Menu
Libération
Retrosports

Pourquoi Tokyo n'a pas organisé les Jeux olympiques... de 1940

RetroNews Sportsdossier
Avec l'organisation des JO, le régime nippon entendait redorer son image en faisant oublier ses visée hégémonique. Mais plus l'échéance approche, plus les pays occidentaux manifestent leurs réticences. Le Japon déclare forfait en 1938. Emportés par la guerre, les Jeux de 1940 n'auront pas lieu.
Une affiche sur les Jeux avortés de 1940 à Tokyo. (Popperfoto/Photo Popperfoto via Getty Images)
publié le 28 mars 2020 à 18h15

Chaque semaine avec RetroNews, le site de presse de la BNF, retour sur une histoire de sports telle que l'a racontée la presse de l'époque. Ce samedi: comment Tokyo n'a pas accueilli les Jeux de 1940.

En attribuant les Jeux olympiques de 1936 à la station allemande de Garmisch-Partenkirchen (hiver) et Berlin (été), et ceux de 1940 à Sapporo (hiver) et Tokyo (été), le Comité olympique international (CIO) n’avait manifestement pas l’intention de faire du parcours de la flamme une visite guidée des démocraties de la planète. D’ailleurs, son président entre 1925 et 1942, le nobliau belge Henri de Baillet-Latour, ne manqua pas une occasion à Berlin de poser au milieu des dignitaires nazis, lui dont les propos trahissaient son admiration pour la culture germanique, son antisémitisme latent et son anticommunisme viscéral. Autant dire que les olympiocrates de l’époque se souciaient peu de la respectabilité des pays auxquels ils attribuaient les Jeux que Pierre de Coubertin (lui-même pas un grand libéral) avaient fait renaître en 1896.

Au début des années 30, le régime impérial nippon présente la candidature de Tokyo à l'organisation des Jeux de 1940 comme un moyen d'étaler aux yeux du monde sa reconstruction après le grand séisme du Kanto de 1923, extrêmement meurtrier (plus de 105 000 morts et disparus), qui détruisit partiellement la capitale. Le parallèle est troublant avec les Jeux de 2020, surnommés les «Jeux de la reconstruction» par un gouvernement nippon désireux de montrer à la planète les capacités de résilience de l'archipel neuf ans après le séisme, le tsunami et la catastrophe nucléaire de Fukushima.

Le chef d'orchestre de la candidature de Tokyo pour 1940 s'appelle Jigoro Kano (1860-1938), fondateur du judo moderne et premier membre japonais du CIO. Il place cette candidature sous le signe du symbole: l'Asie doit accueillir les Jeux pour la première fois. «Si ce n'est pas le cas, la raison en sera forcément injuste», plaide-t-il devant le CIO. Le pays tient d'autant plus à organiser les Jeux que 1940 marque les 2 600 ans de l'intronisation de son premier empereur mythique, Jinmu.

Tokyo lance officiellement sa candidature en 1932 et se retrouve en compétition face à Rome et Helsinki. Le Japon déclenche alors une intense campagne de lobbying, parvenant à rallier à sa cause le dictateur italien Benito Mussolini, en échange d'une promesse de soutenir la candidature de Rome pour 1944. Tokyo l'emporte sur la capitale finlandaise avec 37 votes contre 26.

Menaces de boycott

En 1931, l'armée nipponne avait envahi la Mandchourie chinoise, puis, deux ans plus tard, claqué la porte de la Société des nations (ancêtre de l'ONU) qui refusait d'avaliser son occupation d'une partie du territoire de son voisin. Cette candidature plombée dès le départ par l'aventurisme militaire du régime, apparaît comme une tentative politico-diplomatique d'améliorer ses relations avec les démocraties occidentales, surtout la Grande-Bretagne et les Etats-Unis. Mais au fil des ans cette candidature fait long feu tant les pays occidentaux font pression pour que le Japon y renonce. On évoque même des menaces de boycott.

Dès le 8 septembre 1937, l'Excelsior s'interroge: «Tokio [comme on l'écrit à l'époque, ndlr] va-t-il renoncer à l'organisation des Jeux olympiques de 1940 ? Une dernière conférence du comité olympique et des autorités gouvernementales japonaises aura lieu aujourd'hui à ce sujet. Si la nouvelle se confirme, Rome et Helsinki sont sur les rangs. La nouvelle selon laquelle Tokio abandonnerait pour des motifs faciles à comprendre l'organisation des Jeux Olympiques de 1940, a soulevé une vive émotion dans les milieux sportifs français. Elle a été accueillie avec un certain soulagement dans certaines fédérations où les dépenses considérables qu'occasionnerait le déplacement de nos athlètes au Japon causaient bien des soucis.»

La question de maintenir ou non les Jeux agite aussi les organisateurs putatifs, informe le journal. «Les cercles sportifs et les milieux commerciaux intéressés par les Jeux olympiques, ainsi que ceux qui craignent une perte de prestige, maintiennent vigoureusement que la préparation des Jeux doit être poursuivie. Les autres, spécialement les militaires, apparemment en raison des importantes dépenses et de la grande quantité de matériaux nécessaires à la construction qui devrait commencer le plus tôt possible, estiment que la préparation des Jeux olympiques n'est pas désirable et est de nature à créer dans l'opinion publique une diversion néfaste aux grands devoirs militaires et politiques à venir.» 

«Le Japon renonce à organiser les Jeux olympiques de 1940, annonce le Journal du 8 septembre. La nouvelle qui a été assez bien accueillie dans les milieux sportifs français car, est-il besoin de le dire, les frais de voyage à Tokio causaient déjà bien des soucis aux fédérations. L'Italie et la Finlande sur les rangs […]. Qui l'emportera ? Il semble que la sympathie des sportifs français aille surtout à la Finlande en raison de l'enthousiasme que soulèvent régulièrement les prouesses des athlètes de cette petite nation.» 


Fake news que l'annonce de ce renoncement. Le Japon n'a pas capitulé et les préparatifs battent leur plein à «Tokio», raconte l'Avenir du Tonkin, le 24 septembre 1937 : «Qu'il s'agisse des hôtels, et des moyens de transport pour les spectateurs, du logement et de la nourriture des athlètes, le Japon a déjà pris toutes les mesures nécessaires pour que ces questions soient étudiées à fond et que la solution adoptée convienne au mieux des intérêts de ceux qui viendront à Tokio en 1940.» Mais, pour le Journal, la date «semble bien lointaine encore. D'ici-là, que d'événements imprévisibles peuvent changer la face des choses. L'Europe ou l'Asie seront peut-être à feu et à sang. […] Les Japonais, n'ignorent certainement pas l'atmosphère capricieuse des jours : ils en font en ce moment la sanglante expérience et pourtant, malgré cette guerre qui suce tout leur sang, qui épuise leur trésor, ils préparent déjà dans la fièvre, avec ténacité, avec la volonté de réussir pleinement, leurs Jeux olympiques de 1940.»

L'Echo de Paris est affirmatif le 4 novembre 1937 : «Le prince Chichibu [fils de l'empereur Taisho, qui a régné de 1912 à 1926, frère d'Hirohito, ndlr] a déclaré aujourd'hui que les Jeux olympiques de 1940 se dérouleraient à Tokio comme prévu.» 


Quelques mois plus tard, le balancier de l'histoire repart du côté de l'annulation. «Le comité international olympique, qui regroupe 50 nations, se réunit au Caire, écrit le Figaro du 2 mars 1938. Il s'occupera spécialement de l'importante question du maintien des Jeux à Tokio.» 

 

Pour la Tribune de l'Aube du 16 mars, les JO auront bien lieu. Un homme au moins en est convaincu: le marcheur suisse Fritz Stenninger «se rend à pied, de Paris à Tokio, où il participera aux Jeux olympiques de 1940», lit-on dans la Tribune de l'Aube. Partant le 15 mars 1938, il a un an et demi pour parcourir quelque 10 000 kilomètres et être à pied d'œuvre à Tokio, le 21 septembre 1940, date prévue de l'ouverture des JO.

 

Confirmation de la nouvelle dans le Petit Journal du 19 mai 1938. «La commission exécutive du CIO a confirmé la décision prise au Caire sur la date des prochains Jeux olympiques qui se dérouleront à Tokio du 21 septembre au 8 octobre 1940.»

La farce s'achève en juillet 1938. «Le gouvernement japonais renonce officiellement à l'organisation des Jeux Olympiques», titre le Figaro du 16. Sur l'air du «je-vous-l'avais-bien-dit», son journaliste André Massard écrit: «Au risque de m'attirer les foudres nippones, je n'ai jamais cessé de dire que je ne pensais pas que les Jeux olympiques pourraient être organisés à Tokio en 1940. […] Aujourd'hui, la chose est confirmée officiellement. Déjà les candidatures de remplacement surgissent. L'Amérique – toujours gourmande – non contente d'avoir à New York une exposition internationale en 1939 déjà revendique pour l'année suivante la célébration de l'ouverture des prochains Jeux.» Elle ne les obtiendra pas pronostique le journal: trop loin, voyage trop onéreux. Helsinki ? interroge le journal : «Il est à présent trop tard pour effectuer les préparatifs indispensables, mais la candidature de la capitale finlandaise pour les JO de 1944 sera certainement maintenue. Il ne reste donc plus que Londres, qui semble ainsi avoir à tous égards, les plus grandes chances d'obtenir la désignation officielle.»


Contrairement au Figaro, Paris-Soir du 16 juillet n'enterre pas les chances d'Helsinki, favorite à ses yeux, face à Londres et New York (dont les chances paraissent infinitésimales puisque Los Angeles a organisé les Jeux en 1932).Le journal revient sur les raisons qui ont poussé le Japon à renoncer: «La nécessité absolue de consacrer toutes les ressources financières à la conduite des opérations militaires en Chine. […] De plus l'armée estimait dangereux de distraire les esprits en temps de guerre.» Repousser les Jeux d'un an, comme l'a décidé le CIO pour Tokyo 2020, aurait été historiquement absurde, mais également impossible au regard de la Charte olympique de l'époque. Qui spécifie, selon le journal: «Sous aucun prétexte les Jeux ne peuvent être ajournés à une autre année. Leur non-célébration cette année-là équivaut à la non-célébration de l'Olympiade et entraîne l'annulation des droits de la cité désignée et du pays auquel elle appartient. Ces droits ne peuvent en aucun cas être reportés sur l'Olympiade suivante.»


Suite de l'histoire. La Seconde Guerre mondiale a raison des Jeux olympiques de 1940. «Ils n'auront pas lieu à Helsinki ni ailleurs», titre le Petit Journal du 1er avril 1940. «17 pays sur 27 ont fait savoir qu'ils ne pouvaient, en raison de la guerre, prendre part aux épreuves.» Mis en sommeil durant tout le conflit, les JO ressusciteront à Londres en 1948, mais le Japon, pays vaincu, ne sera pas autorisé à y participer. Tokyo devra finalement attendre jusqu'en 1964 pour devenir la première ville asiatique à accueillir la grand-messe du sport mondial.