Même le Festival d'Avignon a jeté l'éponge, lundi soir, après l'allocution du chef de l'Etat étendant le confinement jusqu'au 11 mai et interdisant les rassemblements de masse jusqu'à la mi-juillet. La grande fête du théâtre était prévue du 3 au 23 juillet. Le Tour de France (fixé du 27 juin au 19 juillet) reste donc le dernier grand festival d'été, sportif ou culturel, à ne pas avoir annoncé son annulation face à la pandémie de coronavirus. L'Euro de football comme les Jeux olympiques de Tokyo ont signalé leur report d'un an. Les principaux raouts du cinéma ou de la musique ont toutes donné rendez-vous en 2021. Mais toujours pas le Tour, qui veut organiser sa 107e édition cette année. Coûte que coûte.
Amaury Sport Organisation (ASO), propriétaire de l'épreuve, pourrait décaler le départ de Nice au 29 août pour une arrivée sur les Champs-Elysées le 20 septembre, selon le Dauphiné libéré et France Télévisions. Les championnats de France, prévus une semaine avant le Tour, seront d'ailleurs placés le 23 août, indique à Ouest-France Michel Callot, président de la Fédération française de cyclisme. ASO n'a pas encore confirmé ni infirmé, mais, à tout le moins, cette hypothèse laisse aux différents acteurs du cyclisme et aux autorités sanitaires le temps de se préparer au montage d'un événement qui accueille dix millions de spectateurs chaque année… en temps normal.
Inquiétudes sur l’équité sportive
Une précédente hypothèse prévoyant un départ le 25 juillet, soit avec un mois de décalage seulement, avait suscité les doutes de Cédric Vasseur, manager de l'équipe Cofidis, interrogé par France Inter mardi matin : «C'était déjà mort avant le discours du Président, pour la simple et bonne raison qu'il faut un vrai calendrier de compétition avant de s'élancer pour le Tour de France, qui est l'épreuve la plus difficile. […] Si Tour de France il doit y avoir, il est complètement inimaginable [qu'il ait lieu] avant le 15 août.»
Ce scepticisme faisait écho aux propos de Frédéric Grappe, entraîneur de la Groupama-FDJ, qui mettait déjà en garde le 18 mars dans les colonnes de l'Equipe : «Un cycle de travail pour retrouver un minimum de compétitivité, c'est quatre semaines. Il faut au moins ça pour revenir à un niveau d'égalité cohérent entre les coureurs.» D'autres équipes s'alarment du fait que les contrôles antidopage sont suspendus pendant la durée de la pandémie, laissant craindre que des tricheurs puissent se préparer à domicile en toute quiétude. Un manager d'équipe contacté par Libération fait peu de cas de ces atermoiements : «Les critiques sont déplacées. Peu importe la nature sportive de ce Tour de France. On sait tous qu'il s'agit d'une année exceptionnelle et, dans tous les cas, ce sera un beau Tour de France. L'essentiel, c'est qu'il ait lieu.»
Pressions économiques
La décision du maintien du Tour en 2020, mais à de nouvelles dates, répond à une pression des actionnaires d’ASO, qui avaient réussi l’exploit de mener à bien Paris-Nice juste avant l’instauration du confinement (8 au 14 mars). Mais la pression est au moins toute aussi forte du côté de l’industrie du tourisme, relayée par les élus locaux, alors que chaque étape génère environ 4 500 nuitées. Sans compter les équipes participantes, dont la survie financière dépend très majoritairement de l’exposition médiatique du Tour. Plusieurs écuries ont annoncé avoir baissé le salaire de leurs coureurs. Pour sa part, le sponsor belge Deceuninck envisage de cesser son soutien à Julian Alaphilippe et aux autres membres de l’équipe Quick Step pendant leurs semaines sans compétition.
Pas de huis clos
Le refus d’annuler le Tour de France illustre le conflit entre les impératifs sanitaires et économiques. Les organisateurs travaillent à des mesures visant à protéger la santé des coureurs, sur le modèle de ce qu’ils avaient entrepris à Paris-Nice : pas de proximité avec le public, contacts réduits avec les journalistes, suppression des hôtesses sur le podium, pas de manipulation collective d’objet (le stylo servant à signer la feuille d’émargement), etc. En cas de maintien cet été, la question de tests de dépistage réguliers parmi les cyclistes et les suiveurs se pose de manière aiguë.
Seule certitude pour l'instant, en attendant que l'organisateur livre ses dates, l'épreuve ne se déroulera «pas à huis clos», comme l'a assuré Christian Prudhomme le 1er avril dans le quotidien la Montagne. Le directeur du Tour a coupé court à cette éventualité, un temps soupesée par ASO lui-même mais rejetée par de nombreux élus locaux. «Le Tour de France, c'est la ferveur, c'est l'enthousiasme, ce sont les sourires, surtout», s'enflamme Prudhomme.