Pieds dans le vide, horizon dilaté et lointain, reliefs bleus en soubassement d'un ciel sans nuage : à 5 kilomètres du sommet du col de la Lusette, la nuée est épaisse de spectateurs. Une trompette lance des ruades. Des olé lui répondent. Un pape bénit le peloton. Une affiche lubrique s'invite. Le Mont Aigoual, dans le parc national des Cévennes, donne l'image populaire la plus marquante de ce Tour de France depuis les panneaux noirs de Nice qui interdisaient la vue aux spectateurs. Dans cette montée, longue de 34 kilomètres en comptant ses rampes d'accès, le Tour sous Covid est oublié, les masques tombent parfois, le peloton ne voit plus les gendarmes mais des milliers de supporteurs. Du côté de l'Espérou (kilomètre 182), l'écran géant et l'office à merguez, négligés un temps pour éviter les attroupements, sont de sortie. Les lacets des premiers cols de la Grande Boucle, dans le moyen-pays niçois, et même ceux d'Orcières-Merlette mardi semblent confinés à un autre temps. L'odeur résineuse des sapins prend des aises oubliées.
Au sommet du Mont Aigoual (1 560 mètres), pour le coup privé de spectateurs, le Kazakh Alexey Lutsenko (Astana) s'impose en solo, après avoir distancé ses sept compagnons d'échappée. Au classement général, l'Anglais Adam Yates (Mitchelton Scott) reste en jaune devant le Slovène Primoz Roglic (Jumbo-Visma) et son compatriote Tadej Pogacar (UAE-Emirates). Le premier Français, Guillaume Martin (Cofidis), est quatrième, à neuf secondes. Lutsenko commente : «Je connaissais très bien le col de la Lusette. Je savais qu'à 80% de la montée, c'était le passage le plus raide. C'est là que j'ai tout donné.» Le maillot jaune Adam Yates : «On a réussi à contrôler durant cette étape. Mais c'était une échappée très très forte, avec de grosses pointures. Il ne fallait pas les laisser partir trop loin. Vendredi [entre Millau et Lavaur, ndlr], c'est une étape intéressante. Ce devrait être assez facile, mais je croise les doigts.»
Tout au long de la journée, des couleurs habituellement indélébiles sur le Tour mais englouties cette année dans le contexte sanitaire, le jaune, rouge et noir belges, le rouge, bleu et blanc néerlandais, flottent à nouveau au vent. L'Ardèche semblait mercredi une bouffée d'oxygène : le peloton la quitte avec un bonhomme étendu de tout son ventre sur un transat, peau hâlée à moitié nue, lunettes de soleil sur le front et bouquin sous le nez. Le Gard réserve le même accueil, rues bondées et chaleur des acclamations à Alès (kilomètre 88). Est-ce vraiment une étape de septembre ? Le village de Sumène (kilomètre 142) propose au peloton les oignons doux des Cévennes, des lacets aux centaines de personnes amassées et des routes minuscules. En haut du Mont Aigoual, se dresse la dernière station météo de montagne habitée en France. Dans les Cévennes, le Tour a retrouvé des températures qu'il connaît.