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Pour les parents c'est sportif aussi

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L'influence supposée de la mère d'Adrien Rabiot sur son fils illustre l'investissement demandé aux parents d'enfants futurs champions.
Véronique Rabiot, mère et agente de son fils Adrien, le 8 juin 2015 au Parc des Princes. (FRANCK FIFE/Photo FRANCK FIFE. AFP)
publié le 17 mai 2020 à 13h54

Seghir Lazri travaille sur le thème de la vulnérabilité sociale des athlètes. Dans cette chronique, il passe quelques clichés du sport au crible des sciences sociales. Comment le social explique le sport, et inversement.

Le cas du joueur français de la Juventus Adrien Rabiot a fait beaucoup réagir cette semaine. En cause, la prétendue «grève personnelle» du footballeur qui aurait refusé de reprendre l’entraînement, obéissant à sa mère et agent, Véronique Rabiot. Au-delà de la polémique sur la supposée emprise de la mère sur la carrière de son fils, le cas Rabiot nous invite à nous intéresser plus globalement au rôle et la nature de l’investissement des parents dans la carrière d’un athlète.

De la socialisation sportive

Les premiers éléments de recherche sur le sujet mettent en lumière l’importance du rôle des parents quant aux choix de l’activité sportive de l’enfant. En effet, comme nous le renseignent les travaux des sociologues Lucie Forté et Christine Mennesson, les parents jouent un rôle essentiel dans la transmission des goûts artistiques et sportifs et sont en ce sens des acteurs importants dans le processus de socialisation de l’enfant avec une activité. Ils lèguent à la fois un héritage technique (disposition corporelle, règles), mais aussi idéologique (dépassement de soi, recherche de la victoire, etc.), ce qui représente des atouts considérables pour mener une carrière sportive, puisque selon les données des deux sociologues, environ 70 % des athlètes de haut niveau ont des parents ayant eux-mêmes pratiqué une activité sportive.

De plus le passé sportif des parents influe énormément sur la période d’entrée dans une pratique sportive, tout autant que sur le choix même de la discipline, puisque celle-ci varie en fonction du capital sportif, mais aussi social. Par ailleurs, si l’environnement sportif d’origine joue un rôle clé, le lien parental en lui-même est d’une importance notable. Pour de nombreux psychologues du sport, le soutien affectif et émotionnel est décisif lors des premières années d’apprentissage et de formation, notamment parce que les jeunes enfants ou adolescents sont potentiellement engagés dans deux carrières distinctes et concurrentielles, à savoir une carrière sportive et une carrière scolaire.

Ce double engagement, comme le note l'équipe réunie autour du psychologue du sport Paul Wylleman, cristallise d'autant plus l'investissement des parents, qui doivent «jouer un rôle proactif en fournissant du soutien, sans presser ou pousser l'athlète», l'essentiel étant que ce dernier puisse entreprendre sereinement son activité sportive sans pour autant compromettre son parcours scolaire, pouvant servir de voie d'issue en cas déconvenue. Les parents tiennent donc une place essentielle dans la carrière d'un champion, ils l'orientent vers une pratique en lui transmettant un héritage, mais participent aussi activement à celle-ci en assurant une protection et une reconnaissance au champion en devenir.

Le poids des structures sportives

Impliqués dans l’initiation sportive de l’enfant, les parents le sont encore plus lorsque ce dernier s’engage plus intensément dans le sport, passant de l’initiation à la formation. Cet investissement des parents, avant tout affectif et relationnel, peut revêtir une dimension beaucoup plus matérielle et sociale, en particulier dans le monde du sport professionnel. La recherche permanente et surtout de plus en plus précoce de jeunes talents, notamment dans les sports professionnels comme le football, conduit les parents à être davantage sollicités par divers acteurs du monde du sport, ce qui  les pousse à s’investir beaucoup sur le plan sportif, mais aussi managérial (étudier les offres, scruter les orientations, etc.). Ne serait-ce que pour protéger l’enfant et lui garantir le plus de chances possible.

Autre exemple, le système de protection des jeunes joueurs, qui interdit à joueur de moins de 14 ans de s’engager dans un club à plus de 50 km du domicile familial, peut entraîner un bouleversement du cadre de vie des parents et de la famille. Il n’est pas rare en effet qu’un club offre un domicile et un emploi aux parents afin d’attirer le jeune sportif. Le rythme de vie de la famille dans sa globalité se retrouve ainsi soumis aux performances du jeune champion. Par la suite, l’étape de la consécration sportive pousse les parents à s’investir davantage dans la carrière de l’athlète, notamment dans sa dimension financière et gestionnaire.

Pour la sociologue anglo-saxonne Jane O’Connor il se passe dans le sport la même chose que dans un autre univers de la performance, le cinéma américain, dont le domaine juridique s’est tellement complexifié au fil des années que de nombreux parents d’enfant-comédien ont dû endosser le rôle d’agent pour faire valoir leurs intérêts face aux grandes institutions. Les parents de jeunes athlètes faisant face à un nombre croissant d’acteurs autour de ces derniers vont se munir de ressources (diplômes, etc.) ou adopter de nouveaux statuts (agent, gestionnaire d’image, etc.) pour les défendre et les protéger.

La dimension familiale, plus particulièrement parentale, est fondamentale dans la carrière d’un athlète. Elle est à l’origine de son engagement dans une pratique aussi bien que de son maintien et de sa consécration. Dès lors, la forte exposition médiatique de certains champions a parfois tendance à éclipser cela, voire à discréditer le rôle des parents (perçus alors comme des profiteurs). Concernant le cas de Véronique Rabiot, les jugements de valeur portés à son encontre ne seraient-ils pas au fond le résultat d’une représentation viriliste dominante dans le monde du football ? Car comme le soulignent Lucie Forté et Christine Mennesson, il y a un «parent clé» dans la transmission de la vocation sportive, qui varie notamment en fonction de la représentation genrée du sport. Ainsi «les pères» jouent un rôle central dans la socialisation au football d’un enfant, contrairement à la mère, dont la légitimité à s’occuper de la carrière de son enfant peut ainsi être remise en cause.

sociosports@libe.fr