Le football reprend ce week-end en Allemagne. On en aurait presque oublié que des joueurs tapaient dans un ballon. La Bundesliga est la première compétition de foot européenne à rechausser les crampons depuis la mise à l'arrêt des championnats. Entraînements adaptés, hôtels éloignés, effectif à l'isolement, matchs à huis clos, tacles interdits à l'entraînement en Premier League… L'ambiance du foot d'après change radicalement. On pourrait imaginer les supporteurs les plus fervents avoir hâte de revoir des ballons rentrer dans des filets et nourrir des conversations par des images plus fraîches. Mardi, pourtant, quelque 370 groupes ultras et supporteurs de 150 clubs européens (Italie, Espagne, France, Allemagne, Portugal, Belgique, Bulgarie…), à l'initiative de la scène italienne, ont publié un communiqué pour faire pression sur les instances européennes afin que les compétitions ne reprennent pas (1). Un texte, par sa nature comme par l'ampleur du nombre de signataires, unique dans l'histoire des mouvements de supporteurs. «C'est la première fois que cela arrive en Europe, notamment à cette échelle. Des groupes ultras rivaux ont mis de côté leurs inimitiés pour défendre des valeurs communes afin d'engager un bras de fer avec l'UEFA et les ligues nationales», analyse Sébastien Louis, historien et auteur du livre Ultras, les autres protagonistes du football.
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Le public, «moteur» du foot
«Les gouvernements ont confiné les pays et tout a été arrêté, rappelle le communiqué. Protéger la plus précieuse des choses que nous avons est devenue une exigence : la santé publique est le principal et unique objectif de chacun. Par conséquent, nous pensons qu'arrêter totalement le football en Europe est la chose la plus raisonnable qui soit.» Pour ces centaines de groupes, à grande majorité ultras, les raisons d'une reprise avant l'automne seraient surtout liées à des «intérêts économiques» : «Une fois encore, la suprématie de l'argent pèse plus que les valeurs humaines. […] Les clubs sportifs devraient comprendre que c'est la passion qui rassemble des milliers de personnes entre elles, et ils devraient juste arrêter d'écouter les loups du business. Ils devraient se rappeler que cette passion qui entoure le foot n'est pas du folklore mais son essence : le public et les supporteurs sont le moteur du "sport populaire" par définition.»
«Quand ils parlent de sport populaire, les groupes signataire ne sont pas dupes, analyse Sébastien Louis. C'est leur présence, notamment, qui donne une légitimité "populaire" alors que le foot ne l'est plus.» Ces centaines de groupes de supporteurs, parmi lesquels figurent aussi des groupes ultras de basket italiens, terminent leur communiqué par un appel clair et ferme : «Nous demandons avec insistance à l'UEFA et aux ligues nationales de poursuivre l'arrêt des compétitions de foot jusqu'à ce que remplir les stades redevienne une habitude sans risques pour la santé publique.»
Signé notamment par les South Winners de Marseille, les Red Tigers de Lens ou encore les Ultramarines Bordeaux, ce communiqué à l'échelle continentale intervient un mois après celui des groupes de supporteurs français, fustigeant également la reprise du football professionnel au nom des impératifs financiers. Depuis, la Ligue 1 a été arrêtée sur ordre du gouvernement, l'un des rares avec les Pays-Bas à avoir pris une telle décision. Non sans créer de remous, notamment juridiques et économiques.
Des cas de Covid-19 parmi les joueurs
L'actualité semble en revanche donner raison aux ultras. En Allemagne, des joueurs du Dynamo Dresde ont été testés positifs au Covid-19. Par conséquent, l'équipe est placée en quatorzaine et ne pourra reprendre ce week-end. Le calendrier se complique encore un peu plus, surtout que la saison de Bundesliga doit se terminer le 30 juin, selon Christian Seifert, le patron de la Ligue allemande.
En Italie, des joueurs du Torino, de la Fiorentina et de la Sampdoria ont eux aussi été testés positifs. Le comité scientifique transalpin s'interroge par ailleurs sur un éventuel manque de tests dans les régions les plus touchées, comme la Lombardie, entravant ainsi le protocole déterminé par la ligue de foot italienne. «Le foot est à nu, la crise a montré ses failles, explique l'historien Sébastien Louis. Est-ce qu'il peut reprendre comme avant ? Ce communiqué illustre le fait qu'il peut y avoir une cassure.» Le football, une nouvelle fois miroir de la société.
(1) Liste des signataires du texte des groupes ultras: https://www.facebook.com/curvanord12palermo/photos/pcb.3991522127555627/3991515330889640/?type=3&theater