Chaque semaine avec RetroNews, le site de presse de la BNF, retour sur une histoire de sports telle que l’a racontée la presse de l’époque. Ce samedi, Marguerite Broquedis, balayée par la tornade Suzanne Lenglen puis que la guerre de 1914, dont elle sort moralement détruite, précipita dans l’oubli.
Question superbanco. Quelle est la première championne olympique française (Jeux d’hiver ou d’été, toutes disciplines confondues). Un indice ? C’était en 1912 à Stockholm. Un autre ? Elle domina sa discipline dans les années 1910. Un dernier ? Ladite discipline se joue avec une raquette. C’est… c’est… c’est… Suzanne Lenglen, trop fastoche. Eh non ! Il s’agit de Marguerite Broquedis. Outre cette médaille d’or, elle remportait en 1913 et 1914 ce qui allait devenir les Internationaux de France. Voilà pour les lignes principales du palmarès de celle qui fut la meilleure joueuse de son époque et immensément populaire. Qui la connaît ? Du tennis féminin de cette époque, on n’a retenu que Suzanne Lenglen. A laquelle Broquedis infligea sa seule défaite en finale d’un tournoi, à Paris en 1914. Alors que dans un monde sans Covid-19, Roland-Garros battrait actuellement son plein, il est plus que temps de rendre hommage à cette grande oubliée de l’histoire du sport.
Marguerite Broquedis n'est pas née dans le tennis, mais juste à côté. Dans le jeu de paume. Son enfance paloise comme celle de ses deux frères se déroule dans la salle de ce sport dont leur père est «maître». La fillette montre de belles dispositions qui se manifesteront plus tard dans ce qu'on appelle encore le lawn-tennis, quand la famille s'installe à Paris. Elle devient rapidement une vedette d'un sport dont Femina, du 1er août 1910, loue la déclinaison féminine. «Jadis, les tennisseuses étaient des partenaires peu redoutées et c'était une pratique peu galante assurément, mais d'un succès certain, de leur adresser des coups difficiles […] Aujourd'hui, elles ont acquis la souplesse, la vigueur, la sûreté de vision et de jugé qui les mettent à l'abri des petites traîtrises masculines.»
Dans un sport alors très bourgeois, dont les compétitions se disputent dans les très beaux quartiers ou les stations normandes prisées de «ceux de la haute», Marguerite Broquedis enchaîne les bons résultats que ce soit au tournoi de Neuilly en 1910 ou à celui de Dieppe en 1911.
En juin 1912, Marguerite Broquedis remporte le titre de championne du monde sur les courts du Stade Français, à Saint-Cloud. «Melle Broquedis avait à soutenir l'honneur français, assez mal engagé dans ces championnats, contre Melle Rieck, venue d'Allemagne, écrit le Matin du 10 juin. Melle Broquedis, fut pour ainsi dire, l'ange gardien de cet honneur», jusque-là foulé aux pieds par les Allemands chez les hommes. Et puis «une femme survint et la France eut une victoire au championnat du monde de tennis, s'émeut, dans le même registre, l'Ouest-Eclair du 12 juin. Dans la finale dames, l'amour-propre national a eu quelque baume. Melle Broquedis a été pour la circonstance la douce infirmière de sa cuisante blessure. Avec une souplesse et une adresse qui emballèrent l'assistance, elle a triomphé de sa rivale, Melle Rieck – encore une Allemande – et cette victoire, la seule que notre pays ait remportée au championnat du monde de tennis, est la revanche du féminisme sur le sexe fort… ou prétendu tel.»
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Quelques semaines plus tard, Marguerite Broquedis est la seule femme parmi la délégation de 112 athlètes présents à Stockholm pour les JO. Curieusement, la presse est plutôt discrète sur le premier titre olympique du sport féminin français. Peut-être parce que, comme le note perfidement le Journal du 6 juillet, «ces Jeux ne sont d'ailleurs pas toujours exclusivement olympiques. Et il est certain que le lawn-tennis, le tir à la carabine et au revolver ne sont que très faiblement renouvelés des Grecs». Néanmoins, note le journal, «Melle Broquedis est certainement à l'heure actuelle la meilleure joueuse du monde». Le même jour, le Petit Journal s'étonne presque : «Une Française aux Jeux olympiques», titre-t-il au-dessus d'une photo de la joueuse, très élégante avec son chapeau cloche façon Coco Chanel. De Stockholm, Broquedis rapporte également la médaille de bronze du double mixte.
En novembre 1912, «l'invincible» Marguerite Broquedis, comme la qualifie l'Excelsior du 4, ajoute deux nouveaux titres «à sa longue collection» en remportant le simple et le double mixte au tournoi du Tennis Club de Paris.
«Melle Broquedis est décidément imbattable», commente l'Excelsior du 30 mai 1913, pour rendre compte de sa victoire aux championnats de France (en fait les Internationaux de France, qui deviendront Roland-Garros une quinzaine d'années plus tard). Photo à l'appui de la joueuse en train de frapper un coup droit, son point fort.
Dans la Vie au grand air du 15 novembre 1913, Marguerite Broquedis, se confronte avec brio à un exercice périlleux. Définir et expliquer, ce qui reste une gageure aujourd'hui, le «style» d'un joueur ou d'une joueuse de tennis. Un mélange de grâce, d'élégance, de subtilité, de simplicité, de pureté, d'intelligence qui traduit la compréhension du jeu. «Le style reflète le tempérament du sujet, de son goût de sa personnalité. Un beau style est toujours intéressant au regard du technicien qui connaît toutes les difficultés, toutes les surprises que réserve le tennis ; il séduit le spectateur profane, rarement insensible à la grâce simple, précise et savamment calculée des mouvements.» Whaou. Et ce n'est pas fini : «On peut dire aussi que le style, s'il prétend à la réelle beauté, doit se suffire d'une grande sobriété de mouvement par la mise en œuvre des seuls efforts strictement utiles, et que tout ce qui est geste de fantaisie est à la fois une erreur de goût et souvent le témoignage d'une connaissance imparfaite de la technique du jeu.» Roger Federer, sors de cette plume.
En 1914, Marguerite Broquedis conserve son titre aux Internationaux de France. Elle n'a que 21 ans. C'est tout de même six de plus que son adversaire en finale. Une certaine Suzanne Lenglen. Aujourd'hui, on parlerait du «phénomène Lenglen». La future «divine» Suzanne n'a pas encore tondu sur le dos de la «déesse» Marguerite la laine de la célébrité. Mais les photos de la finale, montrent qu'à part le talent, beaucoup de choses opposent les deux femmes. A commencer par le look. Marguerite Broquedis, allure très sage, élégante robe longue plissée cintrée à la taille par une ceinture de feutre noir, chapeau cloche également ceint d'un ruban noire. Suzanne Lenglen bien plus sauvageonne, jupe droite sous le genou, ample tunique, un foulard en guise de serre-tête. Deux mondes. Ce jour-là, l'ancien gagne encore contre le nouveau. Broquedis est la dernière à battre Lenglen dans une finale.
Quelques semaines plus tard, Lenglen devient championne du monde sur terre battue. Un titre que Broquedis avait remporté en 1912. Le Matin du 9 juin n'en revient pas : «La championne de 15 ans est véritablement un prodige : vigoureuse, infatigable, alerte, active, possédant l'expérience du jeu de lawn-tennis avec une remarquable précision, elle joint à cet art sportif des qualités qui assurent l'infaillible succès : l'énergie, le sang-froid et la volonté de vaincre.» Nadal, sors de corps.
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La rivalité Broquedis-Lenglen aurait-elle préfiguré les homériques batailles de jeu et de personnalité, de style quoi, qui ont enjolivé le tennis féminin du dernier demi-siècle, les Evert-Navratilova, Graf-Seles, Graf-Hingis, Mauresmo-Hénin ? Cette opposition ne vit jamais le jour, tuée dans l'œuf par la guerre. On ne reverra jamais Broquedis au plus haut niveau. Au sortir du conflit, la tornade Lenglen emporte tout. Le palmarès et la popularité de ses adversaires. En 1920, «Melle Suzanne Lenglen reste championne du monde de tennis», annonce le Matin du 2 juillet 1920. Comme on le disait avant la guerre de Broquedis, le journal écrit à propos de Lenglen : «Par son jeu puissant, actif, inclassable et précis, la jeune Française est actuellement imbattable. Il n'y aurait que Mme Billout-Broquedis… Mais ceci est une autre histoire.»
L'histoire d'une femme qui voit l'un de ses frères périr au front dès les premiers jours de la Première Guerre mondiale, en août 1914. Récupère l'autre handicapé à vie après une blessure au combat. Pleure la mort de cousins. Ressort laminée de tant de matchs perdus contre la vie. Remporte quelques succès sous les noms de Broquedis-Billout (son premier mari, décédé en 1923), Broquedis-Bordes (son deuxième époux). Mais impossible d'exister sportivement et médiatiquement face à Suzanne Lenglen. L'ancienne meilleure joueuse du monde achève sa carrière sur un modeste fait d'armes : une victoire en double mixte associée à Jean Borotra aux Internationaux de France en 1927.
Si l'histoire a fait de Lenglen une pionnière dans tous les domaines (jeu, style, charisme…) c'est pourtant Broquedis, qui la première «a emprunté les marches menant à la modernisation du tennis féminin», écrit Elizabeth Wilson, romancière spécialiste du féminisme dans son histoire du tennis (1). Elle a par exemple laissé dans sa penderie le corset sans lequel il aurait été incorrect de se montrer sur un court avant elle, mais qui nuisait grandement à la mobilité, donc à la performance. Dans son livre Elizabeth Wilson cite Ted Tinling. Le couturier qui dessina les robes de nombreuses stars du tennis (Navratilova, King, Evert…) avait, enfant, rencontré la famille de Suzanne Lenglen dont il était resté proche. Il écrivait pourtant à propos de Marguerite Broquedis : «Elle a fait l'objet de la première chronique de mode consacrée au tennis jamais publiée dans un journal, elle a créé la première coiffure adaptée au tennis. C'est elle qui, la première, donna à penser que le tennis féminin pouvait être beau. Tout vient d'elle. Et par-dessus tout, elle était plus élégante que Lenglen.»
Marguerite Broquedis est morte dans l’anonymat à Orléans en 1983 à 90 ans. Sur sa page consacrée aux médaillés olympique, le site de la Fédération française de tennis a oublié son titre de 1912.
(1) Love Game : A History of Tennis, from Victorian Pastime to Global Phenomenon (2014, non traduit).