Les bureaux, le terrain, le stade, la ville : en décembre 2018, la série-documentaire Sunderland 'til I die diffusée par Netflix devenait instantanément une référence dans le renouvellement de l'écriture du documentaire sportif en multipliant les points de vue, s'intéressant moins au foot pur et dur qu'au management et à l'impact social du club anglais de Sunderland. Un genre novateur de documentaire immergé dans le sport-business, qui a touché ces dernières années au football américain (All or Nothing) ou à la Formule 1 (Drive to Survive). Lens, de sang et d'or fait partie des premières tentatives d'importation de ce format en France.
Diffusés ce mercredi et jeudi sur la chaîne l'Equipe, les quatre épisodes de la série d'Elide productions suivent la saison 2019-2020 du Racing Club de Lens. L'équipe historique et populaire du championnat de France engluée en deuxième division depuis des années, vise une montée quasi obligatoire pour correspondre aux plans de son président, Joseph Oughourlian. Si la réalisation est soignée et le projet ambitieux, la série souffre néanmoins de la comparaison avec ses sources d'inspiration, notamment Sunderland 'til I die, car le club lensois partage nombre de points communs (passé ouvrier, stade au centre de la ville, communauté rivée aux résultats) avec l'équipe anglaise. Surexpliquant les enjeux avec des interviews a posteriori, s'attachant trop à respecter la chronologie de la saison et du résultat sportif, Lens, de sang et d'or rate sa dramaturgie et se perd en compte-rendu très étoffé, là où le documentaire britannique concédait davantage à l'écriture de fiction sérielle.
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Restent toutefois des séquences rarement vues jusqu'ici, angles morts du football français, notamment des négociations de transfert laborieuses dans des chambres d'hôtel, au téléphone avec des agents capricieux. A part aussi : l'étrange période du confinement et la montée en Ligue 1 acquise en sourdine, sans supporteurs pour la célébrer. Surtout, le documentaire fait découvrir Joseph Oughourlian, financier londonien et fondateur du fond activiste Amber Capital, qui s'est pris d'affection pour un club à la dimension populaire tellement éloignée de son quotidien et dans lequel il n'avait pas forcément prévu d'investir à long terme. Oughourlian se présente en patron à sang froid mais sincère, recentrant avec exigence tous les échelons du club sur leurs missions tout en cherchant à préserver une mythologie (la mine, les «valeurs» de labeur) acceptée comme telle, des figures imposées que le documentaire rejoue par ailleurs précautionneusement. En trois questions, François Pesenti, ex-directeur des sports de RMC et producteur de Lens, de sang et d'or avec sa société Elide, nous éclaire sur la genèse de la série.
Comment est né ce projet ?
D'une rencontre de trois producteurs : Luc Dayan [président de Lens en 2012-2013, ndlr] qui travaille depuis des années dans le football français, Nicolas Duval qui vient du cinéma et moi, qui suis dans les médias sportifs. On trouvait qu'on avait une certaine complémentarité et on avait surtout une envie commune d'une série documentaire dans le sport. Ce type d'écriture n'existait pas encore en France, comme on peut le trouver en Angleterre avec Sunderland ou Manchester City. On a donc sondé quelques présidents de première division. Certains étaient intéressés mais n'ont pas souhaité aller au bout de la démarche. Et finalement les liens de Luc Dayan avec Joseph Oughourlian, qu'il avait aidé à entrer au capital de Lens il y a quelques années, font que Joseph a accepté. Il trouvait que c'était intéressant de prendre ce risque, parce que c'était une bonne occasion de raconter le renouveau lensois qu'ils sont en train de mettre en place aujourd'hui. Depuis son arrivée, Oughourlian était aussi assez subjugué par l'impact culturel et social de ce club sur tout le bassin minier. Ça l'intéressait que soit racontée cette histoire-là, sous cette forme-là.
Quel degré de liberté aviez-vous ?
Notre accord était très simple : pas d’investissement financier du RC Lens, le fait que rien ne sorte durant la saison pour ne pas perturber le fonctionnement du club et le respect des souhaits de l’entraîneur, qui pouvait nous fermer la porte quand il le désirait. C’est quelque chose qu’on a respecté. Une saison, c’est très long. On a eu le temps de s’immerger : nos équipes sont devenues familières de l’environnement du club et au bout de quelques semaines, le vestiaire était un peu plus souvent ouvert.
Qu’est-ce qui fait selon vous la nouveauté de ce type de narration de documentaire sportif ?
Nous pensons que ce type d’écriture devient intéressant quand il va vers le sociétal, ici, l’histoire du club avec la mine et les mineurs, ces leviers sur lesquels le RC Lens continue de s’appuyer. On a redécouvert qu’à Lens la transmission est une question importante : la tradition se matérialise au stade Bollaert, c’est aujourd’hui là que la ville vient fêter les mineurs et son histoire de labeur. Bollaert est un lieu de fierté. On voulait surtout un équilibre entre toutes les familles qui forment un club, que la parole soit bien répartie entre le sportif, l’extra-sportif et le sociétal. Au départ, on a suivi 20 à 30 personnes, puis au fil du temps, on est arrivés à une dizaine de personnages récurrents. Les joueurs choisis sont symptomatiques de cette saison, qui était une saison de remontée quasi obligatoire : on a donc suivi des joueurs chevronnés, avec un fort mental.

Photo Elide productions. Quad.
Enfin, on voulait montrer cette nouvelle génération de dirigeants, dans des clubs intermédiaires : ce n'est pas le PSG ou l'OM. Le président, Joseph Oughourlian, ou Arnaud Pouille, le directeur général ont particulièrement bien joué le jeu. On découvre que les négociations de transferts, qu'on imagine totalement déréglées, se passent en réalité tout à fait normalement : on n'est pas dans des data rooms avec des avocats partout. Avec, certes, les agents qui peuvent venir complexifier la situation. On a tout de même laissé les dirigeants regarder avant diffusion ce qu'on avait tourné pour ne pas montrer d'images qui auraient pu créer un problème juridique. Ils ont simplement enlevé un nom d'oiseau qui volait à un moment. Je pense au final que personne n'a rien à perdre à montrer ces discussions-là. On voit surtout que par bien des aspects, un club de foot est une PME comme une autre.