Comme lorsque la nuit tombe et que les réverbères s'allument les uns après les autres, le foot reprend, pays par pays, sur tout le Vieux Continent ou presque. Car si la France ou la Belgique ont décidé de fermer définitivement le rideau de l'édition 2019-20 du championnat, les ligues espagnole puis italienne ont embrayé ces derniers jours sur le foot allemand. Même si le huis clos reste en revanche la norme. Les supporters, ultras ou lambda, ont été sommés de rester devant leur écran de télé, malgré les demandes fermes de plus de 100 groupes européens le mois dernier.
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Ce mercredi, 27 associations européennes représentatives de plus d'un millier de groupes de supporteurs ou d'ultras, fidèles de clubs et de sélections nationales, expliquent dans un communiqué adressé aux instances du foot qu'elles souhaitent «jouer un rôle dans le futur du football». Du Portugal au Danemark, de l'Ecosse à la Turquie, de la France à l'Allemagne, les supporteurs prennent acte de la reprise en cours du ballon rond, mais veulent être «impliqués dans les discussions qui détermineront l'avenir immédiat et à long terme du football». «Les supporteurs les plus actifs dans les stades ne sont pas des drogués qui veulent que le foot reprenne à tout prix et de n'importe quelle manière», explique Ronan Evain, directeur général de Football supporters Europe (FSE), association et réseau de liaison entre supporteurs européens qui a agrégé les signatures du communiqué.
🗣️| "Le football doit changer radicalement. Et il doit changer pour le meilleur."
— Fans Europe (FSE) (@FansEurope) June 17, 2020
⚽️ FSE & 26 organisations nationales de supporters publient un communiqué commun demandant l’implication des supporters dans les discussions sur le futur du football.
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«Sans ces artifices»
Certaines images risibles ou pathétiques observées depuis la reprise exigent en effet de prendre en compte l'avis de ces fans de foot, ultras ou non. En Allemagne et en Espagne surtout, des enregistrements de chants de supporteurs sont diffusés, des mannequins en carton installés dans les gradins quand ils ne sont pas intégrés en réalité virtuelle par le diffuseur télé. Des leurres plus kitsch que crédibles. Ronan Evain : «Cela peut paraître anecdotique car potentiellement temporaire. Mais c'est injurieux pour ceux qui animent habituellement les tribunes et sont bloqués à la maison. Si on doit jouer à huis clos, dont acte, mais sans ces artifices.» Le directeur général de FSE ajoute : «C'est aussi une bataille culturelle : des sociétés investissent dans des technologies qui ont pour objectif de se substituer aux supporteurs en chair et en os. Cela pourrait arranger les clubs et les diffuseurs, qui verraient disparaître ce contre-pouvoir ou qui simuleraient une ambiance pour les matchs destinés à être montrés en Asie.»
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Parmi les points abordés, la question sanitaire qui se pose en vue de faire revenir les fans dans les enceintes est cruciale. «Les supporteurs ne sont pas tous des médecins ou spécialistes de santé publique mais les associations savent ce qui peut permettre de rendre un protocole réaliste ou non, rappelle Ronan Evain. Il faut respecter la culture des tribunes et les habitudes pour ne pas se retrouver avec des protocoles hygiénistes inadaptés. Sans oublier également de se battre pour que cette réouverture ne profite pas qu'aux plus riches.» Le directeur général de FSE fait notamment allusion aux discussions en cours au-delà des Alpes : alors que Gabriele Gravina, le président de la fédération italienne, dit espérer un retour des tifosi début juillet dans les stades, certains clubs privilégieraient les VIP pour les quelques milliers de places disponibles.
«Superligue» européenne
Le Covid-19 a de manière plus générale montré les faiblesses du modèle économique du football européen. Un phénomène qui inquiète depuis des années les supporteurs les plus assidus, mais qu'une partie du grand public a découvert ces derniers mois. Pour Ronan Evain, il y a un double risque : «On craint à la fois le statu quo, qui verrait les acteurs économiques du foot repartir comme avant en oubliant leur fragilité, mais aussi l'apparition d'un modèle encore moins vertueux et plus inégalitaire.» Avec en ligne de mire le serpent de mer que représente une «Superligue» européenne, fermée ou semi-fermée, dans laquelle l'aléatoire et la saine compétition seraient encore plus réduits qu'ils ne le sont aujourd'hui.
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Dans leur communiqué, notamment signé par l'Association nationale des supporteurs et les Irrésistibles Français, qui supportent les Bleus, les organisations assènent que, selon eux, «il n'y aura pas de retour à la normale» dans le foot. Que ce sport choisira soit la fuite en avant, soit un modèle plus vertueux – ce qu'ils défendent –, plus redistributif et attentif aux fans ainsi qu'à la place qu'ils ont dans ce sport. «Le principe du huis clos est exceptionnel dans la majorité des pays européens, et il va sûrement le rester, conclut Ronan Evain. Même les acteurs économiques se rendent compte qu'il manque quelque chose. Le supporteur n'est pas juste un consommateur de foot. Sans lui, les ligues comme les clubs se sont rendu compte qu'il est difficile de "vendre le produit".» Au regard du rapport de force, les fans battent le fer tant qu'il est chaud.