Seghir Lazri travaille sur le thème de la vulnérabilité sociale des athlètes. Dans cette chronique, il passe quelques clichés du sport au crible des sciences sociales. Comment le social explique le sport, et inversement.
Si, durant ce confinement, on s'est beaucoup interrogé sur les pertes financières du monde sportif et notamment de son élite, la question des indépendants et des éducateurs qui font vivre ce secteur à une échelle plus petite semble avoir été peu traitée. Et c'est sur ce thème que Flavien Bouttet, maître de conférences en sociologie du sport à l'université de Lorraine, a publié deux articles sur son blog universitaire, à la suite d'une enquête qu'il a mené auprès de cette population. Il revient ici, sur l'impact de la crise sur la profession.
Pourquoi avoir mené cette étude ?
Ce travail s'inscrit dans ma thématique de recherche sur le développement de l'activité physique adaptée, notamment par le biais de politiques de sport santé. Dans la région Grand-Est, mon terrain de recherche, de nombreux dispositifs s'inscrivant dans ces politiques de sport et santé ont pour particularité de labelliser et valoriser de nombreux indépendants et autoentrepreneurs du sport. Or peu de temps avant le confinement, j'avais entamé une série d'entretiens avec différents acteurs de ces dispositifs, et particulièrement une micro-entreprise qui venait tout juste de se monter. Avec l'arrêt de l'activité qui a suivi, je me suis logiquement interrogé sur le devenir de cette jeune entreprise, mais aussi plus globalement sur celui d'autres indépendants, du secteur, puisqu'il est vrai aussi que tous ces dispositifs sont très récents. Par ailleurs, une étude menée par Cécile Collinet, Guillaume Routier et Eric Boutroy venait de sortir, dans la revue Sociologie, sur la précarité des éducateurs sportifs à temps partiel. J'ai alors pensé qu'il était intéressant d'essayer d'approfondir ce sujet, étant donné que l'on constate de plus en plus d'indépendants, et donc de risques de précarité, dans le secteur de l'activité sportive.
Comment ont été accueillies les déclarations du gouvernement ? Les garanties sont-elles apparues suffisantes pour ces travailleurs ?
Même s’il y avait quelques inquiétudes au début du confinement, il semble que les mesures d’aide annoncées ont été bien reçues et ont permis à de nombreux indépendants de faire face à leur baisse d’activité. Certains ont même parfois gagné plus d’argent (avec le jeu des indexations) ; les 1 500 euros de plafond maximum ont rendu service à de nombreux travailleurs. Néanmoins, le sentiment d’incertitude demeure. Le calendrier de reprise n’étant pas certain, beaucoup se demandent si ces aides vont durer et être suffisantes, et particulièrement ceux qui ne sont pas employés à long terme par une structure associative. Même s’ils peuvent compter sur une forme de solidarité de la part de leurs clients, puisque dans certains cas, ces derniers continuent à payer leur abonnement, beaucoup de ces micro-entrepreneurs ont des loyers et aucune mesure n’a été prise sur ce plan-là. Enfin pour ce qui est du report des charges, cela ne fait en réalité que décaler le problème, il faudra bien payer à un moment donné.
En ces temps de crise sanitaire, la diversité des situations reflète-t-elle de plus grandes inégalités au sein de cette catégorie de travailleurs ?
Il est vrai qu'en fonction du degré d'indépendance (si les travailleurs sont plus ou moins rattachés à une structure stable), mais aussi de la pratique, les inquiétudes ne sont pas les mêmes. En effet, avec l'ensemble des précautions sanitaires en vigueur, il existe une véritable appréhension quant à la reprise et à un possible transfert des pratiquants, des sports collectifs vers les sports individuels. Ce qui pousse beaucoup d'éducateurs à s'engager davantage et à maintenir le lien avec les adhérents. Mais cet engagement est bien différent entre les professionnels eux-mêmes. Pour ceux travaillant pour une association (dont les abonnements sont souvent payés en début d'années), l'essentiel de leur travail durant cet arrêt, sera de maintenir le lien avec les pratiquants, en leur proposant des challenges, des exercices… On assiste ici à une forme d'engagement qui va bien au-delà de l'activité rémunératrice, et l'éducateur sportif peut être vu comme «un salarié déguisé» pour reprendre une notion développée par la sociologue du travail, Sarah Abdelnour. Tandis que pour d'autres, qui sont plus indépendants, au sens où ils dépendent de plusieurs structures et sont rémunérés au gré des prestations, l'enjeu se veut plus important, puisqu'il sera question de conserver le lien marchand, à tout prix. Ils vont donc redoubler d'efforts et d'inventivité pour garder leurs clients, quitte à faire des sacrifices, comme baisser drastiquement le prix des séances par visioconférence et parfois perdre de l'argent. En somme les conditions d'emploi qui favorisent plus ou moins l'engagement bénévole, jouent aussi énormément sur la fragilité économique et sociale de cette catégorie de travailleurs.
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Comment ces acteurs du monde sportif conçoivent-ils le déconfinement et le retour à la normale ?
On peut tout d’abord dire que cette période assez particulière a poussé certains à adopter des nouvelles méthodes de travail, notamment par le biais d’outils numériques, qu’ils ne vont pas nécessairement abandonner. Pour quelques-unes de personnes interrogées, cette période de confinement a été aussi un moyen de se renouveler et de se former davantage. Mais les nombreuses incertitudes sur les dates et les conditions de reprises génèrent quelques craintes. L’inquiétude est plus grande chez les professionnels qui ont des contrats de courte durée avec plusieurs partenaires, et pour cause, le besoin de renouveler les adhésions et les séances est crucial dans la poursuite de leurs activités. Cette catégorie est plus fragile quant aux effets à plus ou moins long terme des mesures de restrictions. Ceux travaillant de manière plus régulière et longue avec des associations, apparaissent beaucoup plus confiants. Il y a certes une perte de revenus liée, par exemple, à la suppression de stages estivaux (notamment dans les disciplines comme le tennis), mais globalement, ils peuvent compter sur les associations avec lesquelles ils travaillent. Dès lors, en ces temps de crise, les structures associatives apportent une forme de sérénité aux autoentrepreneurs du domaine sportif. Et cela est d’autant plus important, que beaucoup d’entre eux malgré leur engagement permanent, témoignent aussi d’une forme d’incompréhension concernant les prises de décisions politiques.