Chaque semaine avec RetroNews, le site de presse de la BNF, retour sur une histoire de sports telle que l'a racontée la presse de l'époque. Ce samedi, le récit du premier saut en parachute féminin, en octobre 1799.
Pas facile, pour un homme et une femme en 1799, de s'envoyer en l'air. Au sens propre du terme. André-Jacques Garnerin et une jeune citoyenne le constatent. Pas question pour le «bureau central», la police parisienne, d'autoriser deux personnes de sexe opposé à atteindre conjointement le premier ciel à bord d'un ballon. Peu importe la réputation d'André-Jacques Garnerin. Il est «l'aérostier des fêtes publiques», celui qui offre aux chalands un moment d'excitation teintée de trouille en leur proposant un petit tour en montgolfière. Il est aussi, et surtout, le premier homme à avoir effectué un saut en parachute de l'histoire. C'était le 22 octobre 1797 (1er Brumaire, an VI du calendrier républicain) au-dessus du parc Monceau (à Paris).
Garnerin se révèle aussi opiniâtre que casse-cou. Il conteste la décision policière et obtient gain de cause, comme l'expose la Chronique universelle du 15 juin 1798. «Le citoyen Garnerin annonce que la défense qui lui avait été faite de s'élever dans les airs, avec une personne d'un autre sexe, vient d'être levée par le département de la Seine […]. La lettre de l'administration centrale au citoyen Garnerin est ainsi conçue : "Citoyen, d'après la réclamation que vous avez adressée contre l'arrêté du bureau central, qui vous défend de voyager dans un aérostat avec une jeune citoyenne, nous avons consulté le ministre de l'Intérieur et celui de la police générale, qui tous les deux sont d'un avis conforme au nôtre, et pensent qu'il n'y a pas plus de scandale à voir deux personnes de sexe différent s'élever ensemble dans l'air, qu'à les voir monter dans une même voiture, et que d'ailleurs on ne peut empêcher une femme majeure de faire à cet égard ce que l'on permet aux hommes, et de donner en s'élevant dans les airs une preuve à la fois de confiance dans les procédés et d'intrépidité […]."» Garnerin explique au journal que lors du vol, il ne sera pas seulement accompagné d'une jeune citoyenne «d'une joie extrême de voir approcher le jour du voyage», mais également d'animaux, qui seront largués accrochés à un parachute.
«Les grandes expériences aérostatiques se poursuivent, écrit la Gazette du 7 novembre 1798, et les femmes n'ayant à cet égard plus besoin des hommes, vont faire seules des observations dont elles ne s'étaient point avisées jusqu'à ce jour.» Les prochaines audacieuses sont les citoyennes Henry et Labrosse, «élèves en aérostation du citoyen Garnerin». «Elles feront un voyage aérien, à ballon perdu, le 20 de ce mois, au jardin d'Apollon […]. Elles feront des observations météorologiques et diverses expériences intéressantes ; lorsqu'elles auront atteint une élévation de 300 toises [soit environ 600 mètres, une toise équivalant à 1,949 mètre, ndlr] elles lanceront un parachute à la Garnerin.»
Suite à ce premier vol exclusivement féminin, la Chronique universelle du 17 novembre 1798 propose le «rapport des citoyennes Henry et Labrosse sur leur voyage aérien». «Nous ne répéterons point ici ce que les premiers navigateurs aériens ont décrit des sensations ravissantes que l'on goûte en quittant le sol terrestre, et de l'extase qu'inspirent la beauté et la grandeur du tableau de la nature, racontent les intrépides. Nous dirons que nous en étions pénétrées, que nous nous y livrâmes entièrement, jusqu'à ce qu'un froid très vif nous réveilla de notre distraction. Alors, nous agitâmes l'étendard tricolore, toujours signal de triomphe et de victoire ! La citoyenne Labrosse écrivit un billet contenant ces mots : "Notre sort est agréable, nous sommes sans crainte et sans inquiétude." Nous l'attachâmes au col d'une tourterelle que nous enfermâmes dans une cage et nous la fîmes descendre avec un parachute que nous avions construit, d'après la méthode du citoyen Garnerin ; notre message est arrivé à bon port.»
A lire aussi Tous les articles de la rubrique Rétrosports
On n'arrête pas Jeanne Labrosse. Le Courrier des spectacles du 30 septembre 1799, annonce une «expérience extraordinaire». «Aujourd'hui, descente en parachute de la citoyenne Labrosse (entre 2 et 4 heures). Elle s'élèvera jusqu'à 1 200 mètres : de cette hauteur immense elle se séparera de son aérostat, et redescendra à terre.»
Ce n'est finalement que le 13 octobre 1799 que Jeanne Labrosse devient la première femme à effectuer un saut en parachute. Son mentor, André-Jacques Garnerin, confesse à l'Ami des lois du lendemain l'émotion que lui a procuré cet exploit. «Hier, l'expérience de l'ascension à ballon perdu et de la descente en parachute de la citoyenne Labrosse, a eu un succès complet ; je n'ai jamais rien vu de si imposant. Le courage, l'adresse et la présence d'esprit de cette aimable et intéressante personne, n'ont point d'égal. Je m'honorerai toujours d'avoir formé une élève dont le début dans mon art fera époque dans l'histoire du siècle.» D'autant que l'on comprend que la tentative a fait l'objet d'une sérieuse polémique : «Son triomphe l'immortalise, poursuit Garnerin, il confond la méchanceté, écrase le serpent qui dicta contre elle le pamphlet abominable dont on vient d'inonder Paris. Jamais le monstre de la calomnie n'exerça sa rage avec autant de fureur et d'audace ; sûrement que les magistrats du peuple croiront de leur dignité d'en faire rechercher et punir les auteurs.» On divulgâche : Jeanne-Geneviève Labrosse et André-Jacques Garnerin se marieront un peu plus tard.
A lire aussi Maryse Bastié, une carrière et une vie de très haut vol ; 1915-1935 : Alice Milliat, militante du sport féminin ; Virginie Hériot, vie et mort de «Madame de la mer».
La suite de l'histoire appartient surtout à Garnerin qui multiplie les exploits à bord de montgolfières. En octobre 1803, il effectue le premier voyage aérien de longue distance, 300 kilomètres entre Moscou et Polova en Russie. Quatre ans plus tard, en novembre 1807, il décolle de Paris et vole au milieu des orages avant de s'échouer sept heures plus tard et 395 kilomètres plus loin dans une forêt allemande. Le ballon a fait la gloire d'André-Jacques Garnerin, il provoquera sa mort, de la plus bête des manières, à 54 ans, le 18 août 1823 à Paris. Sur le chantier d'un nouveau prototype de ballon, il est tué par la chute d'une poutre. Jeanne-Geneviève Labrosse, sa veuve, lui survit vingt-quatre ans et s'éteint en 1847 à 72 ans.