On ne le changera pas ! Franck Cammas a beau disputer sa première transat virtuelle depuis sa maison au milieu des champs du Morbihan, il est obnubilé par une chose, les premières places, et n'hésite donc pas à se lever au milieu de la nuit pour modifier les réglages de son multicoque virtuel. «Je fais tourner des routages météo comme quand je suis en mer. Si j'avais été en course pour de vrai, j'aurais pris l'option Sud beaucoup moins casse-gueule… mais comme là, on n'a aucun risque de chavirer, je suis parti au Nord allongé dans mon lit !» raconte, hilare, celui qui a quasiment tout gagné en solitaire en double et en équipage. Sur Virtual Regatta, ils sont plus de 100 000 à défier Cammas et les autres champions, qu'ils soient «voileux » du dimanche ou accrocs aux jeux en ligne n'ayant jamais mis les pieds sur un voilier…
Pilote automatique
On peut choisir sa classe de bateau, du monotype Figaro 3 de 9 mètres au trimaran géant de plus de 31 mètres, la couleur de la coque et des voiles, et s’offrir certaines options (payantes) afin de pouvoir confier son jouet au pilote automatique la nuit… Il se murmure aussi que nombre de concurrents s’isolent aux toilettes pour jouer peinard et échapper quelques instants au confinement, mais fichent la raclée aux meilleurs skippeurs pros ! Si Virtual Regatta connaît un succès planétaire, se calquant sur toutes les «vraies » courses comme le Vendée Globe, la Route du Rhum ou la Transat Jacques-Vabre, cette «Grande Evasion», entre La Rochelle et Curaçao au nord du Venezuela, a été inventée de toutes pièces durant cette crise sanitaire, puisque tous les événements nautiques sont évidemment annulés ou reportés sine die. Concepteur de jeux en ligne depuis près de vingt ans, Philippe Guigné a eu du nez. Lui-même régatier amateur, il s’est spécialisé dans la voile depuis la Route du Rhum 2006, s’entourant d’ingénieurs de haut vol, et surfant sur la montée du haut débit puis l’explosion des smartphones. Pour cette course «d’actualité», il a décidé, au vu des recettes du jeu, d’offrir 10 000 euros à l’Œuvre du marin breton, qui vient en aide aux gens de mer en difficulté.
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Alors que le chantier de Charal, le foiler à bord duquel il doit prendre en novembre le départ du Vendée Globe est à l'arrêt, Jérémie Beyou s'essaye aussi à la régate virtuelle… avec son fils de 16 ans. «Il connaît déjà le jeu et maîtrise les commandes, et moi je suis plus axé sur la partie stratégique. Plein de gens m'envoient des messages et me demandent si je suis bien le vrai Jérémie Beyou, s'amuse le champion, trois fois vainqueur de la célèbre Solitaire du Figaro. On échange sur la météo, je lui montre comment on fait un routage, mais on n'y passe pas non plus notre journée. Il y a des types beaucoup plus assidus qui font clairement des quarts de nuit. Et puis Achille est en première, il a aussi ses cours chaque jour sur le web.»
«T’as vite fait de perdre 50 places»
Armel Le Cléac'h, copain d'enfance de Beyou, découvre lui aussi le jeu. Le vainqueur du dernier Vendée Globe arme un trimaran Ultim presque semblable à celui qui est actuellement en construction. «Je fais un peu comme en bateau. Dès que le modèle météo arrive vers 8 heures, je charge les données, fais tourner quelques routages et vois un peu la route à suivre dans la journée. Je ne fais pas que ça car je suis bien occupé entre mes deux enfants et leurs devoirs, le télétravail, les tâches ménagères. La nuit, non je ne me lève pas. Il ne faut pas exagérer ! Il y a une fonction permettant de programmer sa route. Je rentre quelques waypoints pour que le bateau change de cap ou même vire de bord alors que je dors. Comme nous sommes 33 000 en Ultim, t'as vite fait de perdre 50 à 100 places dès qu'une option météo se dessine, mais je m'amuse bien.»
La Britannique Samantha Davies, elle, ne débute pas vraiment et a même déjà défié François Gabart avec Ruben, son fils de 8 ans lors d'une course virtuelle précédente. «Il nous suit régulièrement sur l'ordinateur quand nous sommes pour de vrai en course avec son père [Romain Attanasio, conjoint de Samantha Davies, ndlr]. C'est plus pour les images que pour le jeu ! Mais c'est aussi une façon de lui expliquer les courses, de lui montrer ce que nous faisons d'habitude, de partager de manière éducative. De fait, il se sent impliqué, surveille mon classement, et n'hésite pas à me dire : "Mais qu'est-ce que tu as foutu maman !" C'est sûr que dans la vraie vie, question de sens marin, je n'aurais pas pris l'option Nord, trop risquée pour le bateau… mais comme c'est du virtuel, tu peux tout te permettre !»