Demain, un sport sans supporteurs ? La reprise à huis clos de la Bundesliga ce week-end fait redouter la pérennisation d’un spectacle sportif sans public et prioritairement télévisé, dans la lignée d’une tendance à l’aseptisation des tribunes ces dernières années. Responsable des études économiques du Centre de droit et d’économie du sport de Limoges, Christophe Lepetit estime à l’inverse que les supporteurs restent des acteurs indispensables dans l’économie du sport.
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Quelle part représente aujourd’hui la vente de billets dans les revenus des clubs sportifs ?
C’est extrêmement variable, d’une discipline à une autre et d’un club à un autre. En France, pour le foot professionnel, les «recettes jour de match» (dont la billetterie) représentent environ 10 % des recettes des clubs. En Bundesliga, elles sont aux alentours de 13 %. Elles sont en croissance (plus de 500 millions d’euros de revenus sur la dernière saison close), mais leur part dans le total diminue car d’autres revenus, notamment les droits télé, augmentent plus vite. Mais le foot professionnel est le modèle qui a été poussé à l’extrême, passé d’une économie réelle à une économie adossée aux droits télé. D’autres disciplines reposent de façon plus évidente sur la billetterie, notamment les sports de salle comme le basket, le handball ou le volley.
Ces vingt dernières années, on a observé une tendance à la gentrification et au remplacement des supporteurs par des spectateurs dans les grands championnats de football européen. Est-ce que se débarrasser complètement du public ne serait pas l’aboutissement de cette tendance ?
C’était effectivement une tendance de ces dix dernières années parce que les clubs voulaient développer leur économie en transformant les stades et en multipliant les «places à prestation», notamment les salons et les loges, qui génèrent plus de revenus. Beaucoup moins de place avait été donnée aux ultras, à la fois dans le stade et dans la vie des clubs. C’est moins vrai ces derniers temps : l’ultra récupère sa place. En France, avec le dispositif des tribunes debout par exemple, comme ailleurs.
Ce qui se passe aujourd'hui, en revanche, un football sans spectateurs, c'est extrême. Pour faire un produit de qualité, il faut des grands joueurs, de belles infrastructures et un spectacle qui est mis en valeur. L'ambiance contribue très fortement à cette mise en valeur. Jouer sans supporteurs et spectateurs, c'est dégrader la valeur économique du produit. On a tous en tête les images de PSG-Dortmund : le spectacle était moins dans le stade qu'à l'extérieur. Ce qui a marqué les gens, ce sont plutôt les scènes de liesse - avec tout ce qu'on peut leur reprocher aujourd'hui avec le recul - que le match en lui-même. Un match sans public, c'est un produit qualitativement dégradé. Si ça devait s'installer dans la durée, ce serait plus difficile à vendre, donc économiquement moins intéressant.
Mais le fait que des championnats comme la Bundesliga reprennent ne signifie-t-il pas que le public n’est finalement qu’un paramètre négligeable ?
En reprenant, la Bundesliga va limiter la casse économique liée au coronavirus en captant les recettes des droits télé. Mais je ne suis pas certain que la solution du huis-clos soit une solution de long terme, ni même qu’elle soit très viable. Notamment pour ces championnats qui reposent sur des recettes assez diversifiées, pas que sur les droits télé. Un spectacle sportif uniquement télévisé ne peut pas être une tendance de fond, ou alors il faudra trouver une façon de transformer ces grandes enceintes sportives pour les rendre chaleureuses. On peut toujours trouver des subterfuges, comme ces start-up qui inventent des figurines à votre effigie, que vous pouvez acheter pour qu’elles soient installées à votre place. Ou créer une bande-son de supporteurs, comme dans une sitcom américaine dans laquelle on entend les rires et les applaudissements grotesques de faux téléspectateurs. Je ne suis pas persuadé que ce soit envisagé. Je pense plutôt que tout le monde souhaite retrouver rapidement le public dans les stades.
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A l’inverse, est-ce que cela peut conduire le sport à se rendre compte que les supporteurs sont indispensables ?
Oui, d’une part ça va pousser à souligner le rôle des spectateurs dans le spectacle sportif, ils en sont à la fois des payeurs et des acteurs. Et ça va montrer aussi qu’économiquement, cela a vraiment un sens, y compris pour des clubs de foot télédépendants. Si vous enlevez 10 % des recettes du football français par exemple avec le huis-clos, il va bien falloir aller chercher 200 millions d’euros pour compenser quelque part.