constituent sa dernière apparition en tant que nageur de compétition. L’année suivante, en 1929, il passe professionnel, se coupant ainsi toute possibilité d’enrichir son palmarès. Il monnaye sa plastique et son talent en jouant les mannequins pour des maillots de bain ou sous-vêtements, lors d’exhibitions ou en jouant les maîtres nageurs de luxe. C’est ainsi que Match le retrouve en juin 1930, alors que le quintuple champion olympique effectue une pige d’un mois à la piscine Molitor récemment créée. «Johnny est désormais professionnel, et il a quelque mérite à reconnaître ainsi sa qualité alors que nous en savons tant qui trouvent plus de profit à ne pas l’avouer», note Match, en cette période où l’amateurisme marron fleurit. Weissmuller reste un modèle de technique : «C’est une chose admirable que de voir l’Américain dans l’eau. Qu’il nage ce crawl puissant qui lui est bien particulier ou qu’il s’amuse comme un grand gosse, on se rend compte que bien plus que la terre, l’eau est l’élément qui l’attire.»
Le Matin du 22 janvier 1932 annonce que Johnny Weissmuller a été choisi par la Metro-Goldwyn-Mayer pour interpréter le premier Tarzan parlant du cinéma. «Il a été choisi parmi une centaine d’autres acteurs à cause de son corps parfait.» Que l’Intransigeant du 20 août 1932 expose en photo à côté de celui de Maureen O’Sullivan : elle Jane, lui Tarzan.
Dans le Petit Marseillais du 16 février 1933, Weissmuller est présenté comme une «véritable statue vivante, le plus magnifique spécimen de la beauté masculine».
Monosyllabes et grognements
En 1934, alors qu’il s’apprête à interpréter une deuxième fois le rôle de Tarzan, Séduction du 17 mars revient sur ses débuts d’acteur. «Vous sentez-vous capable de jouer un rôle important au cinéma ? lui demanda le metteur en scène Van Dyke. - Certainement non ! répondit Weissmuller. Cette franchise plut au cinéaste. - Rassurez-vous, ajouta-t-il, vous n’aurez pas besoin de dire des longues phrases, de simples monosyllabes et des grognements d’homme des bois. […] Van Dyke résolut alors de tourner à titre d’essai, quelques centaines de mètres de film «sonore»… plus que «parlant». Quand il se vit à la projection, et, surtout, s’entendit proférer les cris rauques, les sons inarticulés que lui avait demandés le metteur en scène, Johnny s’égaya copieusement : «Si je n’ai que cela à faire, je marche.»» Bien des années plus tard, il s’étonnera : «Ce rôle était fait pour moi, il fallait nager beaucoup et donner peu de répliques. Comment un type qui monte aux arbres et dit «Moi Tarzan, toi Jane» peut-il gagner des millions de dollars ?»
Suite et fin de l’histoire. Le débat, un peu vain, est récurrent. Qui est le plus illustre champion de sa discipline ? D’aucuns soutiennent que Johnny Weissmuller reste le plus grand nageur de l’histoire, même si, niveau palmarès, il se situe à des années-lumière d’un autre Américain, Michael Phelps et ses 23 titres olympiques entre Athènes 2004 et Rio 2016. A l’appui de leur opinion, ils soulignent qu’en 1924 et 1928, il n’y avait que trois épreuves individuelles (100 m, 400 m, 1 500 m) de nage libre aux JO et une seule de relais (4x200 m), quand Phelps, en crawl et papillon, en individuel et en relais, a pu remporter 8 titres à Pékin. Reste l’impressionnant bilan comptable de Weissmuller : durant toute sa carrière, entre 1921 et 1929, il n’a jamais été battu en course et a collectionné 67 records du monde, du 50 yards (45,72 m) au demi-mile (804,67 m), le tout avant d’avoir 25 ans. Son record du monde établi en 1927 sur le 100 yards nage libre tiendra dix-sept ans, et celui du 100 mètres nage libre, qu’il abaisse à 57"4 en 1924, ne sera battu que dix ans plus tard. L’actuel temps référence de la distance reine de la natation, propriété du Brésilien César Cielo en 46"91, fêtera ses dix ans en juillet.
Cinématographiquement parlant, Weissmuller a incarné douze fois Tarzan entre 1932 et 1948, dont un pittoresque Tarzan à New York (Richard Thorpe, 1942) où il combat… les nazis. Le problème du corps de rêve, c’est qu’il peut devenir un cauchemar quand le temps l’altère. Weissmuller ventripote un peu trop avec l’âge, il ne peut plus incarner l’homme singe volant de liane en liane et iodlant son fameux cri. A partir de 1948, il tente d’imposer un nouveau personnage, Jungle Jim, qu’il interprète seize fois, jusqu’en 1955, sans jamais arriver à le hisser au niveau, ne serait-ce que de la cheville de Tarzan. Il apparaît une ultime fois à l’écran dans The Sphinx, en 1969.
Avec autant de mariages, et de divorces, que de médailles d’or olympique, Weissmuller finira par dilapider en pensions à ses ex-femmes les millions de dollars accumulés dans ses carrières sportive et artistique. Dans les années 1950, il se lance dans la construction de piscines et l’alimentation, sans grand succès, rêve d’un parc d’attractions en Floride, puis déménage à Las Vegas où il joue les utilités au Caesars Palace. Mais sa santé se dégrade. Désargenté, alcoolique, il s’installe à Acapulco, au Mexique, où il meurt dans un hôpital psychiatrique, le 20 janvier 1984 à 79 ans.
Cet article a été publié pour la première fois en mars 2020. Nous le republions à l’occasion des Jeux olympiques de Paris.