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Libération
Récit

Japon : Naomi Osaka, une athlète engagée qui interpelle dans l'archipel

La tenniswoman est critiquée dans son pays pour avoir appelé à manifester contre le racisme et les discriminations. Mais elle ne s'en laisse pas compter.
Naomi Osaka à l'Open de Melbourne,le 15 janvier 2019. (PAUL CROCK/Photo Paul Crock. AFP)
par Karyn Nishimura, à Tokyo
publié le 11 juin 2020 à 18h09

«On ne mélange pas le sport et la politique» : pour une partie des Japonais (les extrémistes de droite notamment), un athlète n'a pas à s'engager. Selon eux, la joueuse de tennis nippone Naomi Osaka, métisse de mère japonaise et de père haïtien, a commis une faute en soutenant un appel à manifester contre le racisme et les discriminations en fin de semaine passée  dans l'archipel à Osaka. L'homonymie entre le lieu et son patronyme rendait le tweet un peu ambigu et le fait qu'elle ait écrit (avec une faute) en japonais «je vous le demande» (pour appeler à protester) lui a valu une volée de critiques. «Je suis déçu» écrivent certains qui attendent des sportifs qu'ils soient performants sur le terrain mais s'abstiennent de toute prise de position politique.

Dotée d'une répartie et d'un sens de l'humour assez peu répandus dans la culture japonaise, l'intéressée de 22 ans a répliqué de façon cinglante : «Je déteste ceux qui disent que les athlètes ne doivent pas se mêler de politique et se contenter de divertir le public. D'abord, c'est une question de droits de l'homme. Deuxièmement : en quoi avez-vous plus le droit que moi de vous exprimer ? Avec votre logique, une personne qui travaille chez Ikea a juste le droit de parler du mobilier Grönlid.»

Interrogé par Libération, le politologue Koichi Nakano, de l'université Sophia à Tokyo, explique qu'au Japon, on ne qualifie de «propos politiques» avec une connotation péjorative que les positions qui dénoncent un fait. Il est admis de glorifier les autorités, mais pas de protester, surtout quand on est une personnalité influente «En ce sens, les employés ne sont pas censés exprimer d'opinions politiques, les spécialistes de tel ou tel domaine ne doivent pas sortir de leur spécialité et les joueurs de tennis doivent se contenter de jouer au tennis.» De fait, les sportifs japonais qui s'engagent le plus (comme le joueur de baseball Yu Darvish) sont, comme Naomi Osaka, basés à l'étranger.

Une diversité peu visible au Japon

Si la championne a reçu nombre de mots sympathiques de fans du monde entier, y compris du Japon, elle a aussi reçu plusieurs salves de remarques désobligeantes. Car son soutien à l'organisation d'une marche «black lives matter» («la vie des noirs compte») risquerait, selon ces personnes, de favoriser la transmission du Covid-19. «Vous nous ennuyez, arrêtez», «vous avez une influence considérable, réfléchissez avant de parler», lui a-t-on jeté sur Twitter. Certains sont même allés jusqu'à donner la liste de ses sponsors, présentés comme soutenant une personne qui incite depuis l'étranger à propager un virus au Japon. Dans l'archipel, le pouvoir des annonceurs est tel que beaucoup de sportifs sont incités à ne pas faire de vagues.

Pour d'autres, il est injustifié d'appeler à manifester au Japon, où la diversité est peu visible, car «le problème de racisme envers les personnes noires ne se pose pas dans l'archipel». Ce, au risque de renforcer l'impression que les Japonais ne regardent pas au-delà de leurs frontières et vivent à l'écart du reste de la planète : «Y a-t-il des discriminations au Japon contre les personnes noires ? Vous ne comprenez pas que manifester dans les régions où ce genre de problème n'existe pas ne fait qu'ennuyer les populations locales ?» Là encore Naomi Osaka a réagi avec à-propos en rappelant avoir elle-même souffert de mots racistes émis par des humoristes japonais qui ont dû s'excuser.